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de ceux qui devaient être fondés à disposer de la propriété. Mais une partie des biens ne devait pas être réclamée, et à son égard le rapporteur disait : « Enfin le comité a prévu que >> les suites inévitables des persécutions d'un siècle entier, les >> malheurs, les chagrins attachés à une expatriation forcée, >> avaient pu anéantir plusieurs familles ou en disperser les mal>> heureux rejetons dans des climats lointains. D'après cette idée » affligeante, il a dû jeter encore dans l'avenir ses regards in>> quiets, et conserver pour ces Français expatriés ou méconnus, » le prix des biens qui, dans le cours de trois années, ne trou» veront pas de maître légitime: car la nation ne peut jamais » s'approprier sans crime des patrimoines couverts de deuil et » de larmes. >>

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L'article 20 de la loi du 9-15 décembre 1790 correspond à cette partie du rapport; il est ainsi conçu : « Après l'expiration » du délai de trois années fixé pour se pourvoir en mainlevée, » les biens pour lesquels il ne se sera présenté aucun demandeur » en mainlevée, seront vendus dans les mêmes formes que les >> biens nationaux, pour le prix en provenant être placé en capi» taux, ou déposé dans les caisses de l'extraordinaire, et être » restitué sans intérêt aux religionnaires ou à leurs héritiers, » dans quelque temps qu'ils se présentent, en justifiant par eux » de leur descendance ou titre d'hérédité, suivant les formes ci>> dessus. >>

La loi du 9-15 décembre 1790 a donc laissé les baillistes sous l'empire de la législation spéciale qui avait donné naissance aux titres de leur possession, titres non-seulement impuissants pour leur donner un droit quelconque de propriété sur le fonds, mais qui s'opposent perpétuellement à ce que ces baillistes altèrent dans leurs mains le caractère précaire de leur possession.

L'exercice du droit résultant de la condition résolutoire insérée dans les baux à rente perpétuelle, n'a plus été soumis, depuis 1790, à la volonté du roi; il a été transporté au religion

Le délai de trois ans accordé aux ayant-droit des religionnaires par l'article 2 du décret du 9-15 décembre 1790, pour se pourvoir en mainlevée des biens, a été prorogé pour trois années à partir du 20 septembre 1792, par un décret de ce jour ceux de ces biens qui n'ont pas été réclamés sont donc devenus aliénables le 20 septembre 1795 ( 4 complémentaire an III).

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naire qui obtiendrait l'envoi en possession, et, à son défaut, à un negotiorum gestor que le législateur lui a donné dans l'administration des domaines, pour régir et administrer ses biens en son lieu et place. Ce législateur a permis à l'administration des domaines de vendre les immeubles si le religionnaire ne réclamait pas, dans un délai fixé, l'exercice personnel de ses droits.

Le comité des domaines de l'Assemblée constituante a examiné la question de savoir si le dernier bail général consenti au sieur Piotton pour neuf années, à dater du 1er janvier 1788, devait être résilié, et a proposé en 1791 un projet de décret tendant à ce qu'il fût exécuté jusqu'à son expiration : ce projet, à raison de la fin des travaux de l'Assemblée constituante, ne fut pas discuté; mais il est constant que l'administration des domaines n'a été chargée de la régie de ceux des biens des reli. gionnaires fugitifs qui n'avaient point été restitués, qu'à dater du 1" janvier 1797 (12 nivôse an V). Une partie de ces biens est encore soumise à cette régie, une partie beaucoup plus grande a été restituée, une autre a été aliénée, enfin des détenteurs qui, à la faveur des troubles de la Révolution, avaient refusé tout payement aux préposés du fermier Piotton, ont usurpé les biens qu'ils détenaient à titre précaire.

Deux arrêts de la cour royale de Rouen, des 15 juin 1837 et 27 juin 1847, un autre de la cour royale de Poitiers du 24 avril 1845, et un grand nombre de jugements de tribunaux de première instance, ont reconnu qu'au domaine seul, dans l'absence ou le silence des représentants des religionnaires fugitifs, il appartient de se ressaisir des biens concédés à titre de bail à rente sous clause résolutoire, et ont ordonné aux héritiers des baillistes de les délaisser.

La prudence veut donc que lorsqu'on acquiert des biens de cette origine, on examine avec soin les titres de propriété.

Nous terminerons cette notice en ajoutant que, dans les duchés de Bar et de Lorraine, les religionnaires furent traités avec la même rigueur que ceux de la France; leurs biens furent confisqués sans jugement préalable et réunis au domaine des ducs,

Hist. de Lorraine, t. VI, liv. 35.

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qui ont toujours joui des revenus sans mettre ces biens en régie particulière, ainsi que l'avait fait Louis XIV. La Convention a, par un décret du 17-23 juillet 1793, ordonné la restitution de ces biens.

A l'égard des protestants d'Alsace, les traités de Westphalie, signés en 1648 à Munster avec les catholiques, et à Osnabruck avec les protestants, traités qui ont réuni cette province à la France, leur avaient assuré des droits qu'un décret du 17-24 août 1790 a confirmés.

PAGART.

Des lettres de change d'après le Code de commerce
et le nouveau projet de loi pour l'Allemagne.

Par M. BERGSON, docteur en droit.

Les principaux défauts du Code de commerce tiennent à ce que ses rédacteurs se sont trop attachés à suivre l'ordonnance du commerce de 1673: ils n'ont pas tebu assez compte des progrès immenses que le commerce des lettres de change a faits en France depuis Louis XIV; une loi qui pouvait être excellente sous le règne de ce prince ne convient plus à l'état actuel des choses.

Le probleme à résoudre en cette matière par le législa— teur est d'assurer à la leite de change la qualité de former, dans tou es les circonstances poss.bles, un moyen d'échange ou d'équivalent du numéraire. »

(MITTERMAIER, Revue étrangère ét française, 1840, pages 832 et 866.)

SECTION I.-Considérations générales.

1. Le nouveau projet de loi prussien sur les lettres de change à obtenu dès sa publication un accueil comparable à celui qui a salué, il y a quarante ans, la promulgation du Code de commerce. Les jurisconsultes lui accordent des éloges unanimes. L'auteur de la loi hongroise publiée le 13 mai 1840, M. Wildner', admire ce projet, « qui laisse de côté tout ce qui appar

V. la traduction de son article critique sur le projet, dans la Revue de législation du mois d'octobre dernier, p. 146.

tient à la routine, pour ne s'attacher qu'aux véritables principes de toute bonne législation sur les lettres de change; » ses dispositions, « qui se développent dans un langage si simple et si juste, avec une telle rigueur de déduction et une précision si étonnante; » et il émet le vœu « qu'il devienne le droit commun de l'Allemagne entière. » Ce vœu à peine émis se réalise en ce moment même. On a vu, et c'est un fait remarquable, les commissaires assemblés au congrès de Leipzig, arrivés chacun avec un projet différent, projet de Saxe, projet de Wurtemberg, de Nassau, de Brunswick, de Brême, les abandonner l'un après l'autre, prendre pour base de leurs délibérations le projet présenté par la Prusse, et l'ériger en projet de loi commun. En ce moment, les chambres sont appelées à délibérer sur l'adoption de cette première œuvre législative de l'Allemagne moderne réunie1. « Cette première tentative pour arriver à une loi allemande générale,» a dit le grand-duc de Hesse dans le discours d'ouverture de la session actuelle, « a été couronnée du plus complet succès, grâces à la bonne volonté et au grand zèle qui ont été apportés de toutes parts; » et la deuxième chambre a répondu à cette allocution: « Nous saluons avec une joie sincère la présentation du projet d'un droit de change général, sorti des délibérations communes du congrès auquel presque tous les États allemands ont envoyé des représentants. Que ce commencement, ayant conduit au but désiré, puisse produire la conviction que le droit tout entier est susceptible d'être traité de la même manière pour le bonheur de la patrie commune. » Un langage semblable a été tenu à l'ouverture des chambres de Bade et du Wurtemberg.

2. Lors de la rédaction du projet en Prusse, on ne s'est pas seulement attaché à laisser de côté toutes les dispositions non essentielles, et à lui imprimer ce caractère de généralité qui en a amené la prompte adoption par l'Allemagne entière; mais on a poursuivi en même temps un autre but. Nous avons vu que les

Les chambres, en votant sur le projet, devront en prononcer l'adoption ou rejet pur et simple, sans pouvoir y introduire aucune modification. Le congrès de Leipzig a adopté cette résolution, conformément aux propositions du gouvernement prussien. V. notre Revue de l'année dernière, p. 769.

réformes qui ont été opérées en Prusse par les lois du mois de juillet 1845, dans la procédure civile et criminelle, portent un cachet tout local, j'oserai presque dire prussien: on a avancé d'un pas ferme, mais aussi bien modéré, dans la voie tracée par la législation française '. Les considérations qui ont présidé à la rédaction des lois de juillet, et ont empêché de leur donner une allure plus hardie, n'existaient point pour le projet actuel. Là on a fait entrer pour les vivifier, dans des institutions qui avaient fait leur temps, des éléments nouveaux, et on s'est borné, pour le moment, à rapprocher la procédure usitée dans les anciennes provinces de la procédure en vigueur dans les provinces rhénanes, sans tenter leur fusion; ici on a voulu remplacer par une seule loi des lois diverses, substituer au droit de change établi par le Code de commerce, par le Code général et par l'usage commun de l'Allemagne, un droit unique. Pour cette triple législation, on a voulu trouver une expression supérieure. On s'est surtout attaché de nouveau à l'œuvre française, mais cette fois dans le but de la perfectionner en se l'appropriant. Le modèle devait être surpassé par l'imitation; et, à en juger par le succès que celle-ci a déjà obtenu, on peut croire que l'entreprise a réussi.

Il est facile de poursuivre les traces de cette tendance dans l'introduction et dans les motifs du projet. Voici comment s'exprime à cet égard l'introduction:

« Lors de la révision du droit de change, commencée en Prusse il y a longtemps, on est dès l'abord parti de l'idée de remplacer la triple législation en vigueur chez nous, savoir celles du Code général, du Code de commerce rhénan et du droit commun allemand, par un droit de change unique et général.

» Le projet, dans sa méthode, se rapproche plus du Code de commerce rhénan que du Code général. Il en est de même sous le rapport matériel, les dispositions du Code de commerce ayant obtenu à divers égards une valeur européenne. Ce Code toutefois, pas plus que le Code général, n'a pu être pris pour base véritable, en ce sens que dans tous les points essentiels, en adoptant ses principes, on n'aurait eu qu'à en combler

1. la Revue de l'année dernière, p. 41, 130 et 201.

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