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QUATRIÈME PARTIE

PERSONNEL CONSULAIRE

Unique. - Des Consuls, en pays de chrétienté et hors
chrétienté.

L'examen de la situation des Consuls, en ce qui concerne les privilèges et immunités dont ils jouissent, même au point de vue spécial et restreint où nous nous efforçons de nous tenir, ne peut être utilement entrepris, qu'après avoir fait une première distinction entre les Consuls résidant dans les pays de chrétienté et les Consuls exerçant leurs fonctions dans les pays hors chrétienté.

Cette distinction étant admise sans que nous ayons à la justifier, puisqu'elle paraîtra à tous imposée par cette différence dans les situations, abordons notre étude en nous efforçant de préciser successivement, quelles sont les immunités de juridiction auxquelles peuvent à bon droit prétendre les Consuls, suivant qu'ils résident dans les pays soumis aux règles du droit public international ou dans des pays qui repoussent l'application de ces règles, ou ne les ont acceptées que partiellement.

CHAPITRE PREMIER

DES CONSULS DANS LES PAYS HORS CHRÉTIENTÉ

1er.

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- Pourquoi notre étude porte d'abord sur les Consuls hors chrétienté.

Il semble que, pour suivre l'ordre logique et rationnel, nous devrions essayer de fixer en premier lieu quelle est la situation des Consuls en général d'après l'organisation réglementaire des consulats, suivant le droit international, et n'aborder les règles applicables à l'exception qu'après avoir posé les règles propres de l'institution. Si nous croyons devoir procéder autrement, c'est que la situation des Consuls dans les pays hors chrétienté, au point de vue où nous nous plaçons, a de si nombreux rapports avec la situation des agents diplomatiques, que cette partie de notre étude peut n'être considérée que comme une annexe et un complément de celle que nous venons d'achever; nous aurons très souvent à nous reporter à ce que nous avons déjà dit des agents diplomatiques, et ces explications complémentaires données, nous pourrons aborder, plus librement et sans préoccupations, l'étude du régime général des Consuls en ce qui concerne les immunités de juridiction.

22.

Origine des immunités des Consuls hors chrétienté.

Il ne faudrait cependant pas conclure de ce que je viens de dire, que dans les pays hors chrétienté, les privilèges dont jouissent les consuls dérivent de ceux qui ont été attribués aux

agents diplomatiques et qu'ils soient fondés sur l'assimilation des Consuls avec les agents. Chateaubriand a dit quelque part : « les Consuls ont créé les ambassadeurs et les ambassadeurs seront remplacés par les Consuls. » Je ne sais ce qu'il en sera à l'avenir, mais pour le passé, la proposition est vraie. Il y a eu depuis bien longtemps des Consuls avec des résidences fixes et permanentes, alors que les ambassadeurs n'étaient investis de leurs fonctions que pour traiter des affaires spéciales, et pour un temps limité au règlement de ces affaires. De sorte qu'il ne faudrait pas rattacher les Consuls aux ambassadeurs pour n'en faire qu'une création dérivée et complémentaire.

A une époque assez éloignée, les relations de peuple à peuple étaient loin d'avoir le caractère qu'elles ont aujourd'hui, et les facilités qu'on leur accorde; les frontières étaient fermées et souvent impénétrables; l'étranger était l'ennemi dont il fallait se garer, et contre lequel on ne songeait qu'à se défendre. Puis, lorsqu'on comprit les avantages que pouvaient procurer les relations commerciales, et que la navigation plus sûre et se répandant put faire désirer de voir ces relations se multiplier et s'affermir, certaines villes maritimes furent ouvertes aux étrangers. D'abord timidement, non sans crainte, et partant sans user de précautions multiples et de toute nature; le port fut ouvert, non la ville, le négociant étranger ne fut admis à quitter son navire et mettre pied sur la terre interdite, qu'à la condition de ne pas dépasser certaines limites, de vivre dans un quartier spécial, séparé du territoire national par une enceinte plus ou moins difficile à franchir. C'est ainsi qu'il se créa dans ces quartiers neutres, et hors la loi territoriale, une population agglomérée qui dut avoir ses lois propres et une autorité distincte, ayant son autonomie, ses pouvoirs spéciaux. Le chef de cette colonie étrangère de négociants, ce fut ce que nous avons appelé le Consul, qui, par la force des choses, dut avoir certains privilèges, certaines immunités comme chef du quartier et juge des différends de ceux qui y habitaient.

On voit que je reviens ici à la fonde, funda, fondaco des italiens, alfondega des espagnols, en continuant à donner à ces désigna

tions la portée étendue que leur donnaient Depping et Miltitz (1) qui écrivent: « Ce qui constituait un consulat au Levant était un enclos fermé où résidaient le Consul d'une nation étrangère et les marchands ses compatriotes; outre leurs habitations, cet enclos appelé fonde, renfermait ordinairement des magasins ou boutiques, une chapelle ou même une église, un four, un bain, une taverne, une boucherie et une halle aux poissons. » De Brèves (2), après avoir indiqué que là se trouvent les magasins des marchands, ajoute: « Les marchands y logent aussi. » De Launoy, dans son voyage en Egypte et en Syrie (3), répète : << Il y a plusieurs marchands chrétiens dedans la ville, qui là demeurent. En espécial: Vénitiens, Gènois et Catalans, qui y ont leurs fontègues, comme maysons grandes et belles, et les enferme on la dedans, et tous les chrestiens chacune nuyt de haulte heure, et le matin les laissent les Sarrazins sortir de boen heure. »

Ce que M. de Gabrielli, dans un discours de rentrée devant la Cour d'Aix, traduisait ainsi si heureusement et avec une vérité absolue. « Voyez-vous dans les villes les plus importantes du littoral africain et de l'Asie mineure ce quartier à part dont les Sarrasins ferment chaque nuit les issues au moyen de portails élevés ? C'est la colonie chrétienne. Les murs y sont plus propres et les maisons presque toujours mieux bâties qu'ailleurs; au rez-de-chaussée s'étendent de vastes magasins encombrés de marchandises; au-dessus logent les négociants. Il y a, dans ce quartier un four et une église desservie par son prêtre. Le Consul lui-même habite là. Il y représente l'autorité de la patrie absente. C'est une petite Troie, comme les exilés aiment à en construire; et quand les ténèbres règnent, on pourrait s'y croire dans une cité européenne, si la voix du Muezzin n'arrivait point par intervalle du balcon des minarets. >

C'est là, dans la fonde, que je rencontre le Consul avec l'autorité que lui confèrent nécessairement sa situation, et la force

(1) Depping, t. II, p. 45; Miltitz, t. II, p. 433.

(2) Voyage en Turquie.

(3) Archeologia or miscellaneous tracts, t. XXI.

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