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qu'elle a perdu de beautés, qu'à s'en chercher de nouvelles. En effet, les premiers enfans de la nature, ses favoris, avoient-ils moins que nous le don de l'invention? les Anciens avoient-ils moins de passion pour la belle Harmonie? Cheż eux les Musiciens étoient plus illustres ; chez eux la Musique produisoit de surprenans effets que la nôtre ne produit plus; par elle on voyoit des séditions appaisées, des combats arrêtés, des tyrans fléchis, des frénétiques calmés, des mourans sauvés du tombeau. Doutera-t-on de ces prodiges attestés par les Auteurs profanes, si on se rappelle ceux qu'attestent les monumens sacrés ? Ici des Israélites devenus subitement Prophètes du Seigneur au seul son (*) des instrumens, subitement frappés d'une sainte ivresse, subitement instruits de l'histoire de l'avenir: là le premier Roi(**) d'Israël, du sein des fureurs infernales, ramené au calme et rendu à la paix par les accords de la harpe. Tant de faits brillans permettent-ils encore d'ignorer les charmes de l'antique Harmonie? Qu'on ne dise point que la Musique ancienne étoit trop simple, trop peu variée; déjà l'ivoire, Fairain et les bois précieux s'étoient animés sous

(*) 1. Reg. 18.6.

(**) 1. Reg. 16, 23

les doigts légers de l'Harmonie: alors même on connoissoit plusieurs instrumens inconnus à notre Musique; car où sont maintenant les lyres antiques, les hazurs du Peuple Hébreu, les cistres dorés de Memphis, les kinnors de Tyr, les nables de Sidon? A peine leurs noms sont-ils venus jusqu'à nous, la mémoire même en a péri? mais il reste toujours vrai que leurs effets tenoient du prodige, preuve victorieuse que l'ancienne Musique n'étoit point sans force et sans beauté, puisqu'elle n'étoit point sans pouvoir; seconde prérogative de l'Harmonie sa puissance marquée, seconde preuve de la noblesse de cet Art.

Sans que je parle, Messieurs, déjà cette puissance est assez prouvée tout l'empire de la Nature est l'empire de l'Harmonie : tout ce qui respire, tout ce qui est né sensible subit sa loi. S'il est quelqu'un qui l'ose contester, il est sans entrailles, il est né sans doute dans l'absence des grâces, et sous un Astre sinistre, au sein des rochers impitoyables, et parmi les animaux farouches. Que dis-je ? Les rochers mêmes et les plus farouches animaux sont sensibles à de touchans accords, et tiennent plus de l'humanité que ce cœur inflexible. A la voix de l'HarmoBie, cette Reine aimable de l'air, les Etres les plus insensibles sont animés, les Etres les plus

tristes sont égayés, les Etres les plus féroces sont attendris ; par-tout où elle passe, la Nature s'embellit, le Ciel se pare, les fleurs s'épanouissent : elle entre dans une solitude vaste, muette et désolée; bientôt par elle tout se réveille, l'affieux silence s'enfuit, tout vit, tout entend, tout prend une voix pour applaudir; sommets des Collines, Ruisseaux, Vallons, antres des Bois, tout répond à l'envi; l'Air par ses doux frémissemens, l'Onde par son murmure, les Oiseaux par leur ramage, les Feuillages même par leur agitation harmo nieuse, les Zéphirs en- prolongent le plaisir, d'échos en échos, de rivages en rivages: Amphion touche la lyre, les montagnes s'animent, les pierres vivent, les marbres respirent, les ro. chers marchent, des tours s'élèvent, une Ville vient d'éclore: je vois Thèbes.

Sur quel nouveau spectacle mes yeux sont-ils transportés ? O crime ! d'avares Nochers vont précipiter dans les eaux un favori de Polymnie: cruels! arrêtez. Ah! du moins avant sa chûte, qu'il lui soit permis de prendre encore une fois la lyre. Il la touche à ses accens Amphitrite se calme, les Aquilons s'envolent, les Monstres des. mers s'élèvent au-dessus des flots tempérés, et se: rassemblent autour du Vaisseau barbare: Arion en est précipité; un Dauphin le reçoit, le porte

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au sein des vertes ondes, et le rend aux rives Les biennes. C'est peu; l'Empire de la Terre et celui du Trident ne suffisent roint à la puissante Har→ monie; elle va porter ses conquêtes hors du monde même, et sur des plages inconnues au Dieu du jour. Eurydice n'est plus : tendre Epoux et toujours Amant, le Chantre de la Thrace ose quitter les régions de la lumière: à la lueur du flambeau de l'Amour, il perce les profonds déserts du Cahos; vivant il descend chez les Morts ; sa Lyre triomphante va lui frayer. des chemins que ni l'or, ni les armes, ni la beauté n'ouvrirent jamais à des êtres animés: il marche intrépide; déjà il a pénétré aux brûlantes rives du Phlégéton, il passe; à sa suite la troupe ailée des Amours traverse l'onde noire : Orphée chante; à ses tendres accords l'éternelle nuit perd son horreur, l'éternel silence a cessé, l'éternel sommeil est interrompu, la Mort retarde ses fureurs, un peuple d'Ombres voltigeantes entoure le Fils de Calliope; les tourmens du Tartare sont suspendus; Porphyrion, Sysiphe, Ixion, Tantale, éprouvent de plus doux momens; Tisiphone est désarmée, la Parque oisive, Mégère attendrie, le Monarque des Mânes kui-même, tyran jusqu'alors inexorable, s'étonne de se trouver sensible; trois fois il résiste, trois fois il est fléchi.

Telles sont, Messieurs, les images parlantes et les éloquentes allégories sous lesquelles la première antiquité se plaît à nous peindre la puissance de l'Harmonie, dès les tems héroïques. Mais pour marcher plus sûrement à la vérité, levons, si vous voulez, cette écorce des Fables et ce voile de la fiction ; en voici la réalité. Par ces arbres animés, par ces rochers émus, par ces monstres attendris, nous comprendrons, et il est vrai que les premiers Humains se sentant encore du Cahos, encore errans, sans lois, sans mœurs, sans Patrie, habitans enfin des antres sauvages, furent humanisés, attirés dans des murs réunis sous des lois par des accords de quelques mortels déjà plus cultivés, qui, dans des chansons engageantes, leur vantoient la beauté de la raison, les avantages de la société, les charmes de l'ordre. Par ces tourmens infernaux soulagés et suspendus, nous comprendrons, et il est vrai, que souvent l'Harmonie enchanta les maux (*) et suspendit la douleur. De plusieurs preuves incontestables de cette vérité, je ne veux que celle que nous offre cet insecte fameux et funeste aux champs de Tarente mais ta puissance salutaire, Harmonie charmante, fut toujours plus marquée encore

(*) Athénée Liv. 4.. Ch. 14.

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