Page images
PDF
EPUB

compte de votre culte, parlez; que sert aux mœurs la profane éloquence? Enchanteresse des sens, elle excite un bruit brillant dont l'oreille est Aattée, mais que le vent emporte bientôt, et dont rien ne va jusqu'au cœur, semblable à ces feux légers, à ces flammes volantes et dociles que l'art industrieux décrit dans les airs; feux qui, dans un même instant, naissent, brillent et s'éva nouissent: science spécieuse et trop stérile qui donne à la République de plus opiniâtres Parleurs, sans lui donner de meilleurs Citoyens.

Que servent aux mœurs tous ces Arts que nous devons à l'oisiveté des Prêtres de l'Egypte, l'exacte Géométrie, l'audacieuse Astronomie, la profonde Algèbre? Tandis que l'esprit s'ensévelit dans les calculs, ou s'égare dans les Cieux, ou s'abime dans les sombres méditations, qu'en revient-il aux vertus ? Sciences trop indifférentes qui donnent tout à la spéculation, peu au sentiment, rien à l'homme.

Que sert aux mœurs l'étude de la Grammaire et des Langues, ou plutôt la science des Syllabes? Tandis qu'elle plonge la mémoire dans un cahos de paroles, le cœur oisif reste dans un vide honteux: science superficielle et beaucoup trop puérile, qui nous apprend à nommer les vertus sans nous apprendre à les acquérir.

Que sert aux mœurs l'étude vantée de l'Histoire? Que nous conserve-t-elle ? Le dénombrement des erreurs de tous les tems, la liste des malheurs illustres; des crimes heureux, des passions travesties en vertus ; honteuses Archives, tristes Monumens de l'humaine folie! Là que trouvons-nous? Les caprices des Peuples, les fautes des Rois, les révolutions, les décadences, l'empire antique de l'opinion et de l'intérêt, le règne du hasard, le long tableau de toutes les misères de nos aïeux, tableau funeste, scène déplorable, que le voile de l'éternel oubli devroit plutôt dérober à jamais aux regards de la posté rité: science de l'Histoire, science souvent désolante, qui présente plus de coupables exemples à fuir, que de vertueux modèles à suivre.

Enfin, que sert aux mœurs ce petit talent de Thèses et de Sophismes qui se donne le nom de Philosophie; chimères surannées, systêmes vagues, capricieuses fadaises, erreurs plus ou moins heureuses, guerre de raisonnement où la raison reste neutre, `labyrinthe où la vérité s'égare sans se retrouver; voilà tout l'art : science futile et méprisée, ou plutôt ignorance travestie qui s'adore et s'encense elle même, et perd à disputer le tems de penser et de sentir.

Telles sont pourtant, telles sont les sciences

prétendues dont on occupe nos plus beaux jours. O perte irréparable, perte trop peu regrettée! Que d'heures charmantes immolées à l'ennui et à l'inutilité! C'est acheter bien cher des erreurs! O trop courte jeunesse ! O jours charmans! Que n'êtes-vous plutôt consacrés à la culture du cœur, à l'étude du vrai bien, à l'embellissement des mœurs, qu'aux minuties classiques ou à d'autres arts qui seroient inutiles, si l'on savoit encore n'étudier que la simple Nature, n'entendre que son langage et n'estimer que ses Lois. Oui, Messieurs, et je ne puis trahir ma franchise; mais suivez sans écart le fil de ma pensée : que l'éloquence judiciaire soit utile à l'explication des Lois et aux divers intérêts des Peuples; que les langues soient utiles aux voyages; que l'Astronomie soit utile à la Navigation, la Géographie à l'Art Militaire, la Géométrie aux Fortifications, la science des nombres au Commerce, la Botanique au soulagement des maux; que l'étude de l'Histoire soit utile à notre curiosité, l'étude de la Politique à l'art de gouverner, l'étude de la Logique au talent prétendu de raisonner, j'en conviendrai avec vous: mais aussi vous conviendrez avec moi que l'utilité de ces sciences tombe rarement sur le fond des mœurs; que ces sciences sont étrangères à l'homme, agréables peut-être à

son esprit, mais inutiles à son cœur; que l'Har monie seule jouit d'un pouvoir beaucoup plus personnel et plus marqué sur un cœur, qu'elle en sait manier tous les replis, qu'elle en sait faire jouer les ressorts les plus secrets, et que des sens charmés elle passe aux sentimens, preuve invincible de ses avantages. Elle est donc utile en particulier aux mœurs de chaque Citoyen. Ce n'est point tout; elle est encore utile en général à la sécurité et au bonheur du corps entier de la Répu blique politique.

L'union des Citoyens est la base des Trônes, le sceau des Monarchies, l'appui des Diadêmes. Les plus fermes Empires, avant d'être renversés par les guerres étrangères, avoient été d'abord ébranlés par les guerres intestines, par les troubles anarchiques, par les discordes civiles; aidés dans leur chûte par ceux mêmes qui doivent en être les soutiens et les boulevards. Non, la Patrie n'a point d'ennemis plus funestes que des Citoyens divisés: mais est-il une égide plus impénétrable aux traits de la dissension que la tranquille Harmonie? L'olive à la main, la Paix la précède, l'Amitié la conduit, le Plaisir marche à ses côtés, la Concorde la suit, les cœurs conquis volent en foule autour d'elle. N'est-ce point elle qui unit les Citoyens par d'aimables nœuds, qui les

assortit, qui les égale, qui les range sous les lois d'une charmante société ? chez elle tout est calme, tout est ami, tout agit d'intelligence; chez elle on n'entend ni la voix de la discorde, niles rumeurs populaires, ni le tumulte importun de l'école, ni les hurlemens effrenés des bancs, ni les clameurs des Tribunaux, mais seulement les agréables accords, les acclamations favorables, les doux ~applaudissemens. L'Harmonie alluma-t-elle jamais ces feux funestes à l'Etat, ces incendies, ces guerres d'opinions, de prestiges, d'erreurs; ces dissensions sophistiques pour réaliser des chimères, ces schismes littéraires formés plutôt pour combattre la vérité que pour la défendre, ces querelles d'une secte armée contre l'autre sous différens drapeaux ; ces divisions, ces haines, monstres nés dans le sein des autres sciences? De leur sein il s'est élevé souvent des Citoyens turbulens, inquiets, pernicieux, que la discorde, la révolte, le faux zèle, avoient nourris dans les ténèbres des solitudes, et qui n'ont paru dans l'Univers que pour en troubler la paix. Mais l'Histoire, ce témoin fidèle des tems, rapproche-t-elle aucun de ces forfaits à la science pacifique que je vante ? Quel siècle, quelle contrée se plaignit jamais d'elle? De quel sang fut-elle jamais teinte? Ses élèves, loin

« PreviousContinue »