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fetas bleu. A côté de cette chambre bleue se trouve un cabinet de travail où sont réunis les nombreux cahiers de musique dont nous avons parlé.

Les Boullongne préféraient sans doute la musique à la lecture. Leurs livres étaient relégués dans l'armoire d'une chambre à coucher, située à un étage supérieur. Ils étaient tous modernes, reliés en basane, et leur ensemble formait un choix assez complet des bons ouvrages édités au dernier siècle.

Toutes les ressources du confortable étaient connues et appliquées à cette époque. Près des chambres se trouve une salle de bain, où la baignoire est incrustée dans des carreaux de faïence, et qui communique avec un boudoir garni d'une ottomane et de meubles couverts en toile (1).

La chambre de la douairière de Boullongne était une des plus belles du château. Ce n'étaient pas cependant les deux commodes à la régence, les tables anglaises en bois d'acajou, ni la table en chiffonnière à trois tiroirs, qui en faisaient le principal ornement. Dans un panneau était placé le portrait de son père, le garde des sceaux Feydeau de Brou (2). A droite et à gauche de l'alcôve, au-dessus de portes dont les panneaux étaient garnis de glaces, se trouvaient, dans des cadres de bois sculpté peint en gris-blanc, des toiles peintes par Drouet représentant les attributs de la musique et de la peinture. On admirait surtout, au-dessus des autres portes, deux des meilleures productions du pinceau de Natoire; l'une, que l'inventaire révolutionnaire désigne ainsi Jupiter enlevant la femme Yo; l'autre, où le peintre avait retracé, d'une manière brillante, les amours de

(1) Un Moulin, situé près du château, faisait monter l'eau dans les appartements.

(2) Feydeau de Brou, dont la fille avait épousé Nicolas de Boullongne, fut garde des sceaux en 1762, à l'âge de 80 ans. Il fut remplacé, l'année suivante, par le père du fameux Maupeou. Journal de Barbier, t. VIII, p. 57 et 107.

Léda (1). Singuliers sujets de tableau pour orner l'appartement d'une douairière.

Il y avait d'autres chambres à coucher au rez-dechaussée. Leur décoration était moins riche. Elles étaient, pour la plupart, tendues en indienne, soit à colonnes, soit à pavots rouges. L'une d'entre elles est garnie d'étoffes brodées en laine et en soie. Une salle, renfermant entre autres quatre commodes à la régence et sept encoignures, paraît avoir servi de garde-meubles.

IV.

Les appartements destinés aux hôtes étaient au premier étage. Ils avaient reçu des personnages illustres; ils en avaient conservé les noms. Outre la chambre de l'évêque de Troyes, on montrait avec orgueil aux étrangers la chambre du cardinal, la chambre du roi et la chambre de la reine.

Un vaste vestibule, de forme ovale, les précédait. Il était tendu de toile tontisse à fond blanc, sur lequel se détachaient des bouquets verts, et décoré de neuf tableaux sur toile, où étaient représentés des attributs de musique et de jardinage. Dans une des parois de cette salle, s'ouvrait une vaste armoire, qui primitivement avait servi de chapelle ; à l'époque de la Révolution, elle était remplie de tableaux et de gravures. C'était, dit-on, une collection de chefs-d'œuvre, parmi lesquels se trouvaient plusieurs toiles estimables de Louis Boullongne, et deux ravissants petits tableaux de Watteau, qui sont conservés au Musée de Troyes (2).

(1) Il faut lire, dans l'Introduction à la Notice sur les collections du Musée de Troyes, par M. J. GRÉAU, les aventures de ce tableau, qui, après avoir été vendu 5 fr. par les domaines en 1849, a fait partie de la galerie de lord Hertford.

(2) On trouvera l'énumération de ces tableaux dans le Procèsverbal de l'Assemblée du département en 1793, p. 83, et dans l'Introduction à la Notice sur les collections du Musée de Troyes.

T. XL.

2

De nombreux meubles étaient réunis dans cette salle. Outre un canapé et sept fauteuils garnis de tapisseries diverses, il s'y trouvait un canapé et huit fauteuils en bois doré, « couverts de moire jaune, ornés de cartouches de tapisserie soie et or, représentant les Cris de Paris.» Les cartouches de quatre de ces fauteuils étaient faits avec des bourses à jetons brodées en soie et en argent. Ces meubles, qui avaient conservé une réelle valeur, puisqu'ils furent vendus 1,420 1. sous la Terreur, avaient dû faire partie de l'ameublement d'une autre pièce, car on trouve dans l'armoire d'une chambre à coucher trois morceaux de tapisserie de moire jaune, encadrés de velours vert et décorés de cartouches représentant également les Cris de Paris.

L'appartement de l'évêque de Troyes ouvrait sur le vestibule. Le château de La Chapelle était une étape heureusement située pour les évêques de cette ville dans les fréquents voyages qu'ils faisaient à Paris. Leur chambre était meublée sans luxe. Le lit, garni de damas bleu, est entouré de rideaux de soie de même couleur. Les fauteuils en bois sculpté sont converts en tapisserie. Une bergère, à rondin et à coussin de plume, est garnie d'une indienne à grands ramages et à perroquets. La chambre de l'évêque communiquait avec une autre chambre tendue en damas vert, et avec des chambres de domestiques.

La chambre du cardinal avait été plus richement décorée. Elle était éclairée par trois fenêtres, et le lit était surmonté d'un baldaquin à impériale en vieux taffetas de Paris sur fil rayé vert et blanc. Au-dessus du trumeau était encadré, dans la boiserie, le portrait du cardinal de Fleury. Il avait été l'ami du père de Philibert Orry, et s'était souvent arrêté à La Chapelle, lorsqu'il se rendait à son abbaye de Larrivour.

Le château de La Chapelle avait aussi été honoré de la visite du roi Louis XV et de la reine Marie Leczinska.

D'après certains auteurs, elle aurait eu lieu en 1740 (1). II est certain qu'à cette époque la galerie et les appartements de réception étaient terminés, et que Philibert Orry était en mesure d'offrir au roi et à la reine une hospitalité digne de leur rang. Ce qui est incontestable, c'est que Louis XV, à son retour de Metz, y coucha le 12 novembre 1744, sans avoir sans doute annoncé beaucoup à l'avance son arrivée; car le contrôleur général Orry ne quitta point Paris pour venir le recevoir, et se trouvait aux Tuileries lorsque le roi descendit dans la soirée du 13 novembre (2).

y

L'antichambre des appartements du roi et de la reine était tendue de quatre morceaux de tapisserie à grands personnages en laine, soie et or. Au-dessus des portes étaient peints des enfants avec les attributs de la musique et de la peinture. Le portrait de Louis XV enfant était placé dans un panneau.

Dans la chambre de la reine, au-dessus de la glace de la cheminée, était incrusté dans la boiserie le portrait de Marie Leczinska. Deux petits bras de cheminée à une seule branche accompagnaient la glace. Le lit, les panneaux et les meubles étaient tendus en brocatelle verte et blanche. Les rideaux de l'alcôve étaient en gros de Tours vert, et cachaient une couchette à deux chevets chantournés. Une table à écrin en noyer, une table de toilette en marquetterie, une commode dite à tombeau, un miroir à cadre peint en vert complétaient le mobilier de cette chambre, sans doute un peu suranné à l'époque de la Révolution.

La chambre du roi était plus riche. Le lit dit à la Turque avait six pieds carrés ; il était en bois sculpté et doré, recouvert de housses; l'une de gros de Tours, l'autre de damas bleu et blanc, à franges de soic. Les fauteuils, bergères et cabriolets, également en bois sculpté et doré, étaient garnis

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(1) AM. AUFAUVRE. Hist. de Nogent-sur-Seine, p. 312. - J. GRÉAU. (2) Mémoires du duc de Luynes, t. VI, p. 142.

du même damas, qui avait été aussi employé pour les rideaux. Une superbe commode à tombeau et à la régence ornait aussi cette chambre, où se trouvaient le portrait de Louis XV, au-dessus de la cheminée, et celui de Louis XIV, au-dessus du trumeau.

D'autres meubles précieux décoraient sans doute cette chambre. L'inventaire de la Révolution n'y fait pas mention de la présence d'une pendule, non plus que dans les autres appartements. Sans doute les propriétaires du château, dans la prévision de la spoliation qui devait les atteindre, avaientils emporté avec eux les objets de valeur d'un transport facile. C'est ce qui arriva au château de Villacerf, où la comtesse d'Hautefort fit opérer un déménagement presque complet avant de se réfugier en Bavière. A La Chapelle, si la plus grande partie du mobilier avait été laissée, les pendules, les flambeaux et l'argenterie avaient disparu.

Le meuble et les tentures en damas de la chambre du roi devaient dater de 1740, époque à laquelle les étoffes de soie étaient le plus recherchées pour la décoration des appartements particuliers. Le prix qu'elles coûlaient était souvent excessif, et en 1739, une étoffe de Lyon, cramoisi et or, employée dans un des appartements royaux à Fontainebleau, valait 400 livres l'aune (1). A La Chapelle, le meuble complet de la chambre du roi, comprenant le lit, les rideaux et les fauteuils, fut mis à prix le 30 nivôse an 11, moyennant 1,000 liv., et adjugé au seizième feu à un marchand fripier de Paris moyennant 1,460 1., qui, payées en assignats, valaient 766 1.

V.

Quel contraste entre la vente aux enchères de l'an 11 et les magnificences de 1740! Le contraste n'était pas moins

(1) Mém. du duc de Luynes, t. III, p. 78.

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