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sister à l'impulsion des intérêts généraux, elle aurait dû sentir cette vérité de fait, et s'unir aux communes dès 1789. Une transaction, faite à propos, en la plaçant, comme celle d'Angleterre, à la tête du mouvement, lui aurait obtenu des concessions, qui auraient pu prévenir les grands désordres dont nous avons été les témoins, et qu'on doit regarder comme une suite, peut-être inévitable, de sa résistance. On ne saurait le contester, une généreuse et habile résolution, adoptée alors par la noblesse et le clergé, les vouait à la reconnaissance publique, comme les fondateurs d'un système, qu'on eût pu prendre pour la liberté, en le comparant au régime arbitraire sous lequel on avait gémi pendant tant d'années. Grace à des sacrifices importans et dictés par une sage politique, une chambre des pairs, appelée par la force des choses, et composée de toutes les illustrations de la France, dans tous les genres, acquérait une considération immense. A la vérité la noblesse de province se trouvait presque entièrement excluc de ce premier corps de l'état; mais l'abandon de ses priviléges et son adhésion au nouveau régime, la plaçaient à la tête de la classe moyenne, portion toujours la plus influente des nations civilisées, et lui ouvraient, nécessairement, l'entrée de la chambre élective, concurremment avec les notabilités du tiers-état.

Il faut convenir cependant que ce système, pro

pre à attribuer presque exclusivement à la noblesse toute la puissance politique, eût entraîné avec lui de graves inconvéniens. Il laissait subsister une partie des institutions féodales, l'inégalité des partages dans les successions, la concentration des propriétés, et nous léguait ainsi l'avenir d'une seconde révolution, pareille à celle qui attend infailliblement l'Angleterre, pour avoir conservé tant d'élémens de féodalité dans son pacte social, et concentré la presque totalité des propriétés territoriales dans les mains de 25 mille individus. La conservation de l'antique aristocratie, renaissante sous une forme nouvelle, et revêtue d'une autorité légale, aurait maintenu ou fait naître une multitude d'abus, en privant de leurs organes et de leurs représentans naturels les intérêts du commerce, de l'industrie et des nombreuses professions qui concourent essentiellement à la prospérité publique; mais ces justes considérations n'affaiblissent en rien la conséquence de l'état des choses à l'aurore de notre révolution; il n'en est que plus démontré, au contraire, que la noblesse dut à de fausses idées, à un entêtement déplacé, à son opposition intempestive, la perte de son influence, que l'inconcevable erreur de l'émigration acheva de détruire pour toujours.

Les fautes de la cour ne furent pas moins graves. Si le roi s'était mis hautement à la tête de la

révolution, s'il avait exigé de la noblesse et du clergé les sacrifices que nécessitaient les circonstances, et si, dans le cas de refus, il eût comprimé leur opposition, il aurait acquis une popularité qui l'eût bientôt investi d'une puissance telle que probablement elle serait devenue funeste à la liberté dont elle eût arrêté l'essor. La vérité historique oblige aussi de dire que les représentans de la nation ne furent point non plus exempts de fautes, et que celles qu'ils commirent altérèrent leur puissance et portèrent quelquefois de vives atteintes aux intérêts publics.

Pendant tout le tems de son séjour à Versailles, l'assemblée s'était trouvée en face d'une armée rivale. Elle n'avait pour elle que la force de l'opinion; la force matérielle restait à ses ennemis, mais sa contenance, énergique et fière, leur avait imposé, parce qu'ils apercevaient la nation derrière les représentans. La liberté avait remporté les victoires du 23 juin et du 14 juillet; l'assemblée était venue au secours de l'autorité, compromise aux journées des 5 et 6 octobre, par l'imprudente manifestation de ses vœux pour le rétablissement du pouvoir arbitraire. La cour était vaincue, l'ancien régime expirant; il se défiait de ses propres moyens, et ne conservait d'espoir que dans les fautes de ses adversaires.

C'est, en effet, une situation entourée de pé

rils pour une assemblée représentative, que celle où, se croyant victorieuse, les membres qui la composent se livrent à des idées, à des calculs, à des projets qui n'avaient point encore occupé leur esprit. Tant que les dangers sont imminens, l'assemblée reste compacte; les combattans se serrent les uns contre les autres, comme sur un champ de bataille. On écoute les conseils de la prudence; on évite avec soin la moindre faute; on cherche à profiter du moindre avantage; enfin il règne, parmi les amis de la même cause, une réunion de volontés et de mouvemens, qui donne la force et assure le succès; mais à peine est-il obtenu, qu'une imprudente confiance s'empare des esprits, et les calculs personnels, comprimés jusqu'alors par le besoin de la défense commune, viennent reprendre leur funeste influence. Le pouvoir n'étant plus à d'autres, on s'occupe de l'attirer à soi, et chacun pense à la part qui pourrait lui convenir. Des idées ambitieuses fermentent dans les cœurs, sèment la division, et détruisent l'unité à laquelle on avait dû ses triomphes.

Il n'en fut point tout-à-fait ainsi à l'époque que je retrace; le sentiment du bien public dominait encore assez fortement pour que ces calculs intéressés n'eussent d'empire que sur un très-petit nombre de représentans de la nation, et encore n'osaient-ils se prononcer en face des nobles

sentimens qui dirigeaient l'immense majorité. Cependant il faut convenir qu'on put, dès-lors, reconnaître que les manoeuvres du ministère ne resteraient pas entièrement sans effet, et prévoir que ces ambitions naissantes, se fortifiant avec le tems, parviendraient, si ce n'est à paralyser les généreux mouvemens de la grande masse des députés, du moins à les rendre plus incertains et plus irréguliers. A ces fâcheux symptômes se joignirent des influences du dehors qu'il convient de signaler ici.

La société avait changé l'ordre de ses habitudes et pris un aspect tout nouveau dans les dix dernières années antérieures à la révolution. Il était résulté de l'adoption d'une partie des mœurs anglaises un changement auquel on n'attribua pas d'abord une grande importance, mais qui devait hâter notre régénération, en dirigeant les idées vers les questions politiques. Bientôt l'établissement des clubs',

* Toutes les fois qu'on parle de clubs, on se persuade maintenant qu'il ne s'agit que de réunions délibérantes, et qui ont eu depuis la révolution une grande influence, souvent très-utile, quelquefois très-dangereuse. Quant aux clubs qui eurent lieu avant la révolution, ils n'étaient point de cette nature: leur caractère le plus remarquable était leur tendance vers les principes de l'égalité; car, dans tous, un des premiers articles du réglement, était d'y admettre l'élite de toutes les classes de citoyens ; c'était une fusion volontaire qui prépara la fusion légale qu'établit la première assemblée.

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