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plans opposés, dont les principaux agens ne pouvoient ni se concerter, ni s'entendre, et dont les moyens d'exécution, loin de s'étayer réciproquement, ne pouvoient que se nuire. Comment concilier, en effet, le projet d'un départ secret pour Montmédi, avec celui d'attendre', pour partir de Paris, la déclaration de guerre des puissances, les adresses des départemens et le vœu de l'armée, ou avec, ies mesures proposées par le parti Lameth? Et cependant on vit alors le roi, non seulement faire marcher de front l'exécution de ces trois plans, mais encore en former un quatrième, dont le baron de Breteuil, ni M. de Montmorin n'eurent aucune connoissance. Je n'avois moimême sur ce fait que de simples conjectures, qu'avoient fait naître quelques mots échappés au roi dans différentes occasions, et je ne me suis jamais permis de faire, à cet égard, aucune question à sa majesté. Mais depuis ma sortie de France, j'ai acquis les notions les plus exactes sur cet article intéressant, et je déclare que la vérité des faits que je vais rapporter, m'a été attestée verbalement et par écrit, par les quatre personnes qui étoient le plus à portée d'en être parfaitement instruites, telles que MM. las Cazas, ambassadeur d'Espagne, de Calonne, le comte de Vaudreuil, et le comte Alphonse de Durfort (1).

(1) Le cointe Alphonse de Durfort, qui fut chargé de la

Les vives inquiétudes que l'insurrection du lundi saint, 18 avril 1791, et la fermentation qui en fut la suite, donnèrent au roi et à la reine, leur firent desirer d'informer M. le comte d'Artois de leur véritable situation et de l'état des affaires en France, avec plus d'exactitude et de détail, que la prudence ne permettoit de le faire, par lettres. Leurs majestés se déterminèrent à lui adresser une personne de confiance, dont le dévouement et la fidélité fussent connus de son altesse royale. Elles jetèrent les yeux sur le comte Alphonse de Durfort, et chargèrent M. de C. de sonder ses dispositions, relativement à une mission secrète quelconque pour le service du roi, sans lui dire en quoi elle consistoit, et lui faisant entendre que leurs majestés leurs majestés n'exigeoient point qu'il s'en chargeât, et qu'elles ne lui sauroient aucun mauvais gré de la refuser. M. de C. en parla le vendredi saint, 22 avril. La réponse du comte Alphonse de Durfort fut que dès qu'il s'agissoit du service du roi, il n'avoit pas besoin d'en savoir davantage, et qu'il se chargeroit de cette mission, quelle qu'elle fût. Alors M. de C. lui en fit connoître l'objet ; il ajouta que dans le cas où il persisteroit à l'accepter, il falloit qu'il allât au jeu de la reine, le lundi de

mission secrète dont je vais rendre compte, en a consigné les détails dans un mémoire qu'il m'a communiqué.

Pâques, et qu'il répondît non madame, à la question qu'elle lui feroit sur le départ de l'ambassadrice de Venise, parce qu'il étoit convenu avec sa majesté, que cette réponse signifieroit qu'il acceptoit. Le comte Alphonse discuta ensuite avec M. de C. la manière de rendre sa mission aussi utile et aussi satisfaisante qu'elle devoit l'être pour leurs majestés et pour son altesse royale. Le moyen qui lui paroissoit le plus avantageux à cet égard, étoit de proposer lui-même à leurs majestés, les différentes questions qu'il présumoit que M. le comte d'Artois ne manqueroit pas de lui faire, de recevoir leurs réponses à ces questions, et de les transmettre à son altesse royale.

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M. de C. proposa ce plan au roi et à là reine qui l'approuvèrent. En conséquence, le comte. Alphonse alla au jeu de la reine le lundi de Pâques, et y fit la réponse convenue, relativement au départ de l'ambassadrice de Venise. Le lendemain, il eut une entrevue avec leurs majestés, qui lui permirent de leur présenter ses questions, et d'écrire leurs réponses, pour les apprendre par cœur. Voici la copie de ces questions et de ces réponses:

Première question. Leurs majestés ont-elles confiance dans les intentions et dans le zèle de M. le comte d'Artois? Y a-t-il quelque fondement aux inquiétudes qu'on lui a données, sur leurs sentimens à son égard, et sur leur disposition à se remettre entre les mains des factieux de l'as

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semblée, plutôt que de devoir leur salut et le rétablissement de leur autorité, aux efforts et aux succès des princes, réunis à la noblesse du royaume?

Réponse dictée par la reine. On vous a trompé; votre situation est ce qui occupe le plus leurs majestés. Comment peut-on croire, qu'avec l'ame élevée que vous leur connoissez, ils préferent rester sous le joug de scélérats infâmes, plutôt que d'être secourus par leurs proches parens et par leurs serviteurs fidèles ?

Seconde question. Que pensent leurs majestés de M. de Lafayette?

Réponse. Nous le regardons comme un factieux fanatique et imbécille, en qui nous ne pouvons jamais avoir la moindre confiance.

Troisième question. Que pensent-elles de M. de Montmorin?

Réponse. Il a bonne volonté, mais nulle force. Quatrième question. L'archevêque de Sens a-t-il quelqu'influence dans les déterminations de leurs majestés?

Réponse. Aucune ; il est généralement abhorré et méprisé de tous les partis. Leurs majestés partagent ce sentiment du public; de plus il les a trompées.

Cinquième question. Pourquoi le roi a-t-il été à l'assemblée, après avoir été empêché d'aller à Saint-Cloud?

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Réponse. Forcé par ses ministres, sur lesquels il ne peut compter.

Sixième question. Quel est l'espoir du peuple? Leurs majestés ont-elles à l'assemblée quelques personnes sur lesquelles elles puissent compter?

Réponse. L'esprit du peuple est détestable; il ne veut plus de roi. Leurs majestés n'ont personne dans l'assemblée. Le seul député qui leur ait fait des ouvertures n'existe plus.

Septième question. Comment justifier la lettre adressée à tous les ambassadeurs?

Réponse. La date en prouve la nécessité. Le roi ne l'a pas signée, et n'y a rien changé, pour ne rien ôter à sa monstruosité; elle a été rédigée par des membres de l'assemblée, qui ont cru cette démarche indispensable, et qui en attendoient un grand succès.

Huitième question. Leurs majestés ont-elles le desir ou le projet de sortir de Paris?

le

Réponse. Elles en ont le plus grand desir; mais moyen de l'effectuer leur paroît presqu'impossible. Dans le cas où elles en trouveroient le moment, elles voudroient savoir d'avance quel seroit l'endroit où elles seroient le plus en sûreté, du côté de Valenciennes ou de Metz. Leurs majestés insistent beaucoup sur cet article.

Le roi et la reine autorisèrent le comte Alphonse à faire connoître l'objet de sa mission à M. de Calonne, à lui témoigner que leurs majestés étoient

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