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sur les opérations politiques et militaires; qu'ils aillent soit du côté de Bâle ou de Genève, qu'ils s'emparent même de cette ville, s'ils peuvent de là avec leurs seuls moyens faire des excursions sur Lyon et une diversion favorable aux Piémontais. De ce côté, ils n'ont point de siège à former et des montagnes leur offrent un genre de guerre dont leur désordre est susceptible. Revenons encore à dire que, s'il faut renoncer au projet de reconquérir toute la France, il faudra aussi que les Français à leur tour renoncent à celui d'en conserver tout le territoire.

Ils sont forts contre nous de l'impossibilité de reconstituer la monarchie sur l'étendue entière de cette vaste contrée.

Nous serons forts contre eux de l'impossibilité d'y constituer de leur part une seule république.

Nous aurons pour nous et l'opinion générale qui a dès longtemps prononcé cette impossibilité et la force des choses, plus puissante que celle des hommes.

Mais, pour que ce plan réussisse, il est important d'en suivre l'exécution avec célérité et avec vigueur. Aucun sacrifice ne doit être épargné; l'économie serait ruineuse et funeste. Il est pressant d'éloigner et de resserrer le foyer qui menace d'embraser successivement l'Europe, de restreindre promptement les ressources des factieux qui professent hautement la haine des rois et qui, dans la Convention nationale même, s'occupent journellement des moyens de désorganiser tous les gouvernements, de renverser tous les trônes et de bouleverser la société entière.

D'ailleurs il importe, plus qu'on ne pense peut-être, que nos troupes respirent le moins longtemps possible l'air de la contagion dans l'état où il est maintenant.

Les cours alliées ne doivent jamais perdre de vue un instant que la défection d'un seul régiment met en danger toute une armée; la défection dans une armée peut perdre l'Europe; et qui sait si les factieux ne sacrifieront pas, s'il le faut, dix millions pour désorganiser un de nos régiments?

Il s'agit donc de rectifier au plus tôt les idées, de convenir d'un nouveau point de départ, tout à fait opposé à celui qui portait l'empreinte de la cause des émigrés; et pour se résumer brièvement sur les objets essentiels de ces remarques, elles tendent à démontrer :

1° Que d'après l'état actuel de l'opinion, il faut renoncer à une contre-révolution par les effets de l'opinion;

2° Que 24 millions d'hommes ne peuvent être comprimés par

la force des armées, puisqu'elles ne sauraient agir partout, ni rester partout.

3° Qu'il n'y a plus à opter entre le parti d'abandonner ou de continuer la guerre, parce qu'il faut la faire en France ou la soutenir chez soi;

4o Que le but de cette guerre doit être moins éloigné afin d'être sûr de l'atteindre, d'où il suit qu'il convient de convertir la guerre politique en guerre purement militaire;

5o Qu'autant il serait difficile aux puissances confédérées de reconquérir toute la France, autant il sera impossible aux Français d'en conserver le territoire ;

6° Que dans l'exécution de ce plan, qui exige de la célérité, de grands moyens et une sage profusion dans les frais de première mise, il est important de bien choisir les cantons à occuper, c'est-à-dire les provinces les plus riches, les plus avantageuses aux opérations militaires et les plus propres à servir de gages aux dédommagements que les puissances auront à prétendre ;

7° Que du coté des Pays-Bas des points de force, des villes de guerre sont nécessaires à tout prix pour se mettre à couvert des invasions, auxquelles ces provinces se trouvent entièrement ouvertes;

8° Que ce sera seulement à partir d'une pareille position que l'on pourra raisonnablement entreprendre de gagner du terrain pied à pied, en rétablissant l'ordre et la tranquillité dans chaque canton subjugué;

9° Qu'il faut achever progressivement chaque canton avant de s'étendre plus au loin, en chassant devant soi soldats, volontaires, factieux, et ne laissant derrière soi que des hommes paisibles, contents ou soumis;

10° Que ce plan, qui n'offre d'abord que des succès partiels et successifs peut seul conduire à un succès complet, avec l'avantage présent et certain de fournir au moins en partie aux frais de la guerre, à en diminuer les dangers et à resserrer les républicains dans des contrées dépourvues de forteresses, où leur système insensé et atroce leur fera éprouver des maux plus pressants, plus destructifs peut-être que ne leur en préparent les armées destinées à les combattre.

ALQUIER

ET

LES MASSACRES DE VERSAILLES

Dans son Histoire de la Terreur, Mortimer Ternaux a consacré cinquante pages aux massacres de Versailles, où il ne semble pas avoir apporté assez de sang-froid dans l'examen des accusations qu'il a formulées contre Danton.

Voici comment, à ce sujet, il mit en scène un témoin qui, d'après lui, corrobore la déposition d'Alquier :

Pendant ce temps-là (c'est-à-dire, tandis que les corps administratifs correspondent avec Roland), Alquier, le président du tribunal criminel, ancien Constituant, court à Paris avertir le ministre de la justice de ce qui se passe. Mais ce ministre était Danton (1), ce représentant de la justice était le chef des assassins. Alquier parvient à grand peine jusqu'à lui, il expose les dangers que présentent ces attroupements d'hommes armés, mêlés d'agents provocateurs, qui depuis quelques jours arrivent à Versailles, il demande s'il doit interroger les accusés aussitôt leur arrivée : « Que vous importe? l'affaire de ces gens-là ne vous regarde pas », répond brusquement le ministre, remplissez vos fonctions et ne vous mêlez pas d'autre chose. « Mais, Monsieur, objecte le magistrat, les lois ordonnent de veiller à la

(1) Ternaux ignorait, sans aucun doute qu'Alquier, depuis l'ouverture de la session de l'Assemblée électorale à Saint-Germain, n'avait plus paru à Versailles. Président de cette assemblée, il espérait être nommé député, comme il le fut, en effet. Sa présence dans les corps administratifs de Versailles n'est mentionnée ni avant ni après la journée du 9 septembre.

sûreté des prisonniers.» «Que vous importe, s'écrie Danton, sans répondre directement aux paroles d'Alquier, et ayant l'air de se parler à lui-même, et en marchant à grands pas, il y a parmi eux de bien grands coupables; on ne sait pas encore de quel œil le peuple les verra et jusqu'où peut aller son indignation ». Alquier veut encore parler, mais le terrible ministre lui tourne le dos et le magistrat sort de l'hôtel de la place Vendôme, désespéré, avec la certitude que les prisonniers sont perdus. »

Et Mortimer Ternaux, satisfait de la petite scène dramatique qu'il vient de composer, ajoute en note: Tous ces détails sont tirés d'une lettre datée du 25 nivôse an V, écrite par Gillet, qui, d'accusateur public près le tribunal de Versailles, devint député de Seine-et-Oise au Conseil des Cinq Cents (1).

On voudrait croire à l'existence de cette lettre; à qui était-elle adressée ?

Ce n'est pas une analyse que réclame l'histoire, c'est le texte même de Gillet; mais ce dernier n'avait pas besoin d'éclaircissements postérieurs de plusieurs années; il était venu habiter Versailles un an avant les funestes journées; comme accusateur public, il avait forcément dû être mis au courant de tout ce qui se disait sur ces massacres; il n'ignorait pas qu'Alquier n'avait pas paru à Versailles

(1) Il faut faire connaître un peu mieux la personnalité de Gillet, dont le témoignage épistolaire est invoqué par Ternaux :

« Gillet (Jean-Claude-Michel), dit le Dictionnaire des Parlementaires, naquit à Argenteuil en 1759, où il succéda à son père, en qualité de procureur fiscal (1783). Ces fonctions, à demi-féodales, s'achetaient et se transmettaient comme un bien patrimonial. - Adoptant les principes de la Révolution, Gillet fut élu, en 1790, procureur-syndic du district de Saint-Germain-en-Laye, fonctions qu'il occupa jusqu'en novembre 1791, où il fut nommé accusateur public près le tribunal criminel de Seine-etOise. C'est à ce titre qu'il eut à instruire peut-être l'affaire des chauffeurs, dont parle le Dictionnaire des Parlementaires; mais surtout celle des massacres du 9 et 10 septembre, à Versailles, en l'an III et en l'an IV, affaire dans laquelle il y eut dix condamnations capitales de prononcées. En l'an VII, Gillet était élu, le 29 germinal, membre du Conseil des Cinq Cents pour trois ans.

Comme Alquier, il se rallia au 18 brumaire.

depuis le 2 septembre jusqu'au 12; car c'est seulement dans la séance du mercredi soir que le président de l'Assemblée électorale obtient un congé ainsi motivé: « Le président Alquier a demandé pour aller à Versailles y remplir ses fonctions au tribunal criminel, relatives aux événements récents qui ont eu lieu dans cette ville, un congé, qui lui a été accordé (Séance du 12 septembre, 3 heures de relevée). » On se demande si Lavallery, secrétaire de l'Assemblée électorale, n'a pas eu, en précisant cette autorisation à s'absenter, le dessein de persiffler le président, d'autant plus que, dans la séance permanente du 11 septembre, à 1 heure après minuit, il avait été dit : « L'un des citoyens envoyés sur les routes a rapporté que tout était calme à Versailles; son récit a été confirmé par celui d'un autre citoyen arrivant de Versailles. » Mais, admettons un moment comme authentiques les propositions faites par Alquier à Danton : le ministre pouvait-il autoriser le président du tribunal criminel à connaître de cette affaire?

Alquier n'était ni haut-juré, ni grand procurateur, il n'avait aucun titre à être chargé d'une semblable mission. Danton pouvait-il de sa propre autorité l'investir d'un pouvoir extraordinaire? Mais il y avait un décret de l'Assemblée législative qui renvoyait les prisonniers d'Orléans devant la Haute-Cour, dont le siège était transféré à Saumur. Pourquoi ce transfert? probablement parce qu'on craignait que les hauts-jurés ne fussent l'objet d'obsessions de la part de la population d'Orléans, et Saumur, ville d'une moindre importance, offrait plus de sécurité. Le ministre pouvait-il changer la juridiction et substituer un tribunal ordinaire à un autre d'un ordre plus élevé? Mais c'était violer la Constitution. La Haute-Cour, siégeant à Orléans, était déjà accusée de faiblesse et même de trahison. Remettre l'instruction d'une affaire d'une telle gravité à un simple tri

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