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On seroit tenté de croire qu'un savant, toujours occupé d'ouvrages si sérieux, de recherches si profondes, d'une littérature si austère et prêtant si peu à l'imagination, sortoit à peine de son cabinet, ne connoissoit que ses livres, et n'étoit lui-même connu dans le monde que par ses œuvres. C'étoit, au contraire, un homme livré à toutes les douceurs de la société, qui vivoit beaucoup dans le monde, qui l'aimoit et en étoit aimé; qu'on n'auroit jamais pris pour un savant sans sa réputation; n'ayant aucun des travers d'un érudit, et portant partout le ton modeste, es manières simples et douces, la politesse aimable d'un homme de bonne compagnie. A ces qualités sociales, il joignoit des vertus encore plus estimables: il mérita par excellence le nom de Philadelphe.

L'amitié de M. de Sainte-Palaye et de M. de la Curne son frère, a eu, dans le tems, une célébrité qui ajoutoit encore à la grande considération dont ils jouissoient. Voltaire les appellent fratres Helenæ, lucida sidera; mais laissons parler de cette touchante amitié le successeur de M. de Sainte-Palaye à l'Académie française. Nous ne craignons pas qu'on nous reproche la longueur de cette citation; dans le cours de ce long ouvrage nous n'aurons pas souvent l'occasion d'en faire d'aussi intéressante :

« La tendresse des deux frères, dit Champfort, » commence dès leur naissance (car ils étoient ju» meaux), circonstance précieuse qu'ils rappeloient » toujours avec plaisir. Ce titre de jumeaux.... avoit le » mérite de reculer, pour eux, l'époque d'une amitié » si tendre... Ils lui devoient le bonheur inestimable de

- ne pouvoir trouver dans leur vie entière un moment » où ils ne se fussent point aimés. M. de Sainte-Paalaye n'a fait que six vers dans sa vie, et c'est la >> traduction d'une épigramme grecque sur deux ju» meaux. Le testament des deux frères, (car ils n'en » firent qu'un, et celui qui mourut le premier disposa » des biens de l'autre) leur testament distingua, par » un legs considérable, deux parentes éloignées, qui > avoient l'avantage inapréciable à leurs yeux d'être

sœurs et nées comme eux au même instant. Plus » heureux que les frères d'Hélène, privés par une » éternelle séparation des plus grands charmes de

l'amitié, une même demeure, un même apparte»ment, une même table, les mêmes sociétés réuni>> rent constamment MM. de la Curne.... Combien de

fois a-t-on vu les deux frères, surtout dans leur » vieillesse, paroissant aux assemblées publiques, aux » promenades, aux concerts, attirer tous les regards, » l'attention du respect, même les applaudissemens!...

Après la vertu, le spectacle le plus touchant est > celui de l'hommage que lui rendent les hommes » assemblés.

» M. de la Curne est près de se marier; M. de Sainte» Palaye ne voit que le bonheur de son frère, il s'en » applaudit, il est heureux, il croit aimer lui-même ; » mais la veille du jour fixé pour le mariage, M. de la Curne aperçoit dans les yeux de son frère, les signes d'une douleur inquiète... C'est que M. de Sainte-Palaye, au moment de quitter son frère, » redoutoit, pour leur amitié, les suites de ce nouvel » engagement. Il laisse entrevoir sa crainte; elle est

partagée. Le trouble s'accroît, les larmes coulent.

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Non,'dit M. de la Curne, je ne me marierai jamais. » Ce serment fut inviolable...

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» Mais la vieillesse avance... l'instant redoutable approche... C'est M. de la Curne, dont la santé » chancelante annonce la fin prochaine. On tremble , >> on s'attendrit sur M. de Sainte-Palaye ; c'est à lui que » l'on court dans le danger de son frére. Tous les coeurs » sont émus... Le feu roi (car une telle amitié devoit parvenir jusqu'au trône) montra quelqu'intérêt pour » l'infortuné menacé de survivre. C'est lui que plaint >> surtout le mourant lui-même. Hélas! dit-il, que » deviendra mon frère? Je m'étois toujours flatté » qu'il mourroit avant moi... O vœu sublime du sen» timent qui, dans ce partage des douleurs, s'emparoit » de la plus amère, pour en sauver l'objet de sa ten» dresse ! »

Que deviendra en effet ce vieillard privé de son frère? Va-t-il être abandonné? C'est le sort de son âge. « Non, ses amis se rassemblent, l'environnent, » se succèdent; des femmes jeunes, aimables, s'arra>> chent aux dissipations du monde, pour seconder des » soins si touchans... II vit'; mais la douleur, la vieil» lesse, les infirmités affoiblissent ses organes; le sou>> venir seul de son frère survit à sa raison : il n'est plus qu'une ombre. Il aime encore. Dans une des » séances particulières de l'Académie, chancelant, prêt à tomber, il est secouru par un nouvel acadé» micien qu'il connoissoit à peine (M. Ducis ). » Monsieur, lui dit-il, vous avez sûrement un fière! » Un frère, un secours; ces deux idées sont, pour » lui, inséparables à jamais.

>>

» L'amitié fut le bonheur de sa vie entière... Que

dis-je ? consolation! ô bonheur d'une destinée si >> rare! c'est l'amitié qui veille encore sur ses derniers » jours. Il pleure un frère, il est vrai, mais il le pleure » dans le sein d'un ami qui partage cette perte, qui la » remplace autant qu'il est en lui; qui lui prodigue, jusqu'au dernier moment, les soins les plus attentifs, » les plus tendres; ajoutons, pour flatter sa mémoire, » les plus fraternels. C'est parmi vous Messieurs,

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qu'il devoit se trouver cet ami si respectable ( M. de Bréquigny), ce bienfaiteur de tous les instans, qui, chaque jour, et plusieurs fois chaque jour, aban» donne ses études, ses plaisirs, pour aller secourir » l'enfance de la viellesse. Vos yeux le cherchent, son » trouble le trahit, nouveau garant de sa sensibilité, » nouvel hommage à la mémoire de l'ami qu'il ho» nore et qu'il pleure !

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M. de Sainte-Palaye mourut en 1781. Il avoit été reçu à l'Académie des belles-lettres en 1724, et à l'Académie française en 1758. Sa longue carrière fut toujours heureuse, remplie par des inclinations douces et par des occupations de son choix; il aima les femmes sans être tourmenté par elles. Il adoptoit, il répétoit avec plaisir cette devise chevaleresque : Toutes servir, toutes honorer pour l'amour d'une. Déjà privé de mémoire, mais pas encore de raison, il aimoit à raconter qu'il avoit senti trois fois, en très peu de tems, un goût vif et une sorte de surprise de l'amour, pour une même femme, ayant toujours oublié, dans tous les intervalles, qu'il l'eût déjà vue et déjà aimée, et ayant cru chaque fois la voir pour la première fois.

HISTOIRE RELIGIEUSE.

L'an 560, le 1 mars, Mort du pape Pelage I.

Ce pape occupa le Saint-Siége quatre ans, dix mois et quatorze jours. Son pontificat n'est remarquable par aucun évènement important. Les Schismatiques rendirent sa foi suspecte. Cette calomnie s'étant répandue, il crut devoir écrire plusieurs lettres pour la repousser; il envoya même au roi de France, Childebert, sa confession de foi, que ee prince lui avoit envoyé demander par un ambassadeur. Dans la lettre qui renferme cet acte, on lit ces mots remarquables: Nous devons avoir soin, pour éviter les soupçons scandaleux, de donner la déclaration de notre foi aux rois que nous devons respecter, et auxquels les divines Ecritures nous ordonnent d'être soumis. Pelage I eut pour successeur Jean III. ( Voyez 25 octobre. )

L'an 1678, le 1 mars,

Conférence entre Bossuet et Claude, ministre de Charenton, en présence de mademoiselle de Duras.

Il eût été à désirer que les deux religions, dont les querelles ont si long-tems déchiré la France, n'eussent jamais combattu autrement que par l'organe de leurs chefs spirituels, et n'eussent employé l'une contre l'autre que les armes de la dialectique.

On avoit déjà vu au colloque de Poissy, Théodore de Bèze opposé au cardinal de Lorraine; mais ce n'avoit

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