Page images
PDF
EPUB

mens de l'état et la garantie des intérêts généraux ne puissent jamais être réclamées en vain, ce que cette science, alors, peut perdre d'importance et d'éclat, se trouve suffisamment compensé par ce qu'elle gagne en solidité comme en moralité.

L'expérience démontre chaque jour la justesse de cette observation; plus on est étranger à la question que l'on traite, plus les moyens que l'on cherche pour la résoudre sont compliqués et difficiles; ce n'est qu'après s'être égaré long-tems à poursuivre un système, qu'on reconnaît avec surprise que toujours la mesure la plus simple, et dont l'idée semblait devoir se présenter la première, répond le mieux au but qu'on se proposait d'atteindre. Il en arriva à peu près ainsi dans l'assemblée, lorsqu'on traita les questions financières. Il semblait alors qu'une nouvelle et vaste conception pouvait seule venir au secours du trésor public et sauver l'état, et, dans cette attente, presque tous les regards étaient tournés vers M. Necker, dont la réputation, même en finances, surpassait de beaucoup la capacité.

Pour répondre au vœu public, le ministre vint faire lecture à l'assemblée d'un mémoire trèsétendu où il exposait l'état du trésor, ses besoins impérieux, et les difficultés des circonstances. Le service extraordinaire des années 1789 et 1790

exigeait, d'après ses calculs, une somme de 170 millions que, dans un moment d'alarme et de discrédit, on regardait comme presque impossible de réaliser par un emprunt, quelque fût d'ailleurs le taux auquel on fixerait l'intérêt. Un seul moyen lui paraissait susceptible de résoudre à la fois toutes les difficultés; c'était la création d'un papier-monnaie remboursable ou non remboursable; mais le ministre ajoutait, à cet égard, que, si les circonstances mettaient le gouvernement dans la nécessité de se servir de billets qui ne fussent pas conversibles en argent à volonté, bien loin d'user immodérément de cette ressource, il fallait la resserrer dans les plus étroites limites, et que, pour ménager la confiance, il convenait d'accélérer, par tous les moyens possibles, le terme de la durée des billets émis.

Le plan que présentait alors le ministre des finances consistait à convertir la caisse d'escompte en banque nationale, avec un privilége pour dix, vingt ou trente années. Il proposait de choisir une portion de ses administrateurs parmi des hommes qui n'appartiendraient ni à la banque ni aux finances; de faire surveiller son administration par des commissaires spéciaux, et attribuer à ses statuts une sanction légale, après qu'ils auraient été revus et discutés dans l'assemblée. M. Necker demandait de limiter à 240 mil

Hons la somme des billets qui pourraient être mis successivement en circulation, mais d'en faire garantir le paiement par la nation elle-même. Revêtus, en conséquence, d'un timbre aux armes de France, avec ces mots pour légende : garantie nationale, ils devaient être reçus comme argent dans toutes les caisses royales et particulières.

Avant de passer aux nombreuses objections présentées contre le projet de M. Necker, il convient de dire quelques mots de la caisse d'escompte, que ce ministre voulait faire convertir en banque nationale, et d'expliquer comment les opérations de cet établissement se trouvaient liées alors à celles du trésor public.

Créée en 1776, sous le ministère de M. Turgot, par un simple arrêt du conseil, et sans privilége exclusif, dans le but d'escompter des effets à 4 p. o/o, de faire le commerce des matières d'or et d'argent, et de recevoir les dépôts, la caisse d'escompte, destinée spécialement à être la caisse personnelle et domestique de chacun de ceux qui lui confieraient des fonds, n'avait dans le principe aucune espèce de rapport avec le service du trésor royal. Ce n'est que plusieurs années après son institution qu'elle contracta des relations avec le gouvernement; en donnant de l'étendue à ses affaires, ces relations lui obtinrent d'abord de la faveur, mais bientôt elles lui devinrent funestes:

le ministère ayant été conduit d'expédiens en expédiens, et de déficit en déficit, fit à cette caisse divers emprunts qu'il demanda d'abord, qu'il exigea ensuite, et qu'il ne put rembourser. La caisse d'escompte, associée ainsi à la détresse du trésor, se vit contrainte d'obtenir successivement des arrêts de surséance, et la permission de suspendre ses paiemens. Elle les reprenait, à la vérité, avec empressement et de bonne foi, aussitôt qu'elle en avait les moyens, et se conserva ainsi quelque crédit, malgré les opérations désastreuses dans lesquelles l'autorité l'avait entraînée. M. Necker, qui n'avait pu réaliser les deux emprunts dont il avait obtenu l'autorisation de l'assemblée, venait encore d'avoir recours à cette caisse, pour pourvoir aux besoins du service courant, et arriver, avec son assistance, jusqu'à l'année 1790, époque à laquelle, compensation faite de ce qu'elle avait reçu, il lui resterait encore dû, suivant arrêté de comptes, une somme de 90 millions.

Cette dette n'était ni moins légitime ni moins sacrée que toutes les autres dettes de l'état; aussi les objections contre le plan de M. Necker ne portaient-elles pas sur ce qu'il avait pour but principal l'acquittement des engagemens du trésor envers la caisse d'escompte, mais sur ce qu'il établissait un privilége, et que ce privilége était

une injustice vis-à-vis des autres créanciers de l'état.

Un des commissaires de la caisse d'escompte, M. de Talleyrand, combattit le plan du ministre des finances: «L'idée d'une banque nationale, dit-il, vient de frapper tous les esprits, et s'est acquis une grande faveur dans l'opinion.

<< Parmi ceux qui ont des notions saines du crédit, plusieurs regardent cet établissement comme indispensable, et ceux-là même qui savent à peine ce que c'est qu'une banque, semblent se rassurer. Le mot banque paraît tout rétablir; mais c'est une banque bien constituée qu'il s'agit de créer. Les banques sont des instrumens d'une trempe forte, qu'il faut manier avec intelligence.... Il est donc nécessaire d'entrer dans un examen approfondi.

«On propose une banque nationale; je pense qu'une banque bien constituée ne peut être nationale. Il est essentiel de ne pas confondre: la nation doit répondre de la dette de la nation; c'est improprement qu'on dit que la nation est créancière: elle est débitrice, et l'on ne peut pas être garant de ce qu'on doit.... Une nation loyale peut-elle accorder une garantie qui la placerait dans une funeste alternative?.... Peut-elle garantir une banque? Une banque peut-elle être établie au compte de la nation? Dans l'un et dans

« PreviousContinue »