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a été gravé par Jean-Georges Wille (1), graveur du Roi, cet ami dont Greuze a fait un si beau portrait (2), et qui a joui, au XVIIIe siècle, d'une réputation méritée par un dessin correct, un burin hardi, brillant, varié, dont les effets piquants, obtenus pour ainsi dire sans noirs et sans contrastes, ont pu être égalés, mais n'ont jamais été dépassés depuis.

Troyes, le 30 juin 1876.

(1) Cabinet Paignon-Dijonval, p. 293, no 8,409.

(2) Ancienne galerie Delessert, actuellement dans la collection de M. Edouard André.

BOWLES ET SES SONNETS

PAR

M. CHARLES DES GUERROIS

MEMBRE RÉSIDANT

A la suite des grands poètes qui ont tant illustré, en Angleterre, le commencement du dix-neuvième siècle et la fin du siècle précédent, Cowper, Wordsworth, Coleridge et Southey, lord Byron, sir Walter Scott et Shelley, Burns encore et Thomas Moore, le premier, qui a rempli les chaumières et les campagnes de l'Ecosse de ses chansons éclatantes, l'autre, qui a charmé les salons de l'Angleterre de ses mélodies faciles, l'esprit distingue un poète d'un moindre vol, mais d'un talent sincère, délicat et tranquille; c'est l'auteur de quelques poèmes qu'on lit peu, et d'un assez petit nombre de sonnets d'une inspiration si touchante qu'ils sont assurés de vivre quand se seront éteintes dans l'oubli bien des compositions plus ambitieuses. Celui-ci vient à si longue distance des poètes que j'ai dits, Banwell-Hill est si loin de la Tâche de Cowper, de l'Excursion de Wordsworth, du Vieux Matelot de Coleridge, de Childe-Harold et de Marmion, qu'il semble presque qu'il soit déplacé et de mauvais goût de le nommer après ces maîtres. Non, cependant, ce n'est pas déplacé, et ceux qui auront lu les sonnets peu nombreux auxquels j'ai fait allusion, les Scènes et Ombres des Jours évanouis, comprendront que je n'aie

pas hésité à associer à l'illustre pléiade le nom modeste du recteur de Bremhill, du chanoine de Salisbury, William Lisle Bowles.

I.

Bowles est un poète de second ordre, mais ce n'est pas un poète médiocre -ce qu'on pourrait dire également de Charles Lamb avec ses sonnets; de Keats, l'auteur d'Endymion; de Thomas Hood, l'auteur de ce Chant de la Chemise qui a passionné l'Angleterre; de mistress Felicia Hemans, le poète des Affections domestiques, et en remontant plus haut, de Goldsmith lui-même, le poète délicieux et à jamais adoré du Village abandonné, du Traveller. Non, ce n'est pas un poète médiocre, celui que Southey a reconnu, que Coleridge a admiré, dont l'auteur de Thalaba a proclamé en termes exprès l'influence heureuse sur sa propre poésie.

Le 8 mai 1769, une chaise de poste partait de l'hôtel de l'Ange (Angel Inn), rue de Redcliff, à Bristol-Bristol, Redcliff, noms à jamais associés à la mémoire de Chatterton, qui alors vivait et peinait, à la veille d'aller s'empoisonner à Londres, forgeant dans un grenier et écrivant, sur des bouts de parchemin, ses vers du quinzième siècle. La chaise contenait un ecclésiastique de moyen âge ayant l'air d'un gentleman, une dame à l'aspect imposant et deux enfants, un petit garçon et une petite fille, le petit garçon coiffé d'un chapeau blanc à galon d'or faisant le tour de la forme, et vêtu d'une jaquette ou veste bleu de ciel. Le petit garçon se penchait vivement à la portière pour regarder très-attentivement l'église de Redcliff- celle de Chatterton pendant que la petite fille, non moins curieusement, regardait les boutiques par l'autre portière. La chaise cependant,

suivie d'une autre voiture contenant cinq autres enfants sous la garde des domestiques, montait péniblement la colline et allait sortir de Bristol.

Cet ecclésiastique était le révérend Thomas Bowles, la dame imposante était sa femme, le petit garçon en jaquette bleue était leur fils, le futur poète, les six autres enfants complétaient cette florissante famille. Le père, la mère et les sept enfants venaient d'un petit village du comté de Buckingham sur les frontières du comté de Northampton, dont M. Bowles quittait la cure pour aller prendre possession d'une autre cure, celle de la paroisse d'Uphill, à l'extrémité du pays qui s'étend le long du golfe de la Saverne, paroisse à laquelle il venait d'être appelé par le Chief-Justice Willes. Les coffres des voitures étaient remplis de livres, compagnie fort convenable pour un ecclésiastique.

Si j'ai mentionné ce voyage, si j'ai mis sous vos yeux cette chaise quittant Bristol et s'élevant progressivement pour embrasser un horizon d'instant en instant plus riche en beautés de la nature, croyez bien que ce n'est pas par un vain amour du pittoresque; c'est parce que nulle circonstance, fût-elle en apparence indifférente, n'est à négliger dans la vie des poètes; c'est que l'observateur et le critique doit se rendre un compte exact des impressions qui ont pu et dû concourir à éveiller, à former, à inspirer une intelligence de poète; c'est que ce voyage, en effet, avait laissé un durable souvenir dans l'esprit du petit William ; soixante-huit ans après, fermant les yeux dans le jardin de son élégant presbytère de Bremhill, il revoyait, de son œil intérieur, les scènes qu'avait contemplées son regard d'enfant, et avec reconnaissance, avec bonheur, il se rappelait le père qui les lui avait fait admirer; d'une plume qui ne se sent pas de la vieillesse (au moins dans ce passage), il nous a raconté cette heure émue de sa septième année; cette page fait partie de l'intéressante Introduction qui précède les Scenes and Shadows:

« L'écrivain du présent volume, nous dit Bowles, a hérité de son père l'amour de ce qui est paysage et scènes de nature (landscape scenery), comme il a hérité de sa mère un amour de la musique, et particulièrement de la musique sacrée. S'il se trouvait dans notre voyage quelque scène remarquable, quelque lieu d'une beauté plus particulièrement attrayante, mon père, pour le visiter, quittait sa route la plus directe. C'est ce qu'il fit au sortir du bruit et de la fumée de Bristol. En conséquence, nous fìmes route à travers cette partie la plus romantique du pays, par BrockleyCoombe. Pas un mot ne fut dit en chemin jusqu'au moment où nous fûmes arrivés à ce point. Alors, mon père me prit par la main et me fit monter en silence la route pittoresque et romantique qui conduit au sommet de la colline, d'où l'on apercevait une longue et magnifique étendue de paysage; à l'horizon, la grande Saverne sous la lumière du matin; des bois, des montagnes et des villages s'espaçant à droite et à gauche; la vue bornée au nord par les lointaines collines du pays de Galles, s'abaissant et se perdant dans la distance. L'impression de cette belle nature me demeure encore présente à cette heure, et je crois que c'est à cette circonstance que je dois les premières associations qui se soient faites en mon intelligence de la poésie avec la nature pittoresque.

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Bowles a dit vrai sur la puissance durable de cette impression, et j'en trouve la preuve dans un passage du poème de Banwell-Hill, où le poète a ravivé avec une sorte d'enthousiasme ce souvenir de Brockley-Coombe. - Coleridge, lui aussi, dans un petit poème daté de 1795, a célébré ce beau lieu où venait, dans une pensée mélancolique, l'émouvoir le souvenir de sa pensive Sarah. »

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Plus loin, la voiture arrivée au sommet de la colline de Banwell, celle-là même que couronne l'église dont M. Bowles venait prendre possession, un murmure lointain, bas et continu, vaste plainte de l'infini à laquelle répond le cœur de

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