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naître des Dieux dans un Parnasse chimérique, ou dans un Olympe imaginaire. Que dis-je? La Musique existoit beaucoup long-tems avant que ces Dieux, l'ouvrage des hommes, fussent nés dans la Fable. A ces pompeuses fictions, je pourrois joindre les songes brillans de Pythagore, vanter la magnifique Harmonie des Astres, leur marche mélodieuse, leurs révolutions cadencées, et ce concert sublime que forment tous les Corps Célestes et les Cieux divers; mais des rêveries ne sont point mes preuves. Consultons les archives du Monde, ces vastes vainqueurs de l'oubli, témoins de tous les tems, et contemporains de tous les Arts: que nous diront-elles ? Que la Musique compte autant de siècles de durée que l'Univers même; ils nous apprendront que l'aimable compagne du premier mortel fut l'inventrice des premiers sous mesurés ; que, dès qu'elle eut entendu les gracieux accens des oiseaux, devenue leur rivale, elle essaya son gosier; que bientôt elle y trouvoit une flexibilité qu'elle ignoroit, et des grâces plus touchantes que celles des oiseaux mêmes; qu'enfin, s'appliquant chaque jour à chercher dans sa voix des mouvemens plus légers et des cadences plus tendres, instruite par les Amours déjà nés avec elle, bientôt elle se fit un Art du chant, présent

des Cieux, par lequel, après sa disgrace, elle sut souvent adoucir et charmer les peines de son époux exilé du divin Elysée.

Si ce trait peut ne point suffire, ouvrons les fastes sacrés: dès l'entrée des Annales saintes (*); nous verrons que Jubal, fils de Lamech, fut le père ou le maître de ceux qui chantoient le Printems de la Nature et les bienfaits récens du Dieu Créateur au son de l'orgue et des cythares; d'où il est nécessaire de conclure, qu'avant Jubal même, le chant étoit un Art, puisque de son tems la Musique instrumentale, faite pour accompagner la voix, étoit déjà inventée, soit que cette charmante invention ait été enfantée par le seul génie, soit qu'elle ait été un Art d'imitation, et que, comme les oiseaux avoient déjà été nos maîtres pour le chant, les Zéphirs l'aient été pour les instrumens, et que leur souffle, ou agitant les feuillages par des frémissemens légers, ou formant au travers des roseaux une espèce de tendres soupirs et de gémissemens harmonieux, ait donné naissance aux flûtes, aux métaux organisés par l'Art, et à tous les instrumens que l'air anime et vivifie. Avançons: de la jeunesse du Monde, descendons de siècles en

(*) Gen. C. 4. 21.

siècles, à chaque pas nous trouverons des vestiges de l'antique noblesse de la Musique; nous la verrons marcher de beautés en beautés, de nations en nations, de trônes en trônes. Née dans l'Orient, la première patrie de l'imagination et du génie, chaque âge, à l'envi, lui prête de nouveaux agrémens. Tour à-tour le Peuple Hébreu, l'heureuse Assyrie, la savante Egypte, la sage Grèce, font de l'Harmonie une de leurs lois fondamentales; déjà par - tout elle devient la dépositaire des monumens de la patrie je m'explique.

Dans ces premiers tems, où l'on ignoroit encore l'Art d'écrire et de peindre la voix, les Peuples ne conservoient leurs Chroniques que dans des vers qu'on chantoit fréquemment pour en perpétuer le souvenir; par le secours de cette tradition, ils rappeloient leur origine, les exploits de leurs Conquérans, les préceptes de leurs Arts, les louanges de leurs Dieux, leur Morale, leur Mythologie, leur Religion. Que dis-je ? Leur Religion elle-même étoit fondée, établie, appuyée sur les secours de la Musique; par elle, les premiers Législateurs des Nations étoient sûrs d'engager, de persuader, de soumettre les esprits : ils savoient qu'on ne gagne bien sûrement les cœurs que par l'appas du plaisir; qu'on facilite

Fes devoirs en leur associant l'agrément; qu'il faut parer les vertus, égayer les leçons, dérifer la sagesse, orner la raison, et prêter des grâces à des lois trop austères, à des vérités trop tristes : ils savoient qu'il faut prendre l'homme dans des filets dorés ; que c'est un enfant malade : si, pour le guérir, on veut lui faire prendre quelque liqueur amère, il faut que les bords du vase soient baignés d'une liqueur plus flatteuse, afin que, trompé par ce salutaire artifice, il boive à pleine coupe la santé et la vie. Ainsi Hermès-Trismégiste, Orphée, le dernier Zoroastre, les Gymnosophistes, tous les Fondateurs des Religions diverses, connoissant le goût naturel de l'homme pour les agréables accords, mirent à profit cette sensibilité; ils donnèrent à l'Harmonie l'une des premières places dans le Sanctuaire : en donnant des Dieux aux Nations, ils confièrent au pouvoir et aux règles du chant l'histoire de ces Divinités, les hymnes, les lois des Fêtes, les coutumes des sacrifices, les chants des victoires, des hyménées, des funérailles, persuadés que leur Religion placée sur l'Autel à côté de la paisible Harmonie, s'y maintiendroit plus long-tems que si son autorité étoit seulement gravée sur le marbre ou sur les tables de bronze, et que si elle ne régnoit que par la terreur au milieu des feux et la foute à la main.

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Ici, peut-être, quelqu'un en secret m'interrompt et me dit : J'avoue l'antiquité de la Musique; mais qu'étoit-ce que la Musique des anciens? C'étoit sans doute l'enfance de l'Art; des chants sans délicatesse, des voix sans goût, des airs sans mouvemens, des instrumens sans ame, une Harmonie sans expression, du bruit sans accords. Enfin, poursuit-on, comparer la Mu→ sique ancienne à celle des derniers âges, c'est comparer le premier crépuscule du matin, l'éclat douteux de l'Aurore, au Soleil dans sa course. Illusion ordinaire du préjugé : les siècles sont rivaux et réciproquement ennemis ; le siècle présent croit toujours avoir surpassé ceux qui l'ont précédé, et ne rien laisser à perfectionner à ceux qui doivent le suivre ; mais, ( j'ose le dire sur la foi d'un Savant (*) Critique de nos jours, très-profond conuoisseur de l'antiquité ) oui, la Musique ne fut peut-être jamais plus régulière que chez les premiers Peuples: alors, dans son printems, telle encore qu'une jeune Nymphe, belle sans fard, vive sans affectation, elle marchoit à la suite de l'aimable Nature: depuis ces précieux jours, souvent déchue de l'état parfait, elle est à présent plus occupée à recouvrer ce

(*) Don Calmnet.

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