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des concerts éternels ; que les tourmens de leur Tartare n'étoient pas seulement un enchaînement de tortures, un Océan de feux implacables, mais encore une discorde de voix, une horrible confusión de cris douloureux, une dissonnance éternelle de gémissemens lugubres: ils nous apprendront que dans les beaux siècles d'Athênes, il étoit honteux d'ignorer la Musique ; que les Sages de l'Arfopage étoient ses Disciples; qu'elle étoit une des parties de la politesse Attique ; que Socrate lui-même, ce mortel estimé des Dieux et loué par eux, apprit de nouveau dans sa vieillesse à toucher le Luth; que quiconque vivoit sans goût pour cet Art, étoit regardé comme un mortel stupide, qui n'avoit jamais sacrifié aux Grâces. Ainsi dans un festin, Thémistocle. ayant refusé de prendre la Lyre à son tour, fit naître le préjugé d'une éducation négligée. De cet amas de témoignages, il résulte, je l'avoue, une preuve lumineuse et satisfaisante; mais c'est peu: oublions tant d'éloges humains, foibles crayons de la dignité de l'Harmonie ; ne prenons que sur les Autels les guirlandes dont nous la couron nons: oui, Messieurs, c'est sous cet aspect sacré que j'aime sur-tout à envisager les honneurs distingués de cette Science majestueuse; j'aime à la voir singulièrement préférée à toutes les autres

pour parler aux Dieux, pour leur porter l'encens du monde, pour publier leurs grandeurs, pour désarmer leur colère. Jettons un regard sur toutes les Religions de tous les tems; ici les Temples d'Isis et d'Osiris retentissent du son des Cystres de Canope; là, dès l'aube du jour, les Mages de la Perse et les Ignicoles prennent leurs Harpes d'argent pour recevoir le Soleil prêt à sortir du sein de l'onde, pour obtenir ses premiers regards, et pour adorer dans cet Astre le feu éternel, le radieux Oromaze, Dieu de leurs pères; plus loin le noir Brachmane remplit les bords du Gange des Hymnes de l'Aurore. Ici les rives Grecques répètent chaque jour le nom de Jupiter Olympien : là, les rives Hespériennes retentissent des danses guerrières et du chant des Saliens, tandis que les rivages Germaniques et les échos de nos contrées répètent au loin le nom du sanguinaire Teutatès chanté par les Druïdes. Ainsi l'ont pratiqué tous les Peuples; ils chantoient dans leurs mystères, non-seulement pour parler aux Immortels sur des tons supérieurs au langage vulgaire, mais encore pour fixer l'attention du Peuple assemblé, pour pacifier les sens, pour régler les esprits par la justesse des sons, pour échauffer les cœurs, pour les préparer à la présence des Dieux. Que dis-je, cependant? Pourquoi m'arrêter si long-tems sur

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les honneurs de la Musiqué idolâtre ? C'est à toi seule, ce n'est qu'à tes sacrés accords que je dois ma voix. Harmonie sainte du Peuple choisi toi qui portas si souvent aux pieds du Dieu d'Israël les hommages reconnoissans de son Peuple, n'étoit-ce pas sous tes auspices que les Israélites s'avançoient au combat? Précédés des enseignes triomphantes du Seigneur, les Chantres consacrés marchoient à la tête des bataillons; unissant leurs voix sublimes aux instrumens militaires, ils im ploroient les secours du Dieu des Armées, et ne durent-ils pas même un triomphe à l'Harmonie? Josué assiége Jéricho; ce n'est point à l'effort des armes que cette conquête est réservée. Par l'ordre suprême du Ciel, les sept premiers Sacrificateurs prennent des Trompettes harmonieuses, Jéricho va périr; les Trompettes sonnent sa ruine, ses tours chancellent; le Seigneur parle, les murs tombent, Jéricho a été pris.

Mais franchissons le vaste intervalle des tems, hâtons-nous d'arriver aux jours de David, époque la plus magnifique des honneurs de l'Harmonie, c'est par ce Roi que nous la verrons introduite dans les Tabernacles du Seigneur; elle y entre suivie des filles de Sion, pour soutenir la majesté du lieu saint, pour augmenter la pompe des sacrifices, pour relever le spectacle de la Reli

gion. David lui-même, précède, en dansant, l'Arche auguste; il règle ses pas légers sur les sons de sa Harpe ravissante; dans tous ses cantiques, monumens éternels de son amour, il demande que ses accords soient mille fois répétés sur la Cythare, sur la Cymbale, sur l'Orgue, sur la Trompette; il réveille tous les Echos du Jourdain; il invite la Nature entière à chanter son auteur, à ne faire de toutes ses voix qu'un concert de louanges, de gratitude et d'adorations unanimes; aussi les soins et les bienfaits de ce Prince religieux avoient-ils rendu les Lévites les premiers Musiciens de l'Univers: ainsi le pu blioit la Renommée. C'est par-là que pendant les jours de la captivité, les Peuples de l'Euphrate invitoient les tristes Hébreux à leur apprendre quelques-uns de leurs airs si vantés : mais Israël exilé ne peut chanter loin des champs de Solyme, il ne peut que gémir, ses Harpes en silence sont suspendues aux saules du rivage; tell'oiseau captif néglige son chant, ou, si son gosier s'ouvre quelquefois, ce n'est qu'aux soupirs, sa voix est morte aux délectables accens. Enfin, Messieurs, parcourez toutes les pages de la Loi antique, partout vous rencontrerez ou des concerts de louanges, ou des cantiques de victoire, ou des chants de funérailles; il semble qu'aucune voix mortelle

n'est digne de l'oreille du Seigneur, si elle n'est portée au trône de la Toute-Puissance sur les ailes de l'Harmonie, au travers des nuages d'encens. Dans des Sacrifices plus parfaits, la Loi nouvelle a conservé à la Musique sa place dans les Sanctuaires. Oui, dit l'Oracle de l'Afrique, le Pasteur et l'ornement d'Hippone. « Je ne puis trop » approuver les chants dont retentissent nos Tem»ples: par ces augustes accords je me sens vive»ment ému, pénétré de cette horreur sacrée » qu'inspire la demeure de Dieu, frappé d'un res » pect profond, saisi d'une sainte ivresse ; nou» veau Paul, je suis dans les Cieux, mon esprit » est enlevé au-dessus de lui-même, il s'élance

jusqu'au triple Trône du Très-Haut, il se croit » admis aux Concerts éternels des intelligences suprêmes, et mon cœur embrâsé va se perdre >> dans le sein de la Divinité ».

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Dans cette uniformité de suffrages acquis à l'Harmonie, peut-il être une vénération plus marquée, plus suivie, plus incontestable ? Cette gloire de l'Art a toujours rejailli sur ses Artistes; souvent les favoris de l'Harmonie furent illustrés par les Couronnes, par les Lauriers, par les Pom-' pes triomphantes, par les applaudissemens des Théâtres, par des Statues érigées, par des Mausolées, par des Inscriptions mémorables, par les

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