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« L'assemblée nationale, considérant qu'elle n'a et ne peut avoir aucun pouvoir à exercer sur les consciences et sur lés opinions religieuses; que la majesté de la religion et le respect profond qui lui est dû ne permettent point qu'elle devienne le sujet d'une délibération;

« Considérant que l'attachement de l'assemblée nationale au culte catholique, apostolique et romain, ne saurait être révoqué en doute, au moment même où ce culte seul va être inis par elle à la première place dans les dépenses publiques, et où, par un mouvement unanime de respect, elle a exprimé ses sentimens de la seule manière qui puisse convenir à la dignité de la religion et au caractère de l'assemblée nationale;

« Décrète qu'elle ne peut ni ne doit délibérer sur la motion proposée, et qu'elle va reprendre l'ordre du jour concernant les dîmes ecclésiastiques 1. »

Le succès des délibérations n'était pas toujours indépendant de la considération attachée aux personnes. La position sociale, l'âge, le caractère du duc de La Rochefoucault, lui donnaient une autorité et un crédit qui pouvaient influer utilement sur l'assemblée. Les circonstances paraissaient assez graves pour qu'on eût recours à cette influence, et Adrien Duport, qui avait rédigé un projet de décret motivé pour passer à l'ordre du jour sur la proposition de dom Gerles, n'hésita point à prier le duc de La Rochefoucault de s'en faire l'organe à la tribune. Il

Ce projet est accueilli par les applaudissemens de la majorité de l'assembléc. On demande à délibérer sur-le-champ; mais le côté droit s'y oppose; il insiste avec violence en faveur de la proposition de dom Gerles. La discussion s'anime encore et se prolonge. On cite et Clovis et Louis XIV; Clovis qui le premier a embrassé le christianisme, Louis XIV qui a juré de ne jamais souffrir en France d'autre religion que la religion catholique. Au milieu du tumulte, la voix de Mirabeau se fait entendre:

« Je ferai observer à celui des préopinans qui a parlé avant moi, qu'il n'y a aucun doute que, sous un règne signalé par la révocation de l'édit de Nantes, et que je ne qualifierai pas, on ait consacré toutes sortes d'intolérances. Je ferai observer encore que le souvenir de ce que les despotes ont fait ne peut servir de modèle à ce que doivent faire les représentans d'un peuple qui veut être libre. Mais, puisqu'on se permet des citations historiques dans la matière qui nous occupe, je n'en ferai qu'une. Rappelez-vous, messieurs, que d'ici, de cette même tribune où je parle, je vois la fenêtre du palais dans lequel

faut rendre cette justice à l'assemblée constituante, que son amour du bien public, son dévouement absolu au triomphe de la révolution, laissaient peu d'accès aux rivalités, aux faiblesses de l'amour-propre, et à l'irritation des vanités individuelles.

des factieux, unissant des intérêts temporels aux intérêts les plus sacrés de la religion, firent partir de la main d'un roi des Français, faible, l'arquebuse fatale qui donna le signal du massacre de la Saint-Barthélemi. >>

Cette brillante et audacieuse citation ne ralentit point les efforts de l'abbé Maury et du côté droit; mais ils furent obligés de céder au vou prononcé de la majorité de l'assemblée, et la rédaction du duc de La Rochefoucauld fut adoptée au milieu des plus vifs applaudisse

mens.

Alors fut reprise la délibération sur le projet du comité des dîmes, interrompue par la motion de dom Gerles. Cet incident avait encore exalté les esprits: aussi les premiers mots prononcés par Cazalès sur la question, principale excitèrent de violens murmures: «Votre comité, s'écria-t-il, vous propose de dépouiller le clergé de ses biens! A-t-il donc oublié que les propriétés sont inviolables? (Interruption). Oui, il faut qu'il l'ait oublié, puisqu'il enlève au clergé l'administration de ses biens, qui est la partie la plus précieuse de la propriété. En vérité, j'ai peine à reconnaître, à de pareils actes, un peuple jadis célèbre par sa loyauté....

« Pour dérober aux regards l'injustice de vos projets, vous essayez de les couvrir de l'égide

1790. 95 de la loi, vous les décorez du prétexte de l'utilité publique..... Sont-ils moins insensés, ces capitalistes, qui pressent vos opérations par tant de manoeuvres? Qu'ils pensent donc que toutes les propriétés se touchent, et que si l'on en viole une seule, on est prêt à les violer toutes.... (Malgré les murmures, Cazalès continue.) La dette publique sera payée par les offres du clergé, par les contributions des peuples.... Voilà les seuls moyens dont il vous soit permis de vous servir, si vous ne voulez pas vous déshonorer à la face de l'Europe. >>

On demande avec force que Cazalès soit rappelé à l'ordre; mais l'assemblée repousse ce genre de censure par respect pour la liberté des opi

nions.

Enfin, le projet du comité des dîmes, dont j'ai donné plus haut l'analyse, est adopté, avec quelques modifications, au milieu des clameurs du côté droit. Durant la délibération, plusieurs membres avaient proposé que les frais du culte fussent déterminés par chaque département. Le père Gérard, qui n'abusait pas de son droit à la parole, demanda que chaque paroisse pourvût à l'entretien de son curé et de son vicaire, comme elle venait au secours de ses pauvres. « Cela me parait de toute justice, disait-il. » Néanmoins, l'assemblée décréta qu'il n'y aurait aucune distinction entre cette partie du service public et les

autres dépenses nationales; que les frais du culte seraient répartis proportionnellement sur la généralité des contribuables du royaume, et que les assemblées administratives procéderaient à la liquidation des dimes inféodées.

Par une exception à l'article 1" de son décret, elle laissa l'administration de leurs biens à l'ordre de Malte, aux fabriques, hôpitaux, maisons de charité, colléges et établissemens administrés par des ecclésiastiques ou des corps séculiers, ainsi qu'aux maisons des religieuses destinées au soulagement des malades.

Merlin, au nom du comité féodal, ayant rappelé que par l'un des articles du décret du 4 août, le droit de détruire, sur ses possessions seulement, toute espèce de gibier, avait été rendu à tous les propriétaires, à la charge de se conformer aux réglemens qui seraient établis, Robespierre prit la parole, et soutint que la chasse n'était point une faculté qui dérivât de la propriété ; qu'aussitôt après la dépouille de la superficie de la terre, la chasse devait être libre à tout citoyen indistinctement; il en réclamait donc la liberté illimitée.

Cette opinion présentait trop de dangers pour être appuyée : aussi ne le fut-elle pas. Cependant Merlin crut devoir répondre à Robespierre: « Il est vrai, dit-il, que par le droit naturel, le gibier

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