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consacrée par l'imitation de La Fontaine, disparaît également et fait place à ce propos assez vulgaire : « ô race abjecte et fâcheuse, ai-je assez ri de toutes vos peines et m'en suis-je assez irrité!

Qui reconnaîtrait dans cette expression louche et bizarre « une belle femme au sein nu écrasé soudain sous une ignoble écaille » le vers proverbial de l'art poétique :

Desinat in piscem mulier formosa supernè?

:

L'épître aux Pisons présente, du vers 128 au vers 436, un passage difficile et controversé le traducteur tantôt paraphrase et tantôt esquive les difficultés qu'il présente. Voyez d'abord tout ce qu'il ajoute à la première phrase.

<«< Si tu fais un drame en prenant un héros de l'his«toire de la fable, respecte, avec grand soin, ce « caractère accepté de tous. Si un héros est de ton invention, prends garde à ne pas te démentir du premier acte au dernier. » (1)

«

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Le texte, plus net et plus court, dit seulement :

Ant famam sequere, ant sibi convenienta finge

Scriptor.

Je lis plus loin : « qui sait donner à quelque sujet connu une empreinte vive et nouvelle, accomplit souvent une tâche illustre et pourtant etc.»

C'est la traduction de ce vers :

Difficile est propriè communia dicere...

(1) Traduction, pare 447.

dont le sens très-discuté ne saurait plus être douteux. Horace veut dire il est difficile d'imprimer à des caractères généraux et abstraits une physionomie vivante et personnelle; d'animer, par exemple, un type comme celui de l'Avare ou du Misanthrope. (2) Horace ajoute :

Publica materies privati juris erit si

Nec circa vilem patulumque moraberis orbem,
Nec verbum verbo curabis redderes fidus
Interpres, nec desilies imitator in arctum,
Undè pedem proferre pudor vetet aut operis lex.

Tout le monde est d'accord, ou peu s'en faut, pour entendre ainsi ce passage: Un sujet tiré du fonds commun (histoire ou fable), vous saurez vous l'approprier en observant ces trois conditions: 1° ne pas reprendre une matière usée et rebattue; par exemple, ne pas remettre en scène cette race d'Agamemnon qui ne finit jamais; 2o ne pas traduire, de mot à mot, l'œuvre d'un devancier ; 3° ne pas même adopter son plan, de manière à ce que, ayant commencé à le suivre, le respect même du modèle ou les lois du genre vous défendent d'en sortir.

Ce sens n'apparaît pas et pour parler franchement, aucun sens bien déterminé ne se montre nettement dans la version que voici :

« Mais alors, diras-tu, le sujet n'est pas mien!...

« Qu'importe s'il devient ton bien à force de génie...

(2) Horace et Dubner, édition de Firmin Didot, Paris 1865, page 283.

་་

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« Délivrez-moi du servile interprète qui s'amuse à

copier une œuvre dont il ne peut se tirer d'abord «< par fausse honte, et bientôt parce que l'œuvre « même est un labyrinthe sans issue. »

Dans le célèbre passage où sont décrits les quatre âges de la vie, avec leurs instincts et leurs caractères déterminés, Horace nous montré l'âge mûr attentif à ne rien précipiter, évitant toute démarche imprudente et qui l'obligerait plus tard à de fâcheux retours.

Commisisse cavet quod mox mutare laboret.

Le traducteur lui fait dire que l'âge viril « ne va pas renverser aujourd'hui ce qu'il bâtissait hier encore. » C'est la pensée, sinon contraire, du moins inverse.

L'humeur aigrie de l'importune et jalouse vieillesse saurait-elle être mieux rendue que par ces deux traits d'une vérité si frappante, au moins dans les cas auxquels s'applique ce triste portrait :

Laudator temporis acti

Se puero, censor castigatorque minorum? (1)

La traduction nous dit : « le vieillard adore autrefois; il ne sait rien de plus odieux qu'aujourd'hui. »

Etait-ce bien la peine d'acheter, par une grave inexactitude, cette médiocre antithèse. Vraiment on ne saurait dire que

Ces deux adverbes joints font admirablement.

(1) Art poétique V, 174.

Plus loin, le poète reproche à la tragédie, compromise par plus d'un raffinement, d'avoir adopté le langage obscur et prétentieux des oracles

Et tulit eloquium insolitum facundia præceps.

rendre « eloquium insolitum » par la langue la plus vulgaire, » n'est-ce pas prendre le contre-pied de l'idée d'Horace?

Voilà bien des détails, et je suis confus d'y insister, cependant c'est par les détails qu'une traduction se soutient; c'est par les détails également qu'elle s'apprécie. Mais la preuve sera concluante et l'argument plus décisif, si, m'attachant à certains traits plus excellents et qui ont laissé dans toutes les mémoires une trace plus lumineuse, j'en rapproche les équivalents que leur a substitués l'auteur français.

Voici d'abord un tableau connu, d'une grâce et d'une fraîcheur inexprimable; c'est celui de l'ombrage que le pin et le peuplier forment de leurs rameaux entrelacés. Le poète épicurien invite son ami Dellius a venir, en attendant la mort, y savourer la coupe en main, près d'un ruisseau, les joies permises. de la vie..

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Quâ pinus ingens albaque populus

Umbram hospitalem consociare amant

Ramis, et obliquo laborat

Lympha fugax trepidare rivo, (1)

la traduction rend ainsi : « la mort te guette

(1) Odes II, 3.

à l'ombre hospitalière et fraternelle des peupliers et des pins, au bruit du ruisseau qui jase en cherchant son chemin. »

Pourquoi introduire tout-à-coup dans cette scène riante le sombre personnage qu'Horace avait rélégué dans un coin du tableau? Pourquoi l'ombre fraternelle qui allonge le texte et jette un peu d'équivoque dans l'esprit ? Pourquoi effacer l'image des sinuosités du ruisseau « rivus obliquus » et des lenteurs de l'onde attardée en son cours, pour y substituer ce babillage dont Horace n'a point parlé ?

Une pièce inspirée du même sentiment, et offrant aussi ce contraste qui semble mettre une larme dans un sourire, a suggéré à Chaulieu, sinon sa touchante élégie aux arbres de Fontenay, au moins le trait qui la termine.

Et des arbres dont, tout exprès,
Pour un plus doux et long usage,
Mes mains ornèrent ce bocage,

Nul ne me suivra qu'un cyprès.

C'est tout le sens et tout l'effet pathétique du dernier mot d'Horace «nulla brevem dominum sequetur. » (1)

Janin traduit : « de tous ces arbres que ta main cultive, un seul, le cyprès ornement des tombeaux doit te suivre, ô maître éphémère de tant de biens! C'est un peu trop de mots pour rendre cet éloquent petit mot brevem.

:

(1) Odes II, XIV, 21.

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