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même marbre, et placées à l'extrémité de la salle. Au centre était suspendue << une lanterne à quatre glaces et à carcasse de cuivre doré, avec son porte-lumières à quatre bobèches, aussi de cuivre doré, le tout suspendu par un cordon garni de glands et houppes de soie. » Il y avait en outre quatre petits bras de cheminée en cuivre « en couleur. » Les siéges consistaient en huit cabriolets et douze chaises pour la plupart couverts en velours d'Utrecht rouge et blanc. Mais les tableaux dont cette salle était ornée attiraient surtout l'attention. Au-dessus des portes, dans des médaillons ovales, Natoire avait peint les Quatre-Saisons; dans un vaste cadre cintré, il avait représenté Jupiter servi par Hébé au milieu de l'Olympe (1). Au centre des panneaux étaient placés deux grands tableaux de fleurs et de fruits, dont on admirait la disposition, le relief et l'éclat (2), et un beau tableau de Desportes fils, représentant des pièces de gibier gardées par des chiens (3).

La plupart des hôtels et des châteaux construits à cette époque contenaient des galeries où la richesse et le goût du propriétaire pouvaient se déployer à l'envi (4). La grande galerie du château de La Chapelle communiquait avec la salle à manger. «En y entrant, dit le rapporteur du Conseil général de l'Aube, nous avons cru être transportés dans le temple du génie, et nous nous sommes empressés de brûler notre encens sur son autel et sur celui des grâces. » La galerie était éclairée par cinq fenêtres; elle était si vaste qu'il s'y trouvait deux cheminées. Chacune était garnie de gros

(1) No 63 du Musée de Troyes. Il est signé C. Natoire, et daté de 1731.

(2) Ces tableaux, signés CG, sont attribués par M. Le Brun Dalbanne à Cerquozzi. Mém. de la Société Académique de l'Aube pour 1872, p. 107. Ils figurent sur le catalogue du Musée de Troyes, sous les nos 131 et 132.

(3) Ce tableau est de 1768; il porte le n° 32.

(4) G. BRICE. Nouvelle Description de la ville de Paris, 1725.

chenets à trois pommes, et surmontée de deux girandoles à pied, à trois bobèches en cuivre doré et garnies de cristaux de Bohême. Six autres girandoles étaient placées sur «< quatre tables de marbre sculpté d'Italie, supportées sur des pieds de bois sculpté peint en gris et scellés dans le mur. »> Deux lustres à huit lumières, en cuivre argenté, garnis comme les girandoles de cristaux de Bohême, étaient suspendus par des cordons de soie ornés de glands et de houppes également en soie. Sur deux encoignures en chêne étaient deux groupes en terre cuite de chevaux marins et d'enfants. Des gaînes en marbre de couleur supportaient six bustes en marbre blanc représentant les Arts libéraux (1).

Outre ces bustes, on y pouvait voir celui du peintre Louis de Boullongne, père du contrôleur général. Louis de Boullongne était le type de l'artiste homme du monde qui sait plaire et réussir; anobli en 1724, premier peintre du roi l'année suivante, il assura la fortune de ses quatre enfants qui l'augmentèrent encore. Il mourut en 1733 aussi regretté, dit-on, pour ses talents que pour sa douceur et sa politesse (2). Le château de La Chapelle contenait plusieurs de ses tableaux de chevalet, conservés par son fils comme un souvenir doublement précieux.

Les panneaux de la galerie étaient ornés de tableaux peints par Charles Natoire. Ce peintre, longtemps à la mode, y avait déployé, de 1731 à 1740, toutes les ressources de son talent élégant, brillant et facile. A cette époque, les ta

(1) Ces bustes, représentant la Musique, la Comédie, Apollon, l'Astronomie, la Poésie champêtre et l'Idylle, figurent au Musée de sculpture de Troyes, sous les nos 120 à 125. Ce sont des œuvres agréables plutôt que remarquables. La figure de la Comédie est à la fois fine et enjouée.

· Louis

(2) Nouveau Dictionnaire historique, 1786, t. II, p. 286. de Boullongne, frère de Bon Boullongne, a peint la chapelle de la Vierge au château de Versailles, et plusieurs panneaux décoratifs à Trianon et à Marly. PIGANIOL DE LA FORCE, Description de Versailles.

pisseries à paysage ou à personnages étaient souvent délaissées; on les détachait des panneaux pour les remplacer par des lambris aux sculptures dorées, des étoffes unies ou brochées, des peintures aux couleurs riantes. Natoire avait bien le génie artistique de son temps, inférieur dans la décoration des monuments, sans rival pour l'ornementation des salons. Tout dans ses compositions charme les yeux; rien n'y saisit l'âme. La galerie du château de La Chapelle contenait deux suites de tableaux; l'une représentant les événements les plus remarquables de la vie de Clovis, l'autre les principales aventures de Télémaque dans l'île de Calypso. Clovis, soit à la bataille de Tolbiac, soit au siége d'Arles, apparaît comme le prédécesseur de Louis XV. Sur le champ de Tolbiac, son cheval blanc galope sur place comme à la parade; le geste du roi est noble ; mais rien n'indique la gravité de sa situation, au moment où il invoque le Dieu de Clotilde pour vaincre les Allemands. Les combattants, les blessés et les morts semblent autour de lui comme autant d'accessoires destinés à mettre en relief sa personne. C'est un tableau de bataille comme on pouvait en faire sous l'ancien régime, où le service était volontaire, où la noblesse se faisait un honneur d'aller à la guerre, où la gloire du roi éclipsait toutes les autres. C'est aussi un décor séduisant, inspirant les idées chevaleresques, éloignant les pensées tragiques, et par conséquent parfaitement approprié à l'orne ment d'une galerie destinée au délassement et à la conservation.

Les mêmes qualités et les mêmes défauts se retrouvent dans le Siége d'Arles, la Bataille de Vouillé et la Soumission de saint Remi. Les qualités ressortent surtout dans deux jolies allégories, placées au-dessus des portes et consacrées à la glorification de la France et de son roi. Dans ce genre un peu factice, la verve, la grâce et l'éclat du pinceau de Natoire se déploient à leur aise. Ils se déploient d'une manière non moins brillante dans les scènes empruntées aux

aventures de Télémaque. Les grands modèles n'y sont pas toujours atteints; on y sent l'inspiration de la mythologie d'opéra plutôt que celle de la mythologie antique; mais cette inspiration elle-même a son charme, et s'encadre à merveille dans les moulures ciselées et dorées d'un salon (1).

C'était dans la galerie que se réunissaient, les jours de réception, les invités et les hôtes des Orry et des Boullongne. Les dames étalaient leurs jupes avec ou sans paniers sur les grands canapés, les fauteuils et les bergères, de bois doré, couverts de velours rouge ou de velours à fonds jaune orné de grandes fleurs vertes et rouges. Les hommes s'asseyaient sur des chaises garnies de mème ou sur des pliants en «< cuir de Roussy.» Dans les journées pluvieuses, dans les longues soirées d'automne, on se livrait à la conversation ou au jeu. On apportait sans doute du vestibule les douze tables à jouer qui s'y trouvaient; tables à deux personnes, pour jouer le piquet et l'impériale; à trois personnes, pour jouer l'hombre (2); à quatre, pour jouer le quadrille, le reversis et plus tard le wisth, qu'on prononce aussi le wisk, et le boston. Voulait-on recourir à d'autres divertissements? Il y avait une table longue pour jouer au trou-madame, une table de trictrac, des jeux d'échecs et de dames, et l'on pouvait passer dans une salle voisine, où se trouvait un billard de 12 pieds de long sur 6 pieds de large.

Si l'on voulait prendre plus d'exercice en se divertissant, on n'avait qu'à ouvrir les encoignures; on y trouvait des raquettes et des battoirs pour le jeu de paume, six bracelets de

(1) Le Musée de Troyes contient les six tableaux du règne de Clovis. Cinq d'entre eux ont été conservés à la Préfecture jusqu'aux événements de 1870. L'un d'eux porte évidemment à tort la désignation de siège d'Arles; peut-être s'agit-il du siège d'Avignon, où figura Clovis? Le Musée renferme aussi deux tableaux des Aventures de Télémaque. Ces toiles sont entourées des cadres uniformes qui devaient les garnir à La Chapelle.

(2) Sur la table triangulaire ou de tri, voir l'Art du menuisier en meubles, par ROUBO, 1772, p. 717, planche 257.

cuir pour jouer au ballon, deux pompes en fer-blanc pour enfler les ballons, et un jeu de Siam complet.

Sans doute aussi on faisait de la musique dans cette salle, où l'on pouvait transporter un clavecin à ravalement, monté sur un pied de bois sculpté et doré. Dans un cabinet voisin de la chambre du maître du château se trouvaient 89 volumes de musique, dont 5 étaient reliés en maroquin rouge, 60 en basane et 24 « en vert. » Il y avait en outre 260 cahiers de musique non reliés.

Lorsque les froids de l'automne rendaient le séjour de la galerie moins agréable, on se réfugiait dans un petit salon qui y était attenant. Un lustre de cuivre argenté à six bobèches, garni de cristaux de Bohême, l'éclairait, ainsi que deux bras dorés en or moulu fixés aux deux côtés de la cheminée. Le meuble était recouvert de damas à trois couleurs, cramoisi, vert et blanc. Pour se préserver de l'ardeur du feu, on plaçait devant le foyer, garni de chenets en fer à trois pommes, << un écran en bois sculpté et doré, garni d'un côté en tapisserie soie et or, de l'autre en damas cramoisi. » Les tableaux dont Natoire avait orné ce salon intime témoignaient de la facilité des mœurs du xvII° siècle. Au-dessus des portes, dans des médaillons ovales, il avait représenté Danaé et Ganymède. L'enlèvement d'Europe remplissait un des panneaux. En retraçant l'image des faiblesses de Jupiter, on faisait pour ainsi dire l'apothéose des faiblesses du roi.

III.

Près des appartements de réception se trouvaient, au rezde-chaussée, les chambres des maîtres de la maison. La chambre de Paul-Esprit de Boullongne est tendue de moire sur fil rayée bleu et blanc. Le ciel de lit à la Turque est garni de damas bleu; les fauteuils, recouverts de même, sont peints en bleu. Les dessus de porte sont remplis par du taf

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