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mandai à le voir, je le soumis à la Commission du Musée qui, lui reconnaissant des qualités très-appréciables, fut d'avis de l'acheter.

Il est maintenant au Musée de Troyes, et quels que soient les outrages que, daus sa longue carrière, il ait subis de la part du temps et des homines, on peut dire de lui ce que Tallemant des Réaux disait de la beauté de la duchesse de Montbazon : « Qu'elle était si éclatante, qu'elle >> desfaisait toutes les autres au bal. » En effet ce portrait est si remarquable, la tête est si vivante et si expressive qu'il serait dangereux que notre musée renfermât plusieurs tableaux de cette qualité, parce que on ne saurait plus voir ni regarder les autres. C'est l'effet ordinaire des œuvres capitales, elles effacent les petites.

Maintenant que j'ai dit quel artiste notre portrait représente, j'aborde une question beaucoup plus délicate, celle de rechercher quel en est l'auteur? S'il est original ou s'il n'est qu'une copie ?

La réponse à la première question est facile. L'ordonnance du portrait, son arrangement, le parti-pris de lumière et d'ombre et jusqu'à cet horizon empourpré et orageux dont Van Dyck avait pris le goût en Italie, afin de réveiller par une note éclatante et faisant contraste, le sombre et l'austérité des costumes noirs usités à son époque, tout dénote Van Dyck, quand bien même on n'aurait pas son eau-forte qui est la signature du portrait. Seulement est-il de sa main? ou n'est-il qu'une copie d'après lui?

Disons d'abord que notre portrait n'a rien de commun avec celui qui a été peint pour la collection des artistes flamands. A l'époque où Van Dyck a peint le portrait du Musée de Troyes, Sneyders était plus jeune que lorsqu'il le fit entrer dans sa galerie des Cent Portraits. Son eauforte qui reproduit le dernier portrait en est la preuve, outre que la pose, les mains, le costume, les accessoires ne sont pas les mêmes dans l'un que dans l'autre.

Si le portrait de Sneyders n'est qu'une copie, nous pouvons déjà dire qu'elle est assurément ancienne et contemporaine de l'original lui-même. Les craquelures nombreuses et profondes de tous les en pâtements en sont la démonstration irrécusable. Puis la couleur ivoirienne des blancs et des parties claires, son aspect émaillé, indiquent assez que le temps, disons les siècles, ont pu seuls amener le tableau à cet état, qu'aucun artifice ni pinceau moderne ne sauraient imiter ou contrefaire. Notre portrait est donc deux fois séculaire et s'il était nécessaire d'y ajouter une preuve, nous la trouverions dans l'état de vétusté et de dégradation dans lequel il a été découvert, vétusté qui nous a été attestée par M. Paul Tillier, artiste distingué de Paris.

Notre portrait est-il original? Avons-nous eu le bonheur de mettre la main sur une œuvre de Van Dyck ? Sans vouloir l'affirmer, parce que le doute paraît plus sage et plus prudent, nous pouvons dire que son examen attentif nous a rendu très-perplexe et causé de véritables émotions. La figure est peinte avec une franchise, une maestria qui décèle le maître. Les empâtements, les retouches, les accents derniers et les plus décisifs sont posés avec une sûreté qui ne peut jamais appartenir aux copistes. On voit, on suit le jeu du pinceau dans sa soudaineté, ses mouvements et ses retours inattendus. Les yeux surtout sont extraordinaires, lorsqu'on les étudie de près on croit voir des yeux véritables, on entre au plus profond d'une pupille qui reçoit les impressions de la lumière. Or un copiste se serait arrêté à la surface en ne reproduisant que l'effet extérieur. Et lorsque je viens à songer que l'œuvre de Van Dyck se monte à plus de huit cent cinquante tableaux dont plus des deux tiers sont des portraits, encore qu'il n'ait vécu que quarante-deux ans, et que, dans ses commencements, il ait beaucoup travaillé, beaucoup peiné ses ouvrages pour établir sa réputation et apprendre à faire vite;

que je sais que Van Dyck avait l'habitude de ne jamais travailler plus d'une heure par fois à chaque portrait, qu'il l'ébauchât ou qu'il le finit; qu'il faisait poser la personne dans l'attitude qu'il avait dès l'abord étudiée et qu'il dessinait en quelques instants aux crayons noirs et blancs sur du papier gris, sa tournure et son habillement; qu'il remettait ce dessin à ses élèves pour le peindre sur la toile, d'après les habits eux-mêmes; enfin, qu'il reprenait le tout légèrement pour y ajouter les accents, la vérité et l'art qu'on y admire (1), je me demande si le portrait du Musée n'est pas la démonstration la plus évidente et en quelque sorte le produit de ces divers procédés et de la manière de peindre adoptée par Van Dyck.

Malheureusement le portrait de Sneyders a souffert dans quelques parties, et ce sont précisément les retouches et les fins glacis de la main de Van Dyck, que les restaurateurs ont, sans y prendre garde, fait disparaître. Ils ont également alourdi le rideau en y étalant leur insuffisance et leur maladresse. Ils ont osé toucher, les téméraires, à des mains que Van Dyck avait dû faire admirables. Ils ont aminci le pourpoint en voulant l'éclaircir, puis ils l'ont soumis à une teinte de leur façon qui n'a ni ampleur, ni velouté, ni surtout la chaleur des noirs de Van Dyck. C'est un malheur assurément, mais qui n'est pas irréparable. Lorsque je repasse dans mon souvenir tous les tableaux des grands maîtres qui ont été outrageusement traités dans les musées les plus vantés, je me console en reconnaissant que si à Troyes il n'y a pas d'œuvres très-remarquables, elles ont au moins le mérite d'avoir toujours été scrupuleusement respectées.

Quelque opinion qu'on ait du portrait de François Sneyders, on peut dire qu'il est précieux pour notre collection.

(1) De Piles, Cours de peinture, p. 291 et 292.

Nous devons donc être très-reconnaissants envers la Commission (composée de collègues si compétents et si amis de leur pays et de toutes les belles choses), d'avoir bien voulu lui ouvrir les portes du Musée où il ajoutera à ses anciennes richesses le spécimen du talent d'un artiste qui a été plus grand encore que son illustre modèle.

Troyes, le 1er décembre 1875.

CHARLES VII

ROI DE FRANCE

ET

JACQUES D'AUMONT

SEIGNEUR DE CHAPPES

PAR

M. H. D'ARBOIS DE JUBAINVILLE
MEMBRE RÉSIDANT

En 1430, Jacques d'Aumont possédait les seigneuries de Chappes et de Clérey; chambellan de Philippe-le-Bon, duc de Bourgogne, il était par conséquent, en Champagne, un des représentants principaux du parti anglo-bourguignon, à cette date où le passage tout récent de Jeanne d'Arc et de l'armée royale française venait de replacer la ville de Troyes sous l'autorité de Charles VII.

Jacques d'Aumont était d'origine picarde: Aumont, dont il portait le nom, est un village du département de la Somme. Les seigneuries de Chappes et de Clérey avaient été portées dans la maison d'Aumont par sa grand'mère, Jeanne de Mello, femme de Pierre II dit Hutin, sire d'Aumont, à la fin du xiv° siècle et au commencement du xvo. Ces deux seigneuries étaient arrivées à Jacques par le décès

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