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espèce de commerce maritime cesserait d'exister pour nous.

«Dès-lors aussi, les proportions des forces seraient changées entre les puissances; les Anglais acquerraient sur toutes les mers une supériorité sans obstacle. L'Espagne, qui ne peut leur résister que par l'union de ses forces avec les nôtres, serait bientôt, ainsi que nous, renfermée sur son territoire; ses possessions d'Amérique deviendraient enfin, comme nos colonies, la conquête de nos rivaux. Condamnée, par sa situation géographique, à n'avoir jamais sur le continent une grande influence par ses forces de terre, elle disparaîtrait, pour ainsi dire, du système politique de l'Europe, et son alliance ne nous présenterait plus aucune utilité.

« Nous serions enfin réduits à recevoir de nos voisins toutes les productions des autres climats; leur jalouse domination nous poursuivrait jusque dans nos ports: réduits à notre territoire, nous n'aurions pas même la liberté de naviguer sur nos propres côtes; et bientôt, pour leur sûreté, nous serions obligés d'y rassembler des troupes et d'y construire des forteresses.

<< En traçant ce tableau, messieurs, je n'ignore pas tout ce que peuvent opposer au cours naturel des événemens les incalculables efforts d'une nation puissante et libre; je sais que ce n'est pas

au moment où la France travaille à s'assurer les grandes destinées qui lui furent promises par la nature, qu'il peut être question de présenter ici des idées de découragement. La connaissance de nos moyens, au moment surtout où les nouvelles institutions seront affermies, nous rassurera toujours contre la perspective des événemens, en nous garantissant la certitude ou de les prévenir, ou de les réparer; et fussions-nous même réduits à nous voir privés de toutes nos ressources extérieures, qui doute qu'en nous repliant sur nousmêmes, avec la constance et l'énergie qui caractérisent les hommes libres, nous ne trouvassions dans notre industrie et dans la fécondité de notre sol l'assurance d'une nouvelle et d'une solide prospérité?

«Mais combien ces dédommagemens ne seraient-ils pas loin de nous? Combien le passage à ce nouvel état ne pourrait-il pas être long et pénible? Combien le changement subit de notre position n'entraînerait-il pas de malheurs généraux et particuliers? combien, enfin, d'obstacles n'opposerait-il pas au succès de la révolution?

« Tous les citoyens qui s'occupent et qui s'alimentent au moyen des travaux relatifs aux branches actuelles de notre commerce, des cités florissantes qui lui doivent tout leur éclat, des provinces entières qu'il vivifie, tomberaient, par son

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inaction, dans la plus affreuse détresse; la nation entière serait dans un état de souffrance. Il n'est aucune branche d'industrie, aucun genre de propriété qui n'en essuyât le contre-coup. Témoins de tant de maux, messieurs, vous n'auriez à leur appliquer aucun remède efficace; associés aux douleurs de vos concitoyens par cette profonde humanité, qui ne fut jamais étrangère aux ames vraiment fières et libres, vous n'auriez plus pour consolation la perspective assurée d'un bien général cette constitution chérie, dans laquelle vous avez placé toutes vos espérances, serait elle-même en péril; la situation des finances deviendrait alors réellement et profondément désastreuse; enfin, et par dessus tout, quels moyens ces calamités n'offriraient-elles pas à ceux qui voudraient faire revivre le despotisme ou produire l'anarchie plus cruelle encore? Une foule de malheureux, aveuglés par le désespoir, seraient prêts à leur servir d'instrumens. «< Vous aviez du travail, leur diraient-ils, avant de vouloir être libres; vous aviez du pain sous les anciennes lois, et ceux qu'on vous a représentés comme des tyrans assuraient au moins votre subsistance, et veillaient à vos premiers besoins: ah! croyez encore à leur zèle et vous verrez renaître votre ancien bonheur... » Artifices usés autant que coupables! Langage banal, auquel un peuple ingé

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nieux, instruit par les événemens, a coutume de sourire, mais qui n'en est pas moins toujours perfide, toujours dangereux, quand le désespoir est dans les ames, et quand le sentiment d'une profonde misère étouffe dans les cœurs tous les autres sentimens!

<< Si donc la prospérité de notre commerce est liée à la prospérité, à la conservation de nos colonies; si la nation a l'intérêt le plus pressant, le plus incontestable, à les protéger également, les mesures à prendre sur leur situation ne sauraient être trop décisives, et tout, messieurs, doit aussi vous faire concevoir qu'elles ne sauraient être trop promptes.

« Trois considérations importantes, comme je l'ai déjà annoncé, indiquent la division de ce travail: ° la nécessité de constituer les colonies; 2o les plaintes réciproquement formées par le commerce et par les colons sur l'état actuel du régime prohibitif; 3° les alarmes que les uns et les autres ont conçues sur l'application de quelques décrets.

<< Sur le premier point, messieurs, votre comité a pensé que les différentes lois décrétées pour les provinces françaises, ne pouvaient être également applicables au régime de nos colonies. Les colonies offrent certainement, dans l'ordre politique, une classe d'êtres particuliers qu'il n'est possible

ni de confondre ni d'assimiler avec les autres corps sociaux. Soit qu'on les considère dans leur intérieur, soit qu'on examine les rapports qui les lient avec la métropole, on sentira que l'application rigoureuse et universelle des principes généraux ne saurait leur convenir. Dans l'hypothèse particulière que nous avions à examiner, la différence des lieux, des mœurs, des climats, des productions, nous a paru nécessiter une différence dans les lois; les relations d'intérêt et de position entre la France et ses colonies n'étant point de la même nature que celles qui lient les provinces françaises soit avec le corps national, soit les unes avec les autres, les relations politiques entre elles doivent également différer; par ces motifs nous n'avons point cru que les colonies pussent être comprises dans la constitution décrétée pour le

royaume.

« En prononçant que les colonies auraient leurs lois et leur constitution particulière, votre comité a pensé, messieurs, qu'il était avantageux et juste de les consulter sur celles qui pouvaient leur convenir; il a cru que dans une matière où leurs droits les plus précieux étaient intéressés, et où les plus exactes notions ne pouvaient venir que d'elles, c'était essentiellement sur leur vou qu'il convenait de se déterminer. Mais en les appelant à l'exprimer, en leur laissant, sur tout ce

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