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son sommeil, harmonies courant sur la lyre du poète errant, pareilles à des mélodies du jonr qui s'en va et qui, soupirant, s'exhalent et meurent.>>

C'est une musique que cette poésie, mais, par cela même, difficile à suivre et à rendre dans sa sinueuse fluidité. L'interprête de vers semblables accepte une tâche laborieuse, plus difficile encore que celle qu'impose à son traducteur la parole précise, énergiquement précise d'un Shakspeare ou d'un Milton: Bowles, c'est, dirais-je, sous le rapport musical, du Spenser plus ému, plus émouvant.

« Pauvreté, ô pauvreté, s'écrie ailleurs le poète atteint par la vie, comme tu as brisé le plus cher rêve de l'amour! Quoique, sur ton front austère, nulle trace ne subsiste des joies du jeune temps, qui meurent dans le froid du cœur, avec toi je forme une alliance sévère, content, si je suis pauvre. » Du temps seul le poète attend adoucissement, sinon consolation, et il lui adresse un appel touchant :

>> O temps qui sais poser très-doucement une main apaisante sur la blessure du chagrin, et lentement engageant au doux repos les sens fatigués, en retires l'angoisse confiée au lointain passé, je veux t'appeler ma dernière espérance, je veux croire, quand tu auras séché la larme amère qui a coulé en vain sur tout ce qui m'était cher, je veux croire que je pourrai jeter en arrière un regard sur mes souffrances de jeunesse, et aller avec un sourire au devant du soir paisible de la vie : tel un oiseau solitaire, à l'heure du jour qui s'en va, chante sous le rayon de soleil, oubliant, ses ailes encore mouillées, la pluie de tantôt; mais, hélas! combien il doit souffrir ce pauvre cœur qui espère de toi, de toi seul sa guérison!»

Mais le plus beau, le plus musical de ces sonnets qui, tous, sont une musique délicieuse, c'est celui qni a pour titre Ostende, en entendant les cloches en mer:

<< Combien doux est le branle des cloches harmonieuses

répondant à nos pensées (responsive peal)! Telle, à l'aube

du jour, la brise odorante touchant les sens tremblants du pâle malade, aussi perçante leur force est à mon cœur. Ecoutez! tantôt leur cadence soupire affaiblie, tantôt sur la mer blanche et nivelée, elles répandent leur musique mélancolique. A leur appel revit la tendre pensée des belles heures évanouies, de ces années qui devancent le beau printemps de la vie, alors que du haut d'une tour antique la magic attristée de leur branle éveilla mon enfance aux larmes ! Mais maintenant que ces jours s'en sont allés, ces mélodies me semblent être les sons de la joie autrefois entendus et que je n'entendrai jamais plus. »

Le poète a longuement parcouru divers pays, à chacun d'eux successivement demandant un peu de consolation, un peu d'oubli ; il a vu les bords du Rhin, les rives de l'Escaut, les vallées de la Suisse, la France, je ne sais, il la laisse à Goldsmith et à Sterne; et maintenant le vaisseau qui le ramène va toucher l'Angleterre ; de la mer il adresse un salut à son pays:

Oui, de mes yeux jaillissent des larmes involontaires, alors que toi, mon pays et tes collines, depuis longtemps étrangères à mes yeux, élevant leurs sommets blancs audessus des flots, une fois encore mon cœur qui bat vous salue avec une ardeur d'espérance et un filial transport! Lieux témoins de ma jeunesse, vous rendez les brises revivifiantes, comme au temps où la matinée harmonieuse du printemps s'éveillait dans les parfums au sein de vos vallées fleuries d'aubépines, et remplissait de senteurs les chemins du village; parties sont ces heures, parties toutes les joies qui venaient avec elles ! Cependant mon œil va vous chercher toujours, et compte un à un les flots qui s'élèvent, me rapprochant de ma demeure; et je leur demande si, parmi ces bois si magnifiques, ces si belles vallées, étranger à la Paix, je l'y peux retrouver pourtant. »>>

Et maintenant le pèlerin a revu son Angleterre; il a touché le sol de son pays, plus cher peut-être et plus atti

rant à mesure qu'on y a plus souffert; il revoit Oxford, il va reprendre possession de son humble cure sur les bords du Cherwell; il demande à la petite rivière la bienvenue par un sonnet bien émouvant:

« Cherwell, avec quel plaisir le long de tes bords couverts de saules j'errais antrefois, quand le matin commençait à teindre la flèche dorée de la tour, quand le soir étincelait sur les joncs pleins de soupirs! Et maintenant, couché une fois encore sur tes rives, je dis adieu au roseau du poète, à cette chanson attristée dont je recherchais la musique en mes pélerinages mélancoliques; sous tes saules qui ondulent, blanchissants, je cherche le repos jusqu'à ce que le soleil de la joie, revenu, m'envoie un rayon, comme quand l'humide arc-en-ciel brille silencieux au dessus de la tempête qui s'éloigne quel que soit mon sort, pourtant j'ai atteint à quelque consolation, qui peut me soutenir, non sans sérénité, jusqu'à ce que la main sombre du soir vienne abaisser le rideau sur la scène bientôt close.»>

Je ne sais pas si je suis parvenu à rendre par ma traduction quelque chose de l'impression harmonieuse de cette poésie savamment naturelle. Si tout s'est effacé, c'est ma faute; mais assurément, dans toute la riche poésie anglaise je ne connais rien de si musical que les vers de Bowles, non pas même ceux de Pope dans l'Héloïse, ceux de Goldmith dans le Traveller, ceux de Thomas Warton partout; on n'y pourrait comparer, je crois, que l'Ode au Soir de Collins; ou il faudrait remonter au Comus de Milton, mais ce poème est d'un ordre trop supérieur aux exquises miniatures de William Bowles. Tout au plus pourrait-on rappeler à ce propos l'Allegro et le Penseroso du grand poète.

Les années se sont écoulées; le poète a vieilli dans les devoirs assidûment remplis de son sacré ministère; mais le temps qui a amené l'adoucissement espéré des souffrances d'autrefois, n'a point amené l'indifférence; le poète n'a point oublié, et grâces lui en soient rendues, la chère appa

rition; voici un dernier sonnet, celui qui clôt cette série: << En rencontrant par hasard une dame qui maintenant n'est plus.

<< Ecrit bien des années après les sonnets précédents.

<< Quand, pour la dernière fois, nous nous sommes séparés, tu étais jeune et belle; combien belle, que l'amoureuse mémoire le dise! Hélas! depuis lors, le vieux temps a marché, me dérobant près de quarante années, et laissant nues mes tempes: ainsi donc il a péri comme une chose aérienne, le rêve de l'amour et de la jeunesse ; mes cheveux maintenant ne sont plus noirs; cependant, toujours me souvenant des enchantements de la jeunesse, quoique le temps ait changé mon visage et blanchi ma tête; quoique avec peine me rappelant une heure de tristesse, jamais ne pensant, si longtemps que je pusse vivre, et, après une si longue séparation, entendre encore cette voix ; je puis te saluer d'un triste mais cordial salut, je puis soupirer pour ton bonheur, ô Madame, une prière aussi ardente que quand je t'aimais jeune et belle.»>

plus

Vous le savez, les épreuves du poète ne sont pas finies; une autre et plus cruelle déception lui est réservée cruelle, puisque cette fois c'est la mort qui se charge de l'infliger. Le poète aime pour la seconde fois; l'enchantement de cette seconde et pure affection remplit le printemps et l'automne de l'année 1793, et le poète en jouit avec plénitude; il exprime son bonheur dans plusieurs sonnets dont je choisis seulement celui-ci ; il porte cette date: « Printemps de 1793.»

« Comme celui qui longtemps miné par la maladie qui détruit, lassé, a veillé pendant toute une nuit sans fin, et découragé, a entendu la chanson de l'oiseau du matin sous son porche solitaire, maintenant à l'aube il sort, quittant son lit de souffrance: il contemple la verte colline, la prairie du vallon, délicieusement baigné de la fraîche rosée qui lentement s'élève; il suit les nuages qui, au-dessus de la

tête de la montagne, errent, blancs et prenant des formes fantastiques et changeantes; ou encore il ouvre son oreille aux chants qui s'élèvent, entendus au long de la rive sinueuse de la verte rivière: cependant tous ses sens sont baignés dans de plus paisibles délices; ainsi sur ma poitrine je sens passer le souffle du jeune été chargé d'une pure senteur et d'un encens qui est la guérison. »

Voilà ce que disait le poète, inspiré par d'heureuses espérances, au printemps de 1793; voici maintenant ce qu'étaient devenues ces espérances un an après, au printemps de 1794:

« Mai 1794.

<< Comment irai-je au-devant de toi, été, qui jadis remplissais mon cœur de joie, alors que venaient tes premières heures plaisantes, et que, sur la pente romantique de la vallée, s'entendait la note que jette le bec sonore du coucou? De nouvelles fleurs borderont la rive du ruisseau, alors que des chants de joie et d'espérance monteront bruyants de la profondeur des haies, et que sur les pentes les peupliers brilleront sous le rayon qui les touche; les chèvrefeuilles et les lauriers que j'aimais à soigner, pensant que leurs parfums en mai exhalés te charmeraient paisibles, ô ma pauvre amie, pousseront leurs verts rameaux et réjouiront la vue. Mais, d'un œil attristé, je verrai leurs couleurs, pleurant sur celle qui est couchée dans la terre froide. >>

C'est fini dès lors, les heures romantiques sont passées, et quoique le bonheur puisse venir encore il viendra il n'amènera plus dès lors ces extases et ces fièvres auxquelles et auxquelles seules nos illusions juvéniles veulent attacher le bonheur; le poète écrira encore bien des vers, mais il ne retrouvera plus, plus jamais, ces accents qui m'ont charmé, je voudrais pouvoir dire qui nous ont intéressés ; il écrira des sonnets sur un beau Paysage (p.100), sur le Sablier et la Bible (p. 104); aux soirées d'été, sous

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