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sur les douleurs profondes de l'esprit ; seule tu connois les chemins du cœur, seule tu sais endor mir les chagrins importuns, assoupir les noirs soucis, éclaircir les nuages de la sombre mélancolie; seule, par la rapidité de tes sons, tu viens rendre au sang, trop lent dans ses canaux, une circulation plus agile, une fluidité plus facile aux esprits engourdis, un jeu plus libre aux organes appesantis. Que je sois plongé dans un morne silence, et dans de léthargiques rêveries, où trouverai-je un charme à mes ennuis opiniâtres? Sera-ce dans la raison? Je l'appelle à mon secours ; elle vient, elle m'a parlé ; hélas! je soupire encore. Dans nos peines, la raison elle-même est une peine nouvelle on cesseroit de souffrir, si 'on cessoit de penser. Sera-ce dans l'enjouement des conversations amusantes? Hélas! a-t-on la force de s'égayer avec autrui, quand on est mal avec soi-même ? Sera-ce enfin dans vos pompeux écrits, Philosophes altiers, Stoïciens orgueilleux? Importuns consolateurs, fuyez: en vain me prêcheriez-vous, sous des termes fleuris, une patience muette, une insensibilité superbe, une constance fastueuse ; vertus de spéculation, Philosophie trop chimérique, vous ne faites qu'effleurer la superficie de l'ame sans la pénétrer, sans la guérir. Suis-je donc percé du trait mortel? Les.

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chagrins sont-ils invincibles? Non vole dans mon cœur, riante Harmonie; une voix touchante vient frapper mon oreille, déjà le plaisir passe dans mes sens, des images plus gracieuses brillent à mon esprit, je me retrouve moi-même, je suis consolé : ainsi, à la gloire de cet Art, souvent mille raisonnemens étudiés du pointilleux Sénèque valent moins, pour distraire nos peines, qu'une symphonie gracieuse du sublime Lulli.

Veut-on encore une preuve plus persuasive du pouvoir de l'Harmonie, une de ces preuves de sentiment, qui portent avec elles la conviction? Qu'on parcoure avec moi la Nature, qu'on l'examine, qu'on l'interroge, non-seulement dans ces esprits exercés, dans ces caractères cultivés, à qui les soins de l'éducation, joints à une raison lumineuse, ont inspiré le goût des Arts charmans; mais dans ceux-mêmes qui semblent être réduits au seul instinct; dans les enfans, dans les habitans des campagnes, dans les Sauvages dans les Barbares; dans les animaux même, partout on reconnoîtra que tout ce qui vit a des liaisons naturelles, des convenances intimes, des rapports nécessaires avec la douce mélodie.

Interrogeons la Nature dans les ombres de Fenfance. Je vois un berceau, un foible enfant y pleure, une mère allarmée le menace, tonne

éclate; il redouble ses plaintes : elle chante, il est calmé. Déjà il a interrompu ses cris pour entendre des sons plus mesurés; il les imite même, il y répond par un murmure inarticulé, tel le jeune oiseau, sous l'aile de sa mère, apprend d'elle son ramage; il étudie ses airs, il les répète; et dès avant son premier essor, il se prépare aux concerts des bois.

Interrogeons la Nature dans l'ignorance 'des campagnes; je vois un peuple grossier, stupide, aveugle. Qu'on lui développe les richesses de la Poésie, les grâces de l'Eloquence, les charmes de la Peinture, l'industrie de la Navigation, les beautés de l'Architecture; privé de goût et de lumières, il entend sans comprendre, il voit sans admirer, il reste insensible, il ignore ces plaisirs mais que, parmi ce même peuple, de beaux airs se fassent entendre, il se réveille, il devient attentif, il est ému; le sentiment se déclare, je reconnois l'Humanité. Aussi voit-on chaque jour les habitans des hameaux revenir du travail, et rentrer dans les bergeries au son des flageolets et des musettes, dès que l'étoile du soir revient sur l'horizon : aussi les voit-on, dans les jours de leurs Fêtes, danser et fouler l'émail des prés fleuris, au bruit des chansons et des chalumeaux légers.

Interrogeons la Nature dans l'horreur des plus sauvages contrées, de ces Iles séparées du reste du monde, de ces régions barbares dont les habitans sont aussi féroces que les lions et les ours leurs concitoyens. Les Dieux des autres Arts n'eurent jamais de Temples sous ces tristes climats ; la seule Harmonie a su les rendre tributaires de ses attraits : elle seule a su pénétrer ces cœurs inaccessibles aux autres grâces; il n'est point de rivage si désolé, ni d'écho si barbare qui n'aient répété des chansons. L'amour de l'Harmonie perce à travers la plus épaisse barbarie, à travers les plages glacées de l'Ourse et les arênes de la Zone brûlante. Les Hurons impitoyables, les cruels Macassars, les Caribes sanguinaires, les Cannibales inhumains ont leur Musique, leurs chants de paix, de guerre, de triomphe: avant de commencer ces festins homicides dans lesquels ils dévorent les captifs que la victoire leur a soumis, pleins d'une farouche allégresse, ils forment des danses ensanglantées autour des victimes dont ils vont être les tombeaux ; je dis plus, ils chantent eux-mêmes leur propre trépas. Du milieu des supplices, du sein des feux lents qui les entourent, ces Héros barbares rappellent leurs anciens triomphes dans leurs chansons funèbres, et consolés par ce doux sou

venir, ils expirent dans le sein de l'Harmonie, et lui consacrent leur dernier soupir.

Pour dernière preuve, sortons, si vous vou~ lez, Messieurs, sortons de la nature raisonnable; interrogeons les animaux, interrogeons le Peuple ailé des airs, le Peuple muet des ondes, le Peuple fugitif des forêts et des rochers: tous se montreront sensibles à l'Harmonie. L'Aurore ouvre les portes du jour, la Nature s'éveille; déjà les oiseaux ranimés annoncent la lumière et saluent le Soleil naissant par leurs concerts amoureux; rivaux pleins d'une vive émulation, ils se cherchent, ils s'attaquent, ils se répondent, ils se combattent leurs chansons commencent avec le jour, et ne finissent qu'avec lui; je me trompe, elles ne finissent pas même : tu les prolonges d'un soleil à F'autre, solitaire Philomèle, Sirène des bois; et quand la sombre nuit vient imposer silence à la Nature, elle te laisse le droit de chanter encore, et de charmer ta tendre mélancolie : l'écho veille avec toi; avec lui tu t'entretiens de tes anciens malheurs; tes airs, tes harmonieux soupirs, portés au loin, diminuent l'horreur du vaste silence: pour t'entendre exhaler ta peine, la sœur du Soleil absent promène plus lentement, dans les plaines de l'air, son char argenté; elle s'abaisse, elle semble se fixer sur ton bocage, et la Déesse

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