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1790. 17 sidérée que comme provisoire, extraordinaire et consultative, et seulement chargée de transmettre ses représentations et ses demandes à la métropole; mais l'événement n'a pas répondu aux espérances du roi. Dejà dans le nord s'était formée une assemblée provinciale, qui, en interceptant les dépêches des ministres, les a répandues avec des commentaires mal intentionnés. Les administrateurs, après avoir différé de publier l'ordonnance de convocation, ont fait cette publication, en indiquant Léogane pour le siége de cette assemblée. Des événemens affligeans ont éclaté à cette époque. Il s'est élevé une altercation violente entre le conseil supérieur et l'assemblée provinciale du nord. Cette assemblée croit renfermer en elle tous les pouvoirs; elle a fait arrêter un substitut du procureur-général; elle a prononcé la censure et le bannissement contre les magistrats: elle a cassé la réunion des deux conseils, et en a rétabli un, en le composant presque en entier de nouveaux membres M. de Pennier, commandant-général, a éprouvé de trèsgrands désagrémens pour avoir refusé de faire prêter serment aux troupes avant d'avoir reçu les ordres du roi. Le 15 janvier il consentit à faire prêter ce serment; il avait, à la suite de son refus, fait publier un avis dans lequel il assurait que les troupes n'agiraient jamais contre les citoyens que

sur la réquisition des officiers civils. On craint des asssemblées aussi entreprenantes dans les autres provinces. La perception des impôts est presque nulle, la pénurie des fonds est ex

trême.....

M. de la Luzerne terminait sa lettre par des observations sur les avantages que la France retirait des colonies, et notamment de St-Domingue, qui ne coûtait absolument rien au trésor public '.

Après la lecture des pièces, M. de l'Apparent conclut en ces termes, au nom du comité des rapports : « Voilà les faits; vous jugerez peut-être, messieurs, que l'assemblée du nord et le conseil du Port-au-Prince, ont dépassé des bornes qu'ils auraient dû respecter; mais les circonstances peuvent aussi rendre leur conduite excusable. Rien n'annonce que les colonies veuillent se séparer de la métropole. Le comité n'a pas eu le tems et les moyens de faire le travail nécessaire pour vous présenter un autre résultat. Les trois provinces de St-Domingue doivent envoyer incessamment des mémoires; le comité pense qu'il serait peut-être convenable d'attendre qu'ils fussent parvenus. »

'On voit que, dès-lors, le gouvernement lui-même eroyait être parvenu au plus heureux résultat, lorsque les bénéfices compensaient les dépenses des colonies.

ces,

<«< Avant de passer à la discussion du rapport qui vient de vous être fait, dit Alexandre Lameth, ne croyez-vous pas, messieurs, qu'il serait nécessaire de régler sur cet objet l'ordre de la délibération? Il ne paraît pas qu'on puisse tirer des lumières suffisantes d'un simple rapport de pièdans une affaire qui présente une foule de questions de morale, de philosophie, de politique el de commerce; questions, on ne saurait se le dissimuler, dont la discussion retentira au-delà des mers. Pour concilier les intérêts des colonies avec ceux de la France entière, et les principes avec leur convenable application, il me semble nécessaire de nommer un comité auquel on remettrait toutes les pièces relatives à St-Domingue et à la Martinique, ainsi que tous les détails instructifs sur la question. Ce comité, pour éviter les dangers que je n'ai fait qu'indiquer, devrait être institué sur-le-champ; il examinerait tous les rapports sous lesquels cette affaire doit être considérée, et vous présenterait, dans peu de jours, un plan fixe de travail. Nous gagnerons ainsi du tems, et, d'ici à ce que votre comité puisse vous communiquer ses vues, nous travaillerons à la constitution, dont l'achèvement est notre premier devoir.»>

Interrompue par un rapport de l'abbé Grégoire sur les pièces relatives à la Martinique, la déli

bération fut reprise immédiatement sur la proposition d'Alexandre Lameth. Vivement appuyée par un grand nombre de membres, et notamment par Charles Lameth et Lechapellier, cette proposition fut combattue par M. de Foucault et l'abbé Maury. « On a entamé, dit ce dernier, une foule de questions qui ne peuvent être traitées que successivement. Voici, messieurs, l'ordre des faits. Vous avez entendu jeudi les adresses du commerce de France. Vous avez dit que vous ne pouviez délibérer sur l'objet de ces adresses qu'après avoir pris connaissance des dépêches que le ministre avait reçues de Saint-Domingue et de la Martinique. Le rapport de ces dépêches vient de vous être fait, et l'on vous propose de décréter que les pièces seront renvoyées à un comité chargé de vous présenter un plan de travail; mais, en les renvoyant même à un comité, il est une question majeure dont vous devez vous occuper préalablement, et qu'il faut aborder sans délai. Abolirat-on, oui ou non, la traite des noirs? Il est impossible que l'assemblée ne s'explique pas à cet égard: il s'agit de la tranquillité, de la sûreté de nos colonies; il s'agit de la banqueroute qu'il faut éviter, et telles sont les circonstances qui nous environnent, que votre silence même sur la traite des nègres rendrait la banqueroute inévitable.

Je conclus donc, messieurs, à ce qu'on renvoie à un comité tout ce qui regarde la constitution, l'organisation des colonies, mais je demande que la discussion soit ouverte dès demain sur la grande question de la traite des nègres 1. »

Etranger à cette classe d'hommes qui voyaient dans le perfectionnement de l'ordre social la destruction de tous ses avantages temporels, Cazalès ne partageait pas l'opinion de l'abbé Maury, auquel il succédait à la tribune. Il demanda qu'on prît d'abord des moyens provisoires pour arrêter les insurrections qui affligeaient les colonies, et qu'on discutât ensuite à loisir les principes philosophiques et politiques sur la traite et l'esclavage des nègres.

L'assemblée reconnut qu'une décision aussi importante devait être préparée par des commissaires, et adopta la proposition d'Alexandre La

I

D'après la ligne constamment suivie par l'abbé Maury, ce ne serait sûrement pas porter trop loin l'esprit de dé fiance, que de penser qu'en demandant avec tant d'instance qu'on abordât sans délai cette dangereuse discussion, l'intention de l'abbé Maury était de mettre l'assemblée nationale dans l'alternative ou de s'aliéner l'opinion publique, en consacrant par une loi l'esclavage des noirs, ou de soulever contre elle tout le commerce, en proscrivant formellement un abus sans doute odieux en luimême, mais dont la suppression subite devait entraîner d'affreux désastres.

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