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naître des devoirs mutuels; c'étaient ceux de voler au secours de la portion de la grande famille que des dangers pouvaient menacer, ou des attaques compromettre; heureuse sympathie, respectable alliance entre les hommes d'une même origine!

Les colonies modernes n'ont malheureusement point été fondées sur un aussi généreux modèle. Peuplées pour la plupart, dès leur fondation, d'hommes aventureux, attirés par l'espoir de faire fortune, la faiblesse de leurs premiers établissemens les a forcées souvent à réclamer la protection de la métropole, qui la leur a fait acheter par la perte de leur indépendance. Nonseulement elles sont devenues une partie de l'état, mais encore, au lieu de jouir de l'avantage de la loi commune, elles ont été soumises à un régime d'exception sous le rapport des lois criminelles et civiles, comme sous celui des institutions politiques. Ce n'était pas, d'ailleurs, le seul grief dont les colonies eussent à poursuivre le redressement: elles se récriaient bien plus encore contre le système prohibitif auquel on les avait assujéties. Ne pouvant acheter les denrées, même de première nécessité, et vendre leurs produits qu'à la métropole, elles ne cessaient de faire entendre leurs réclamations contre le monopole du commerce national.

De cette dépendance exagérée venait l'oppo

sition ou plutôt l'antipathie qui régnait entre les colons et les négocians français, division qui s'accroissait encore par la nécessité, dans laquelle se trouvaient la plupart des colons, de recourir aux négocians pour se procurer les capitaux indispensables à l'exploitation de leurs habitations. Cette contrariété d'intérêts fesait naître des débats fréquens, et constituait un état habituel d'hostilité qui rendait extrêmement critique et embarrassante la position des gouverneurs, placés toujours dans l'alternative de déplaire soit aux colons, soit au commerce de la métropole. Dans le premier cas, ils devaient s'attendre aux résistances locales d'hommes passionnés; dans l'autre, s'élevaient contre eux, près des ministres, une multitude de plaintes qui, quoique exagérées, n'entraînaient que trop souvent leur rappel.

Telles étaient les causes générales et permanentes de dissentiment entre les colonies et la France, lorsque les mouvemens imprimés à la métropole par la révolution vinrent se communiquer à nos possessions d'Amérique. Des troubles eurent lieu à la Martinique, d'autres à SaintDomingue. L'assemblée provinciale du nord de cette île, qui avait été créée par un mouvement spontané des colons, oubliant la subordination indispensable des parties à l'autorité centrale déclara que tous les pouvoirs émanaient d'elle

seule, et opposa la résistance la plus exaltée aux arrêtés du conseil supérieur, et aux ordres du comte de Pennier, commandant-général. Un pareil événement pouvait faire craindre la séparation de la colonie d'avec la métropole; il paraissait, en outre, de nature à compromettre la sûreté des colons eux-mêmes, par le projet que manifestait cette assemblée, de réaliser, sur une population étrangère aux premiers élémens de la civilisation, l'application de principes politiques propres d'ailleurs à perfectionner l'état social, application qui a eu depuis des conséquences si désastreuses. Dans une telle situation on doit juger quelles inquiétudes durent concevoir le commerce et le gouvernement. Le commerce prit l'initiative; créancier des colonies de sommes très-considérables, qu'on élevait, probablement avec exagération, à près de quatre cents millions, il craignait qu'en prononçant la suppression de la traite et de l'esclavage des noirs, l'assemblée nationale ne lui ravit le gage de ses créances, et n'entraînât, par cette détermination, la ruine entière du commerce.

Des députations extraordinaires des principales villes de France, et notamment de Bordeaux, qui se livrait encore plus que les autres villes maritimes au commerce des denrées coloniales, vinrent supplier l'assemblée de prendre les mesures

les plus promptes et les plus efficaces pour étouffer, à leur naissance, les germes effrayans d'insurrection qui s'étaient manifestés. Les orateurs de ces députations s'élevèrent avec force contre les principes proclamés par quelques écrivains en faveur des noirs; ils soutinrent que la servitude et la traite étaient indispensables à la conservation des colonies, principale source de prospérité pour le commerce, l'agriculture et les arts; que la perte des colonies dépouillerait les colons de leurs propriétés, leurs créanciers de leurs gages, les négocians et les manufacturiers de leur fortune, la France entière des riches produits qu'elle pouvait en tirer; que ce malheur réduirait à l'inaction, et, par suite, à la misère, la classe la plus nombreuse de la société; enfin que, si l'on ne s'empressait de rétablir l'ordre et la tranquillité dans nos possessions américaines, elles tomberaient bientôt au pouvoir de quelque nation rivale, et lui porteraient les richesses et l'influence que notre faiblesse nous aurait enlevées.

M. de Talleyrand, qui présidait alors l'assemblée, répondit en son nom, qu'elle s'occuperait avec sollicitude de concilier les grands intérêts qui venaient de lui être présentés, avec les principes de la nouvelle constitution. L'assemblée ayant demandé, à cet effet, au ministre de la marine, communication des pièces qui lui étaient ar

rivées de St-Domingue, ces pièces furent renvoyées au comité des rapports, et M. de l'Apparent en donna lecture, ainsi que de la lettre ministérielle qui contenait le récit suivant.

« L'assemblée n'ayant pu faire connaître encore ses principes et ses vues sur les colonies, et l'ancien ordre de choses ayant dû continuer, des craintes et des alarmes ne tardèrent pas à se répandre dans nos possessions d'Amérique. La fermentation a commencé à la Martinique : les administrateurs ont été obligés de convoquer les assemblées avant le tems et sans les ordres du roi; les ports ont été ouverts pour quatre mois, les taxes provisoirement abolies, et les négocians français sont sur le point de perdre les avantages qui leur fesaient soutenir la concurrence avec les autres nations. L'état de St-Domingue est bien plus inquiétant encore les députés à l'assemblée nationale avaient demandé le 30 juin qu'on défendît toute assemblée coloniale; ils ont demandé, depuis, que ces assemblées fussent formées. Les députés et les colons qui habitent Paris ont assisté à un conseil des ministres, pour concerter avec eux l'organisation des assemblées coloniales, en les composant de représentans librement élus.

« Il a été décidé que les administrateurs seraient chargés de la convocation dont le mode a été convenu. Cette assemblée ne devait être con

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