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gieux, quand elle s'occupe en ce moment d'assurer la dépense du culte public? Ne les a-t-elle pas manifestés, lorsqu'elle a pris pour base de tous ses décrets la morale de la religion même ? N'at-elle pas fondé la constitution sur cette consolante égalité, si recommandée par l'évangile, sur la fraternité et sur l'amour du prochain? N'a-t-elle pas suivi l'esprit des saintes Écritures, lorsqu'elle a mis sous sa protection les faibles et le peuple dont les droits étaient si étrangement méconnus ? Quel danger ne renferme pas la motion qui vous est présentée! on nous instruit de toutes parts des efforts des ennemis publics; on nous apprend qu'à Lille on est parvenu à armer les soldats contre les citoyens; que, dans quelques provinces, on veut armer aussi les catholiques contre les protestans. Vous savez comment on a abusé de vos décrets en les altérant, et vous ne craindriez pas que dans les provinces, que dans le Languedoc particulièrement, où l'on a déjà tenté une guerre de religion, on ne s'autorisât du décret même qu'on vous demande pour renouveler de si funestes scènes? Au lieu de porter la lumière à nos frères, voulez-vous donc porter le glaive dans leur sein, au nom du Dieu de paix? vous ne l'avez point oublié, messieurs, cette proposition vous a déjà été faite lors de la discussion sur les biens du clergé, et c'est au moment où nous

nous en occupons encore qu'on ne craint pas de la reproduire! Ah! craignons de voir la religion invoquée par le fanatisme, trahie par ceux-là même qui affectent de s'en proclamer les seuls défenseurs; et ne fournissons pas de prétextes pour commettre des crimes, en rendant un décret qui peut la compromettre, au lieu de propager ses succès dans tout l'univers, comme vos lois propagent ceux de la liberté.....>>

<< Ne serait-ce pas nuire à la constitution du royaume, répondait le lendemain l'abbé Samarie, que de laisser régner toutes les religions, sans donner une prééminence marquée à la religion catholique? Ne serait-ce pas exposer la nation aux horreurs du fanatisme? Je demande, au nom de mes commettans, de nos paroisses et du clergé de France, que le culte public de la religion catholique, apostolique et romaine, continue d'être maintenu comme loi fondamentale et constitutionnelle; et si cela n'est pas ordonné, j'en demande acte pour nous mettre à couvert de la malédiction de Dieu et de l'exécration des peuples. >>

« Je respecte profondément la religion catholique, disait le baron de Menou, mais ma conviction en sa faveur et la forme du culte que je professe sont-elles, ou peuvent-elles être le résultat d'une loi? Ma conscience et mon opinion n'ap

partiennent qu'à moi seul, et je n'ai de compte à en rendre qu'au Dieu que j'adore. Ni les lois, ni les gouvernemens, ni les hommes n'ont sur cet objet aucun empire sur moi; je ne dois troubler les opinions religieuses de personne, personne ne doit troubler les miennes, et ces principes, vous les avez solennellement consacrés en établissant l'égalité civile, politique et religieuse. Pourquoi donc voudrais-je faire de cette religion que je vénère, la religion dominante de mon pays? Si tous les hommes sont égaux devant la loi, si les consciences ne peuvent être soumises qu'à Dieu, puis-je m'arroger le droit de faire prévaloir ou mes usages, ou mes opinions, ou mes pratiques religieuses? Un autre homme ne pourrait-il pas me dire : Ce sont les miennes qui doivent avoir la préférence, c'est ma religion qui est la meilleure, c'est elle aussi qui doit être la dominante; et si tous deux nous mettons la même opiniâtreté à défendre nos doctrines, ne s'ensuivra-t-il pas une querelle qui finira peut-être par la mort de tous deux? Or, ce qui n'est qu'une querelle entre deux individus, ne deviendra-t-il pas une guerre sanglante entre les différentes portions d'un grand peuple?

« Le mot dominante n'entraîne -t-il pas l'idée d'une supériorité contraire aux principes de la liberté de conscience et de l'égalité qui font la

base de notre constitution? Sans doute, en France, la religion catholique est celle de la majorité de la nation; mais, n'y eût-il qu'un seul individu qui en professât une différente, il a le même droit de l'exercer, pourvu qu'il ne porte atteinte ni à la religion de la majorité, ni à l'ordre public, ni au maintien de la société....

«Ouvrez les annales de l'histoire, et surtout celles de la France. De quels malheurs les guerres de religion n'ont-elles pas accablé ce beau royaume! De quelles horreurs n'ont-elles pas souillé les règnes de plusieurs de nos rois, depuis François Ier jusqu'à Louis XIV! Oublions, s'il se peut, ces monumens du fanatisme religieux; épargnons surtout à l'avenir la honte de pareils désastres.

peu

<«< Ministres d'un Dieu de paix, qui ne voulut établir son empire que par la douceur et la persuasion, et qui vous a donné de si grands exemples de charité, voudriez-vous que l'assemblée nationale devint l'instrument du malheur des ples? Un zèle mal entendu a pu vous égarer un instant; rendus à vous-mêmes, rendus à votre saint ministère, vous chercherez à étendre, par vos vertus, la religion que vous professez. C'est ainsi seulement, et non par un décret, que vous pourrez établir sa supériorité. Pouvez-vous croire que les lois et les volontés de la Providence aient

besoin de votre secours? La religion n'est-elle pas indépendante de tous les efforts humains; et la déclarer dominante, ne serait-ce pas porter atteinte au respect que nous lui devons? Infidèles à ses doctrines, à son esprit de miséricorde et d'humanité, irons-nous, par des mesures superflues, attentatoires à la majesté du christianisme, irons-nous mettre les armes à la main du peuple, favoriser les intrigues, les haines, les vengeances, les crimes de toute espèce qui s'enveloppent du manteau de la religion? Savons-nous où s'arrêteraient le carnage et la ruine? Ces idées ne sont sans doute entrées dans l'esprit d'aucun de ceux qui soutiennent la motion proposée. Mais, si l'assemblée nationale adoptait ce dangereux décret, je ne crains ne crains pas de le dire, en ma qualité de représentant de la nation entière, je rendrais ceux qui l'auraient voté responsables de tous les maux dont je serais le témoin, et du sang qui ne manquerait pas d'être répandu.»

Éclairé sur l'imprudence et les dangers de sa motion, dom Gerles se hâta de la retirer; mais.le côté droit s'en empara et en soutint la discussion. Parmi les nombreuses rédactions qui furent alors présentées pour repousser la suprématie de la religion catholique, le projet de décret proposé par le duc de La Rochefoucauld fixa particuliè ment l'attention.

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