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Je ne relèverai pas quelques erreurs de détail portant sur des mots isolés. Faire d'Ustica le nom d'une province, de Vacuna, la vieille divinité sabine qui peut représenter Diane, Cérès ou Bellone, une déesse de l'Oisiveté ; du thaliarque chargé de la royauté des festins, un ami d'Horace appelé Thaliarchus, ce sont là des fautes excusées sinon justifiées par l'exemple de quelques devanciers, et qui ne tirent point à conséquence. Je m'insisterai pas davantage sur certains procédés systématiques et d'un goût contestable, tel que celui qui consiste à composer des mots suivant la méthode de Ronsard et à dire par exemple: la rire - Lalagé (1), le souffle - avril (2), Orion le chasseur - fantôme (3), le cheval - mensonge (4), (en parlant du cheval de bois qui introduisit les Grecs dans la ville assiégée), Bolanus le brise – raison (5); ou encore : Nénas qui s'étonne en son pardedans (6) et Damalis la grande biberonne (7). On s'étonne aussi de voir l'interprète, homme de goût, sans aucun doute, prêter à son auteur un esprit dont il n'a que faire et rendre cette expression si simple: In comptum Lacœnæ

More comam religata modum

par le jeu de mots que voici :

(1) Odes I, 22.

(2) idib. 28.

(3) Odes II, 13.

(4) Odes IV, 6.
(5) Satires I, IX, 11.
(6) Epitres I, VII, 71.
(7) Odes L, 36.

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nœud qui relève tes cheveux. (4)

L'interprète a pris, pour épigraphe, ces paroles de

V. Hugo,

Ni peser ni rester.

Force m'est d'avouer que quelquefois il pèse sur le texte, et quelquefois demeure en arrière

Horace a dit :

Siccis omnia dura Deus proposuit.

Je lis dans le français : c'est si bon, le bon vin! la coupe vide est un abîme ou grouillent toutes les misères ! (2)

Plus loin, peignant tous les vices qui s'élancent de cette coupe quand elle contient l'ivresse, le poète en fait sortir l'amour insensé de soi-même (cocus amor suî); la vanité qui élève sa tête orgueilleuse et vide (tollens vacuum plus nimis gloria verticem), l'indiscrétion prodigue de ses secrets et plus transparente que le verre (arcani fides prodiga perlucidior vitro). Tout cela, dans la traduction, se réduit à ces images insuffisantes; « je serais un flot qui jase, une tête vide et laissant fuir ses secrets»- n'est-ce pas tour à tour et

peser et rester ?

On lit cette belle strophe à la fin d'une ode voisine:

Quid nos dura refugimus

Ætas? quid intactum nefasti

Liquimus? undè manus juventus

(1) Odes II, 11.

(2) Odes I, 18.

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Metu Deorum continuit? quibus
Pepercit aris? (3)

Campenon traduit : « à quels forfaits nous sommes« nous refusés ? où n'avons-nous porté nos mains sacriléges? de quel objet sacré la crainte des Dieux, « a-t-elle détourné le bras des jeunes Romains? est-il « un autel qu'ils aient épargné.» Voilà la traduction « exacte; voici l'insuffisante rédaction de Janin : « tous les crimes, nous les avons commis! toutes les impiétés nous les avons subies! »

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Les images d'Horace, même les plus brillantes, même les plus heureusement osées, n'échappent pas non plus à ce système de refonte et d'atténuation.

Dans le tableau des ombres se pressant aux enfers pour entendre Alcée, ce double trait si énergique : Densum humeris bibit aure vulgus,

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a fait place à l'expression décolorée que voici : « le poète est écouté qui parle à cette foule accourue à « sa voix. » Ailleurs, Horace décrivant les apprêts d'un jour de fête montre la flamme qui pétille et la fumée qui ondoie :

་་

Sordidum flamma trepidant rotantes
Vertice fumum.

pourquoi nous montrer cette fumée « qui, en flocons appétissants, blanchit au-dessus du toit réjoui? » à quoi bon ces hardiesses équivoques et ces vains enjolivements?

(3) Odes I, 35.

Chose singulière ! l'interprète, hardi pour son compte, est souvent timide pour celui de son auteur. Dans l'ode au vaisseau de la République, je cherche en vain cette forte pensée qui nous montre, dans les malheurs de Rome, l'effet d'une fatalité peut-être irréparable:

Tu nisi ventis

Debes ludibrium, cave.

prends garde, o vaisseau, à moins que tu ne sois condamné sans retour à être le jouet des vents.

Dans la prophétie de Nérée, une énergique alliance de mots montre Pallas préparant, contre les Troyens, « son casque, son égide, son char et sa fureur. »

Jam galeam Pallas et ægida

Currusque et rabiem parat.

C'est peut-être un souvenir de Sophocle décrivant l'armée des Sept-Chefs qui s'avance vers Thèbes comme un torrent d'armes dorées, de bruit et d'insolence. C'est, du moins, le même procédé poétique que C. Delavigne a transporté dans ses Messéniennes, en faisant dire aux captives d'llion:

Et dans les coupes d'or où buvaient nos aïeux,
Debout, nous verserons aux convives joyeux,
Le vin, l'ivresse et l'arrogance.

Il était si facile de conserver ce hardi rapprochement de l'image matérielle et du terme abstrait, qu'on s'étonne de rencontrer dans la traduction ce pâle équivalent :

Pallas prépare toutes les armes de sa colère.

Cette autre image d'une forte race grandissant par l'action des siècles et l'insensible travail d'une végétation laborieuse,

Crescit occulto velut arbor œvo,

n'est-elle pas rendue, dans cette phrase, « grandir « semblable aux branches naissantes de chêne » avec une négligence qui détruit tout l'effet et qui emporte, du même coup, l'éclat de la forme avec la noblesse de la pensée ?

En revanche, la vieille femme de la Sabine qui, agitant son urne fatidique (divina mota anus urna) prédit au poète enfant qu'il mourra assassiné par les bavards, avait-elle besoin de nous être présentée sous les traits d'une vieille sorcière qui a lu sans ânonner, dans les dés de son cornet?

Ce dernier changement pourra paraître insignifiant, mais que de beautés se sont ainsi affaiblies et voilées sous de capricieuses transformations ! C'est, dans la fable des deux pigeons, le ravissant paysage contenu en raccourci dans ce fragment de vers «musco circumlita saxa nemusque » qui perd dans le français, avec sa précision savante, la meilleure partie de son charme discret : « Je vis à la campagne, au fond des bois, au bord de l'eau qui jase en courant dans son lit de mousse et de petits cailloux. >>

O imitatores, servum pecus! ut mihi sœpè
Bilem, sæpè jocum vestri movêre tumultus !

Cette apostrophe aux plagiaires, cette vive image,

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