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et l'habitude contractée par les hommes des classes supérieures de se réunir, pour traiter des objets de haute spéculation, et surtout des affaires publiques, avaient singulièrement affaibli l'empire des femmes. Cependant plusieurs d'entre elles s'étaient aussi associées à ce nouveau mouvement des esprits, et, comme on avait vu autrefois des femmes célèbres accueillir la littérature et la philosophie dans leurs maisons, devenues le rendezvous de tous les hommes distingués, on vit aussi, sous Louis XVI, des dames se hasarder dans la carrière orageuse des discussions politiques, y porter cette vivacité de sentimens qui leur est propre, choisir leurs héros comme autrefois elles avaient choisi leurs chevaliers, les appuyer, les défendre, et prendre part à des querelles qui n'avaient eu souvent d'autre cause que leur exaltation même.

C'est ainsi qu'on avait vu madame la maréchale de Beauveau, la comtesse de Tessé, la princesse de Bouillon, la princesse d'Hénin, la princesse de Poix, se prononcer en faveur de M. Necker lui donner tout l'appui de leur position, pendant son premier ministère, et, on doit le dire à leur honneur, lui rester fidèles, lorsque des intrigues de cour parvinrent à l'éloigner. Elles avaient

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Elle était sœur du prince régnant de Hesse-Rhinfeldt, et du prince Charles de Hesse, qui a figuré, d'une manière si fâcheuse, dans les excès de 1795.

aussi contribué à le replacer au timon des affaires, à l'époque de la seconde assemblée des notables. Leurs démarches, dans cette circonstance, étaient entièrement d'accord avec l'opinion publique. Les états généraux une fois rassemblés, et M. Necker paraissant devoir en être l'arbitre, elles s'étaient trouvées naturellement entraînées dans le nouvel ordre de choses, soit par leurs propres affections, soit, aussi, par cet enthousiasme qui s'était emparé de toute la nation.

Des considérations plus personnelles semblaient avoir déterminé la conduite de plusieurs d'entre elles. La princesse d'Hénin avait été un moment la rivale, dans la faveur de la reine, de la comtesse Jules de Polignac, et le triomphe de cette dernière avait naturellement fait naître quelque irritation dans le cœur de la princesse. Madame la comtesse de Tessé avait été encore bien plus vivement blessée par le manque d'égards qu'on s'était permis envers son mari, en accordant, à son insu, au duc de Polignac, la survivance de la place de premier écuyer de la reine. C'était là un vrai délit de cour, d'autant plus grave, qu'il s'agissait d'une place qui devait, naturellement, venir accroître un jour l'immense part des Noailles dans le domaine de la faveur. D'ailleurs, toutes ces dames se rappelaient le rôle brillant, quoique éphémère, des princesse de Longueville, des duchesse de Chevreuse, et de

toutes les héroïnes de la fronde. Elles n'avaient point oublié que, dans ce tems, la question était d'occuper de soi la renommée, de se créer une existence à part, de se faire craindre de la cour, et que, par l'influence qu'on obtenait sur les chefs de parti, on parvenait toujours à négocier une paix, sinon très-honorable, au moins passablement avantageuse.

A côté de ces dames, justement soupçonnées d'un peu d'ambition, quelques autres, à la tête desquelles se trouvaient la duchesse d'Aiguillon, les princesses d'Hohentzolern1 et de Broglie, les comtesses d'Escars, Charles de Lameth, de la Châtre, les marquises de Coigny, de Gontaut, etc., etc., alors entièrement dévouées à la cause populaire, se contentaient de former des vœux pour la régénération publique, et n'affectaient aucune influence dans les affaires. Il n'en était pas tout-àfait de même de la princesse d'Hénin, de la comtesse de Tessé et de la comtesse de Simiane, qui tenait le premier rang à la cour par sa jolie figure, ses graces et son élégance. Quoique profondément blessées par les coups portés à l'aristocratie féodale dans la nuit du 4 août, ces dames étaient restées attachées à un parti qu'il leur eût

La princesse d'Hohentzolern était sœur du prince régnant de Salm-Kirbourg, qui était commandant de bataillon dans la garde-nationale parisienne, et qui a péri en 1793.

été, il est vrai, assez difficile d'abandonner, mais, avec un esprit distingué, elles ne pouvaient avoir la force de caractère nécessaire pour s'élever jusqu'aux hautes considérations de la politique. D'ailleurs, elles avaient conçu un effroi singulier de l'exaltation populaire. Elles exerçaient de l'influence sur quelques-uns des hommes qui s'étaient mis à la tête du mouvement national. Elles leur communiquèrent une partie de leurs sentimens, parvinrent à modifier, jusqu'à un certain point, leur résolution, les détachèrent peu-à-peu de leurs amis par des séductions morales, leur firent enfin entrevoir, à travers de nobles considérations et des ménagemens qui paraissaient généreux, un rôle à part, où tout ce qui se ferait de bien semblerait être leur ouvrage. C'est ainsi que ces dames jetèrent, sans le vouloir, dans le côté gauche, les semences d'une division qui devint funeste aux intérêts publics.

Avant de traiter la question coloniale, qui se présente dans l'ordre historique des travaux de l'assemblée, il ne peut être hors de propos de remonter aux principes qui ont présidé à l'établissement de la colonisation dans les différens âges de la société. Le système des colonies chez les anciens ne ressemble, pour ainsi dire, sous aucun rapport, à celui qui doit sa naissance à la découverte du nouveau monde. Chez les anciens, l'excès seul de la population inspirait aux

métropoles le projet de former une colonie pour lui assurer un sol, des propriétés, des moyens d'aisance et de prospérité, que ne pouvait lui offrir la terre natale. Alors la mère-patrie fesait tous les frais de la translation des individus qui se voyaient forcés de s'éloigner de son sein; elle leur fournissait tout ce que réclamait leur premier établissement; elle s'empressait de pourvoir à tous leurs besoins, jusqu'au moment où leur propre industrie pourrait y satisfaire elle protégeait de ses propres forces leur installation dans le pays qu'ils avaient choisi, et ne retirait ses secours que lorsqu'ils n'étaient plus nécessaires.

Mais chez les anciens, la mère-patrie ne réclamait aucun retour, aucun bénéfice de ses soins. maternels 1. Elle considérait le jeune essaim destiné à devenir créateur d'une nation nouvelle, comme des enfans parvenus à l'âge viril et ayant droit à l'indépendance. Aussi n'existait-il plus, entre l'ancienne et la nouvelle cité, que des rapports réciproques d'affection, d'assistance et d'affinité de mœurs et de langage. Il n'était question ni de supériorité, ni d'avantages exclusifs, ni de dépendance politique. La guerre seule fesait

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Dans la langue grecque, on ne disait point la patrie, mais la matrie, pour exprimer sans doute des sentimens plus tendres encore que ceux que fait naître le mot déjà si expressif de paternité.

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