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n'appartient à personne; mais s'ensuit-il que tout le monde ait le droit de le poursuivre partout? autant vaudrait dire qu'on a le droit de venir chercher chez vous les animaux malfaisans ou immondes qui infestent vos maisons. Une autre considération doit fixer vos regards: vous devez faire des lois, non pour l'homme de la nature, mais pour l'homme de la société. Deux principes sont reconnus par les lois romaines: 1o Le gibier est la propriété de celui qui s'en empare; 2° chacun a le droit d'empêcher un étranger d'entrer sur son domaine pour chasser le gibier. La loi qui ne consacrerait pas ce droit de tout propriétaire, n'aurait pas davantage la force d'assurer les propriétés. Vous voulez faire fleurir l'agriculture. Pensez-vous qu'elle sera florissante, lorsque tous les vagabonds auront le droit de chasse? Le séjour de la campagne sera-t-il agréable, lorsqu'il ne sera plus sûr? Mais, messieurs, pour abréger cette discussion, je me bornerai à vous rappeler la déclaration des droits qui a décidé la ques tion. >>

L'assemblée arrêta qu'il serait défendu à toute personne de chasser sur le terrain d'autrui sans son consentement, et, par une disposition réglementaire, elle interdit la chasse, même aux propriétaires et possesseurs, sur leurs terres non closes, jusqu'après l'entier dépouillement des fruits.

C'est à dater seulement de ce décret que les moissons ont été mises à l'abri des ravages que les chasseurs commettaient de tems immémorial.

Une mesure très-sage, et qui n'a cessé d'être en vigueur depuis, fut ensuite adoptée, sur la proposition de M. Brillat-Savarin, magistrat recommandable; elle avait pour but de défendre aux gardes, en constatant les délits de chasse, de chercher à désarmer les délinquans, réservant aux tribunaux le droit de prononcer la confiscation des armes.

Des différentes parties de la constitution qui restaient encore à organiser, l'ordre judiciaire paraissait la plus importante; elle était aussi la plus impatiemment attendue. En effet, ce n'était point assez d'avoir rendu des lois protectrices de la liberté, de la sûreté individuelle et de l'inviolabilité des propriétés; il fallait leur donner une sanction et une garantie dans l'organisation de tribunaux indépendans, placés au-dessus de l'influence du pouvoir et des partis, chargés d'appliquer la loi, et de rendre la justice. La création d'un nouvel ordre judiciaire présentait des difficultés et même des dangers de plus d'un genre. Que de précautions à prendre avant de confier à des hommes le dépôt de l'honneur, de la vie et de la fortune de leurs concitoyens! et pourtant

il fallait remplir cette tâche au milieu des troubles, de l'irritation des partis, et malgré l'inopportunité des circonstances, car l'administration de la justice est le premier besoin des peuples.

La justice avait été considérée, dans l'origine de la monarchie, comme une partie de la puissance politique. Les rois la rendaient eux-mêmes à leurs vassaux, ceux-ci à leurs subordonnés. Il y avait donc confusion de pouvoirs, puisque les gouvernans sont souvent parties dans les contestations judiciaires, et peuvent chercher à influencer les décisions en faveur de leurs propres intérêts. Plus tard, les princes et les vassaux se débarrassèrent de cette haute fonction, en la confiant à des clercs. De là naquirent les parlemens, les tribunaux du second ordre, et les baillis qui rendaient les jugemens au nom des seigneurs. Mais de quelque manière que la justice ait été précédemment exercée, ce n'en est pas moins une idée entièrement fausse de croire qu'elle émane des rois. Non: la justice ne saurait émaner d'un individu sujet à tous les désordres des passions humaines, sous l'empire desquelles les rois sont placés par leur éducation plus encore que les autres hommes. La justice est fille du ciel comme la vérité; elle émane de l'équité que la Divinité a gravée dans tous les cœurs. Ses arrêts ne sont justes que lorsqu'ils sont conformes à ce

type originel': le nom du roi ne doit être invoqué que lorsqu'il s'agit de l'exécution des juge

mens.

Depuis long-tems l'ordre judiciaire, sans lequel il ne peut exister d'ordre public, était en souffrance dans tout le royaume; les justices seigneuriales avaient été supprimées avec la féodalité, les parlemens suspendus, les bailliages, les sénéchaussées et la plupart des autres tribunaux avaient perdu toute autorité. Il était donc indispensable de procéder sans délai à leur remplacement, et de faire reposer le pouvoir chargé d'appliquer les lois et d'en punir les infractions, sur des bases plus conformes aux principes de la nouvelle constitution.

Déjà l'assemblée nationale avait opéré dans cette partie d'utiles changemens: elle avait posé les limites qui, circonscrivant l'ordre judiciaire dans ses attributions, devaient le séparer de la puissance législative, dont naguère il était encore le rival, et de l'ordre administratif, dont il aurait pu, par une confusion dangereuse, entraver la marche ou arrêter les mouvemens. Elle avait aboli la vénalité des charges, réformé la procédure criminelle, établi la publicité de l'instruction, donné des garanties à la défense de l'accusé, amélioré les lois pénales. Enfin, sur la proposition de M. Guillotin, médecin philanthrope, en

supprimant les cruautés de lois créées dans les tems d'ignorance, elle avait prononcé lé même genre de supplice pour tous, sans distinction du des personnes.

rang

<«<< Il existe parmi nous un préjugé barbare, avait dit l'abbé Pépin, dans cette circonstance, en rappelant la motion de M. Guillotin: c'est celui qui dévoue à l'infamie les proches d'un criminel: cédez au cri de la raison; réprouvez ce que la saine philosophie condamne; que les fautes soient, chez une nation éclairée, entièrement personnelles. Par un reste de la tyrannie féodale, la confiscation des biens du condamné, en certains cas et pour certains délits, étendait la peine à une génération innocente, à des enfans, à des proches, déjà trop malheureux d'appartenir à un coupable. Restreignez, messieurs, par votre sagesse, la peine du délit au seul criminel; abrogez

1 La génération actuelle trouve tout simple ce qu'elle voit établi maintenant d'une manière convenable; mais elle n'apprécie peut-être pas suffisamment combien il a coûté d'efforts pour obtenir ce qui paraît avoir dû exister de tout tems. Presque rien de ce qui constitue aujourd'hui le droit commun n'existait avant la révolution. Il a fallu soutenir des combats, remporter des victoires pour l'obtenir. Cette réflexion doit faire comprendre aux citoyens que ce n'est qu'avec une grande force de volonté qu'ils pourront continuer à jouir de ces importantes améliorations.

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