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Il faut étendre le droit d'intervention de l'autorité territoriale lorsque les actes qui se passent à bord, au lieu d'y être cantonnés avec leurs suites, peuvent avoir des conséquences fâcheuses pour l'ordre, la tranquillité et la sûreté du pays où sc trouve le navire (1).

Tous droits de police et de juridiction seraient attribués dans ce cas à l'autorité territoriale. Il en serait de même si les chefs du navire faisaient eux-mêmes appel à cette autorité et lui conféraient le soin de réprimer des crimes ou délits commis à bord.

Dans le premier cas et alors que l'action des fonctionnaires ou magistrats de la localité se produirait d'office, ils auraient à remplir vis-à-vis des chefs du bord ou du Consul, les formalités préalables prescrites par les traités, et à défaut de traité, les actes de courtoisie usités suivant les circonstances, à moins du cas d'urgence pouvant justifier qu'il soit passé outre sans leur accomplissement préalable, et sauf à donner connaissance de cette intervention le plus tôt possible aux Consuls ou autres agents officiels de l'Etat auquel le navire appartient par sa nationalité.

Rocco (2) et Legraverend pour déterminer les compétences font une autre distinction: le délit commis par un homme de l'équipage d'un navire étranger dans un port est-il préjudiciable à un citoyen du pays, les tribunaux du pays en connaîtront; mais si aucun des habitants de la localité n'en a souffert on suivra la compétence du pavillon. Cette distinction à laquelle un avis du Consul du 20 octobre 1806, approuvé le 20 novembre, parait donner son appui, pourra bien être prise en considération lorsqu'il s'agira pour l'autorité locale d'apprécier si elle doit ou non intervenir, mais alors qu'un fait fort grave

no 538, p. 475, qui invoque à l'appui de son opinion Hautefeuille, de Raynal. De la liberté des mers, et Ortolan, Dipl. de la mer.

(1) Casaregis, Discursus légales, 136, no 9; Martens, Dr. des gens, n° 322; Massé, Dr. com., n° 527; Azuni, Dr. maritime; P. Fiore, t. 1, n° 539, p. 477; Ortolan, t. I, p. 303; Testa, p. 108. C. d'Etat de Fr.. 28 octobre, 26 novembre 1806; et l'espèce rappelée par Ortolan, t. I, p. 305.

(2) Rocco, t. II, p. 131.

se sera passé sur un navire étranger stationné dans un port, nous ne saurions admettre que ce fait puisse rester impuni, s'il plaît au commandant de ce navire dont l'appréciation peut être influencée par des motifs plus ou moins avouables, d'étouffer, comme on dit, l'affaire. Un navire de commerce étranger dans un port français par exemple, est à la fois sous la protection et sous l'autorité des lois de la France, et il ne peut être admis què des gens de l'équipage s'égorgent sur son bord sans que la justice française puisse intervenir, sous prétexte que les meurtriers ou les victimes ne sont pas de nationalité française.

Aussi, relativement au régime sous lequel doivent être placés les navires de commerce étrangers dans les eaux territoriales, divers auteurs tout en étant d'avis de s'en référer aux règles admises par la France, généralement acceptées par les autres nations, d'après lesquelles les autorités locales ne doivent pas s'ingérer dans les actes de pure discipline intérieure du navire, ni même dans la connaissance d'un crime ou délit commis par un homme de l'équipage, contre un autre homme du même équipage, ajoutent-ils lorsque la tranquillité du port n'en est pas compromise. Il en est tout autrement des crimes ou délits commis même à bord contre des personnes étrangères à l'équipage, ou par tout autre que par un homme de l'équipage, ou même de ceux commis par les gens de l'équipage entre eux, si la tranquillité du port en est compromise (1).

Si pour les navires de guerre étrangers nous admettons sans hésiter et sans restriction les immunités de juridiction, résultant de leur propriété nationale et de l'organisation de leur bord, nous ne saurions étendre le régime aux navires marchands propriété des particuliers que nous considérons comme soumis, navires et gens de l'équipage, aux règles du droit commun. Certainement dans certains cas et lorsqu'il s'agira de mesures

(1) B. Lawrence, Com., t. III, p. 436; Ortolan, Dipl, de la mer, liv. II, chap. x, p. 302; Wheaton, Revue de dr. fr. et étr., t. II, p. 206, qui s'est rallié à cette distinction après avoir admis que les navires marchands dans les eaux territoriales étrangères étaient dans tous les cas et sans distinction soumis aux juridictions locales.

de police intérieure, de différends entre gens de l'équipage ou entre eux et leur chef, le pouvoir du commandant du bord ou l'action consulaire pourront s'exercer sans intervention de l'autorité locale et sans recours aux tribunaux du pays; mais en dehors de l'action disciplinaire et de l'action arbitrale et administrative des Consuls, le droit commun en matière civile et criminelle doit, suivant nous, être considéré comme complètement en vigueur. Sans doute il y aura parfois des préalables à remplir pour maintenir les bons rapports entre les autorités consulaires et les autorités locales, et pour faciliter même l'action de ces dernières, mais les procédés dont on ne doit pas s'abstenir, ne doivent pas porter atteinte en définitive au respect des règles du droit commun. Et la loi française de 1806 malgré ses dispositions difficiles à concilier avec ces principes, ne doit pas être considérée comme portant obstacle à leur application.

24. Droit de juridiction répressive et de police des Consuls.

Les Consuls étrangers ont un droit de juridiction et de police, quant aux délits que commettent entre eux et à bord de leurs navires les gens de mer étrangers (1).

Partant ce droit n'appartient pas aux juridictions territoriales.

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25. Limites de l'attribution aux Consuls d'une juridiction criminelle sur les navires.

Les gouvernements qui donnent à leurs Consuls une juridiction pour les délits qui se commettent à bord des navires nationaux entre hommes de l'équipage limitent leur pouvoir à la juridiction correctionnelle et seulement en tant que les peines d'après les lois ne sont pas censées afflictives (2).

C'est dans cette mesure, suivant nous, que peut être attribué un pouvoir de juridiction répressive aux Consuls sur les équi

(1) Merlin, Rép., vo Compétence; Moreuil, p. 356, 364.

(2) De Mensch, p. 53, § 4.

ÉTATS. II.

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pages de leur navire à l'étranger, et encore souvent ce droit ne leur sera-t-il pas reconnu par les lois de leur institution, qui ne leur permettront d'intervenir que pour instruire l'affaire et permettre aux tribunaux nationaux de juger plus tard un délit dont la connaissance échappera au magistrat de la localité.

Mais nous ne saurions partager l'avis de ceux qui pensent que, quelle que soit la gravité du fait qui s'est produit à bord dans un port étranger, le Consul puisse en enlever la connaissance à l'autorité du lieu en procédant soit comme instructeur soit comme juge, et nous ne saurions admettre avec MM. FunckBrentano et Sorel que « les Consuls aient juridiction sur les crimes et les délits commis à bord des bâtiments de la nation par des sujets de l'Etat qui les a nommés (1). »

Dès que les faits délictueux ont quelque gravité, qu'il est de l'intérêt de l'ordre et de la sûreté publique dans la localité qu'ils ne restent pas ignorés et impoursuivis par la justice locale, elle devra intervenir et connaître de l'affaire comme de toute autre de même nature se produisant dans sa circonscription (2).

2 6. Concours des commandants des navires de guerre et des Consuls pour la police et la surveillance des navires de leur nation à l'étranger.

Pour l'Allemagne, lorsqu'il existe un bâtiment de guerre dans le port de la résidence du Consul, la police des navires de commerce lui étant dévolue, le Consul devra s'entendre avec le commandant des forces navales de sa nation, pour ce qui intéresse la partie de ses attributions qui devient commune en ce qui concerne la surveillance et la protection de la navigation (3).

(1) Précis, p. 89.

(2) Voir dans les divers paragraphes les autorités citées à l'appui de cette proposition.

(2) De Mensch, p. 51. Voy. Ord. fr., 29 octobre, 21 novembre 1833; 7-21 novembre 1833.

27. Faits se produisant à bord et autorisant l'in tervention de l'autorité locale.

La règle qui permet à l'autorité locale d'intervenir, toutes les fois que les faits qui se produisent à bord d'un navire ancré dans le port sont de nature à porter atteinte à l'ordre dans le pays, doit être entendue sans abus, et d'une manière assez large; et c'est aux administrateurs et magistrats de la localité à apprécier s'ils doivent ou non intervenir à ce titre. Il importe peu que le fait, qui donne lieu à cette intervention et qui s'est produit sur le navire, se soit produit entre les gens de l'équipage, et des personnes se trouvant accidentellement à bord, ou entre ces derniers exclusivement. Dès que ce fait a de la gravité et que sa répression dépasse les limites des pouvoirs administratifs et disciplinaires réservés aux autorités du bord (1).

Il est vrai que des auteurs se sont montrés plus jaloux du principe de la territorialité du navire, et des tribunaux ont partagé leur sentiment. P. Fiore cite dans ce sens l'opinion d'Hautefeuille et des décisions de la Cour suprême du Mexique et de deux tribunaux italiens, et il donne son appui à cette opinion (2); mais son savant et judicieux traducteur M. Antoine, magistrat français, dans une note qui accompagne le texte, fait remarquer avec raison « qu'il lui semble que par le seul fait qu'un délit d'une certaine gravité est commis dans un port, l'ordre y est troublé. En effet, c'est là que l'effet fâcheux produit sur les esprits par suite du délit se manifeste et que le scandale qui en résulte est produit, et c'est là aussi que l'exemple résultant de la répression pénale sera le plus efficace. Du reste pour se placer à un point de vue pratique, souvent si ce n'est pas la juridiction territoriale qui connait du délit, il restera impuni. »

P. Fiore lui-même se trouve mal à l'aise à la suite de l'opinion

(1) Cass. fr., 25 février 1859; Phillimore, Clunet, 77, p. 165; P. Fiore, t. II, no 544, p. 479, rappelle un cas où pareille règle a été appliquée en Russie; Guesalaga, no 65. Voy. Ortolan, t. I, p. 223 et suiv.

(2) Nouveau dr. inlern., t. I, no 515 et 546, p. 480 et suiv.

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