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qui est aussi celle de nos yeux : voir moins d'objets pour voir mieux ceux qu'on étudie.

Les auteurs les plus accrédités, qui ont commenté des codes entiers, n'ont donc pu traiter que d'une manière très-insuffisante la théorie générale des preuves, qui s'applique non-seulement aux obligations, à propos desquelles les auteurs du Code Napoléon en ont posé les principes généraux, mais à une foule d'autres matières.

En composant un traité ex professo sur cet important sujet, M. Bonnier a eu l'avantage considérable de saisir mieux les principes générateurs et de suivre plus en détail les déductions, souvent fort lointaines, de ces principes.

Après une introduction remarquable, et une sorte de chapitre préliminaire consacré à des notions générales sur la marche de la preuve, c'est-à-dire à l'importante question de savoir quelle est celle des parties à qui la preuve incombe, M. Bonnier arrive à la division générale de son sujet en quatre parties.

Dans la première, l'auteur parle des preuves résultant de ce qu'il appelle l'expérience personnelle du juge, titre auquel il rattache très-naturellement la descente sur les lieux, et, d'une manière moins naturelle, l'expertise, qui, à nos yeux, a plus de rapport avec les dépositions des témoins qu'avec l'inspection personnelle du juge.

La seconde partie traite de la foi au témoignage. C'est la plus importante et la plus étendue des quatre; aussi est-elle subdivisée en deux livres. Dans le premier livre, M. Bonnier traite des preuves orales, comprenant sous ce titre non-seulement les dépositions des témoins sur des faits précis et sur la commune renommée, mais encore l'aveu du défendeur, et la déclaration du demandeur, qui, elle aussi, fait preuve dans certains cas exceptionnels. Dans le second livre, l'auteur aborde tout ce qui concerne les preuves préconstituées, les actes authentiques par conséquent, les titres privés, les copies de titres, etc.

La troisième partie de l'ouvrage est consacrée aux présomptions, et la quatrième et dernière à l'effet rétroactif des lois en ce qui concerne les preuves, et aux règles de droit international relatives à ces matières.

M. Bonnier rattache d'une manière généralement très-méthodique à ces grandes divisions toutes les questions de quelque

intérêt, et le nombre en est grand, que présente son sujet, et il les résout presque toujours de la manière la plus judicieuse, en s'attachant avec une sobriété de langage fort louable au vrai principe de solution, et en négligeant les petites raisons, qu'il faut abandonner aux avocats et qui ne sont pas dignes du jurisconsulte.

M. Bonnier dit, dans sa préface, que certains partisans, qu'il ne nomme pas, lui ont reproché un goût immodéré pour les discussions métaphysiques. Ce reproche, à notre jugement, est vraiment bien immérité; car c'est à la métaphysique que le droit emprunte toutes ses clartés et toute l'autorité de ses déductions. Les juristes qui ne sont point métaphysiciens et qui ne consultent que la pratique ressemblent aux aveugles qui marchent à tâtons le long des maisons; et s'il arrive quelquefois à M. Bonnier d'errer, ce qui est bien rare, c'est, à notre jugement, parce qu'il ne s'est pas alors élevé assez haut dans ces régions sereines de la métaphysique qui fournissent aux législations positives leurs règles les plus sûres et leurs principes les plus limpides.

Pour justifier notre assertion, nous citerons deux questions importantes qui nous semblent n'avoir pas été bien résolues par M. Bonnier.

Au numéro 199 de son ouvrage, M. Bonnier se demande ce qui arriverait si un mariage avait été célébré devant un officier de l'état civil qui n'en aurait dressé aucun acte. Suivant lui, la preuve de ce mariage serait absolument impossible. Vainement les époux, au sortir de la mairie, auraient-ils fait bénir leur union par le ministre de la religion; vainement auraient-ils ensuite vieilli, entourés de nombreux enfants et de la considération générale de leurs concitoyens, ils ne pourraient revendiquer aucune des prérogatives du mariage, et leurs enfants seraient inévitablement bâtards. M. Bonnier tire cette conséquence par trop dure de l'article 46 du Code Napoléon, qui n'autorise la preuve par témoins des actes de l'état civil que lorsqu'il n'a pas été tenu de registres ou qu'ils ont été perdus, comme si pour les époux il n'était pas complétement indifférent qu'il n'eût pas été tenu de registres du tout, ou qu'on eût simplement omis de consigner leur mariage sur un registre existant. Tout ce qu'on peut conclure raisonnablement de l'article 46 du Code Napoléon,

c'est que les tribunaux devraient autoriser plus difficilement la preuve par témoins d'un mariage non inscrit quand il existait un registre plus ou moins bien tenu, que lorsqu'il n'en existait pas du tout, l'allégation du mariage célébré étant plus invraisemblable dans le premier cas que dans le second. Mais autre chose est n'admettre une preuve qu'avec une extrême circonspection, autre chose est la repousser absolument.

Au numéro 570, M. Bonnier s'occupe des dons et legs faits à des enfants notoirement adultérins ou incestueux, et non-seulement il n'admet pas qu'on puisse opposer à ces enfants une incapacité de recevoir fondée sur le vice notoire de leur naissance, mais il refuse même son adhésion à des arrêts de la Cour de cassation qui ont au moins dénié tout effet à ces libéralités scandaleuses quand la filiation des enfants se trouve indiquée dans l'acte même qui contient la libéralité. Suivant M. Bonnier, la nullité absolue de la reconnaissance qui résulte en pareil cas de l'article 335 du Code- Napoléon, oblige les juges à valider le don. L'honorable professeur aurait, ce nous semble, décidé la question autrement, si, au lieu de broncher contre un texte dont il exagère la portée, il eût emprunté à la métaphysique du droit ce principe tout à fait incontestable, savoir que les tribunaux ne peuvent jamais accorder leur sanction à des actes dont la cause immorale leur est révélée par la seule lecture de leur contexte.

Ce n'est, du reste, que dans des circonstances bien rares que les solutions de M. Bonnier peuvent donner prise à la critique, et le Traité des preuves peut certainement être rangé au nombre des meilleurs livres de droit qui ont été publiés dans ces derniers temps. A. RODIÈRES.

ERRATA DU TOME HUITIÈME.

Table des matières, p. 771, ligne 9, BIBLIOGRAPHIE, ajoutez: par M. RIVIER, privat-docent à l'Université de Berlin.

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§ 2.

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Avant

Ancien droit français : Substitutions fideicommissaires. les ordonnances d'Orléans et de Moulins. Après ces ordonnances. Ordonnance de 1747.

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INTRODUCTION.

La matière que nous allons étudier a été de tout temps signalée comme épineuse et difficile. Les rédacteurs du Code, loin d'y apporter des éclaircissements, ont, par leur laconisme, augmenté peut-être les difficultés qu'ils ont voulu trancher.

Placée dans le recueil des règles qui régissent les intérêts privés, la prohibition des substitutions touche cependant à des questions d'économie générale; elle se lie à l'organisation politique de notre pays, dont elle a suivi toutes les vicissitudes. Sa place n'était-elle donc pas dans le recueil des lois privées? Si elles étendent leurs effets en dehors de la sphère de l'intérêt privé, les substitutions prennent leur source dans des principes qui sont éminemment du domaine du droit privé qui règle les manières dont chacun de nous peut disposer de ses biens. Elles ne sont qu'une modalité des deux seules voies que le législateur de 1803 nous laisse pour disposer de nos biens à titre gratuit. Aussi, après avoir donné la définition de la donation et du testament, la fait-il suivre immédiatement de la prohibition des substitutions.

Nous l'avons dit, cette prohibition si laconique laisse beaucoup, pour ne pas dire tout, à faire à la doctrine, et la méthode historique qui jette une si vive lumière dans l'étude de notre législation civile devient indispensable ici. C'est à nos anciens auteurs qu'il faudra demander ce que les rédacteurs du Code civil

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ont voulu prohiber. Le droit romain, les ordonnances de nos rois, le droit intermédiaire, nous donneront ici, comme dans tant d'autres matières, des documents précieux; mais avant de nous engager dans la filière historique que nous allons suivre, déterminons d'abord le caractère de l'acte juridique qui va faire l'objet de nos études.

Substitution institution sous une autre institution, institution au second degré; tel est le sens grammatical du mot. Donnet-il une idée exacte, dans le droit actuel, de la disposition que les rédacteurs ont prohibée? Oui, aujourd'hui ; non, en nous reportant au droit romain, où se trouve l'origine de cette disposition.

Le mot substitution qualifiait, en droit romain, trois genres de dispositions rentrant en définitive dans une seule et tendant au même but, celui de ne pas mourir sans héritier testamentaire. Tout le monde connaît les substitutions vulgaires, pupillaires et exemplaires. Au premier cas, le testateur pourvoyait à sa propre succession, en désignant en second ordre un ou plusieurs héritiers à la place du premier ou des premiers institués défaillants; dans les deux autres, il pourvoyait de la même façon à la succession de personnes incapables de tester qu'il avait sous sa puissance, l'impubère et le fou, en faisant en quelque sorte leur testament dans le sien. Ces substitutions trouvent leur base dans l'idée romaine qui faisait prévaloir la volonté du défunt sur celle de la loi dans le choix de ses successeurs et dans l'importance que les Romains attachaient à ne pas mourir sans testament. La puissance paternelle s'étendait au delà du tombeau sur les biens de l'enfant impubère ou en démence; les lois caducaires firent étendre aussi beaucoup le cercle des substitutions.

Dans notre ancienne France coutumière, les idées n'étaient plus les mêmes. Le système de conservation des biens dans les familles, qui avait fait admettre les réserves coutumières sur une si large échelle et repousser en principe l'institution d'héritier, accusait une préférence marquée donnée à la dévolution réglée par la loi qui seule pouvait faire des héritiers. Les rédacteurs du Code, tout en supprimant les réserves dont nous venons de parler, et en favorisant au contraire le morcellement et la circulation des biens, ont consacré cependant quelque chose de

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