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rouler en chemin de fer dans le domaine de la Géométrie, lui qui n'avait pas su y tracer une simple route royale à l'usage du roi Ptolémée Philadelphe.

Les manuels ont certainement du bon, les chemins de fer aussi. Ceux-ci conviennent admirablement à l'homme d'affaires qui ne se préoccupe que du but du voyage. Aussi dès qu'il l'a atteint, ne le questionnez ni sur la topographie des pays qu'il a traversés, ni sur leur histoire naturelle. Les diverses circonstances du voyage, il ne les a subies qu'en vue du but; et si, par aventure, quelque site, quelque fait remarquable, contemporain ou historique, avait eu le privilége d'attirer un instant son attention, soyez sûr que l'impression faite sur son esprit n'aura pas excédé la durée du voyage.

De même l'écolier dont la grosse affaire est d'emporter, pour ainsi dire, à la course l'un ou l'autre diplôme de bachelier, une fois ce résultat obtenu, n'a rien de plus pressé que d'oublier le peu de science qu'il avait été forcé d'emprunter plutôt que d'acquérir, dans ce trajet ; et c'est justice, en vérité. Qu'estce, en effet, qu'un diplôme ? Une carte qui vous ouvre une porte. Comme vous l'avez payée et que vous avez votre quittance, personne n'a le droit et personne ne s'avise de vous demander jamais si vous continuez à remplir les conditions du contrat. Les conséquences de l'institution du diplôme obligatoire sont importantes ; mais comme cette matière cotoie l'économie politique qui n'est pas de mon sujet, et

que je me soucie peu d'empiéter sur son domaine, je m'abstiendrai de les signaler.

Ce n'est point pour le commun des poursuivants de diplômes que j'ai composé cet écrit. Je ne viens donc pas grossir la liste déjà longue des manuels, et cependant, le titre l'indique, ceci n'est pas non plus un traité de géométrie. Ce traité, il est vrai, est presque rédigé ; mais le plan que je m'étais tracé est si vaste, que je me vois obligé, sinon de renoncer à le réaliser, du moins d'en ajourner l'accomplissement.

La partie terminée se borne aux notions relatives à la ligne droite, aux courbes et aux figures qu'elles peuvent former sur un plan; et quelque faible que soit le produit, de mes recherches, je ne me crois pas le droit d'anéantir cette partie du fonds commun social: Un jour peut-être un véritable géomètre, plus autorisé et plus persévérant que moi, en fera jaillir le peu d'utilité qu'elle récèle, en coordonnera les éléments incohérents et constituera l'édifice que je n'ai eu ni le temps, ni le courage, ni le talent d'élever.

Je le répète donc, cet écrit n'est pas un traité de géométrie élémentaire. Il suppose dans le lecteur des notions rudimentaires de cette science. Le but que je me suis proposé est complexe ou plutôt mixte et pédagogique autant que scientifique. Il consiste principalement dans l'exposé d'un groupe de faits géométriques généraux qui sont la source de toutes les propriétés de l'étendue, et d'un mode analytique d'enseignement à l'aide duquel on les en fait découler, mode qui

n'emporte pas plus, d'ailleurs, que la synthèse, exclusivement employée, le secours de l'analyse algébrique. C'est une sorte de programme d'un nouvel enseignement de la géométrie.

La méthode synthétique a naturellement dû précéder la méthode analytique. On comprend, en effet, qu'il a été plus aisé de constater un fait géométrique dans une circonstance toute particulière, que de découvrir du premier jet la formule générale dont il n'est qu'un cas singulier. Que de phénomènes connus dont la formule n'est pas encore trouvée et ne le sera peut-être jamais ! Le phénomène de la chûte des graves se produit sous les yeux des hommes depuis l'origine du Monde ; mais il a fallu qu'une pomme détachée de l'arbre tombât devant Newton, pour que le grand géomètre découvrit la loi de la gravitation universelle, sublime synthèse dont ce fait particulier fut le point de départ. C'est ainsi que des lois générales desquelles procèdent certains faits connus, répondant à des circonstances données, n'ont souvent été établies que longtemps après ceux-ci, et à la suite d'investigations plus ou moins laborieuses. C'est ainsi, par exemple, que le théorème de Pythagore, dont la découverte excita chez son auteur des transports d'enthouisasme et qui remonte déjà à plus de vingt-quatre siècles et demi n'est plus aujourd'hui qu'un mode particulier de la loi générale qui régit les relations réciproques de trois points situés d'une manière quelconque dans un plan,

et que celle-ci elle-même ne serait qu'un mode de la loi plus générale encore à laquelle sont soumises les relations de quatre points disposés d'une manière quelconque dans l'espace.

Remonter de la proposition du quarré de l'hypothenuse à la loi générale qui lie trois ou quatre points quelconques, est le procédé de la synthèse; descendre de cette loi générale aux théorèmes particuliers qui en dérivent, ou plutôt en suivre les transformations à l'aide desquelles elle parvient à se plier à toutes les circonstances diverses qui modifient la position relative de ces points est la marche contraire que suit l'analyse.

Ces deux méthodes ont leurs avantages propres. La première est le chemin tout fait par le pionnier qui a donné le premier coup de pioche et par ceux qui ont repris son œuvre au point où il l'avait laissée. Quoique ascendante, il est plus commode de suivre cette voie pour gravir au point culminant que de s'élancer d'un seul bond sur celui-ci. D'un autre côté, une fois sur le sommet de la montagne, on en voit mieux les flancs tout à l'entour et l'on en descend plus rapidement les pentes.

La première voie, je l'ai déjà dit, est celle qui est tracée dans tous les traités élémentaires de géométrie et je n'ai pas à m'en occuper dans cet écrit. Je n'ai pas non plus, je dois le répéter, la prétention de faire un traité analytique. Je veux seulement signaler les quelques théorèmes généraux qui sont

considérés comme le fondement de la science, en essayer la démonstration à priori et faire voir comment un grand nombre des théorèmes démontrés dans les livres s'en déduisent immédiatement, soit comme applications à des cas particuliers, soit comme simples corollaires.

Cette première partie sera exclusivement consacrée à la ligne droite, aux lignes à simple courbure et aux figures qu'elles forment dans un plan. C'est la géométrie proprement dite, celle qui a pris naissance en Égypte, sous le roi de Sésostris, à l'occasion du cadastre des terres de l'empire, et que je désignerai, avec quelques auteurs, sous le nom de Planimétrie.

On ne sera pas surpris d'y rencontrer un petit nombre de théorèmes nouveaux, bien que leurs corollaires soient dans tous les livres ; mais la filiation de ces derniers n'y est même pas soupçonnée. On y verra aussi un théorème de Carnot, assez peu connu nonobstant son utilité dans la résolution de quelques problêmes intéressants, pour la science au moins sinon pour les applications pratiques. Il m'a conduit, en effet, à une méthode je n'ose pas dire encore une formule générale pour inscrire dans un cercle, sans le secours de la irigonométrie, un polygone régulier d'un nombre quelconque de côtés. Carnot a donné de son théorème une démonstration trigonométrique qui a exigé l'établissement de plusieurs lemmes. Je suis parvenu à en trouver une démonstra

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