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de fermeté que s'il eût été un publiciste ou un législateur du dix-huitième siècle; lui dont la raison aurait dû encore être arrêtée dans son essor par les préjugés eux-mêmes, qu'il combattait et voulait détruire?

Nous pouvons, maintenant, rechercher les indications et les développements de sa théorie, et la rapprocher de la mise en pratique par le législateur moderne.

BIMBENET,

Greffier en chef de la Cour impériale d'Orléans.

PAR L'HÉRITIER RENONÇANT.

DEUXIÈME ARTICLE1.

Nous avons exposé les motifs qui, à nos yeux, doivent faire décider aujourd'hui que le successible renonçant ne peut prétendre au cumul de sa part dans la réserve et de la quotité disponible. Cette solution nous paraît impérieusement exigée par les termes de l'article 845, bien formel pour circonscrire, au cas de renonciation, l'effet du don ou du legs dans les limites de la portion disponible. Un assentiment universel eût sans doute accueilli cette doctrine, si elle n'avait eu d'autre conséquence que celle de déjouer les calculs du donataire en avancement d'hoirie qui, trompant l'espérance du donateur, frustre la succession légitime du bénéfice du rapport, la réduit, s'il le peut, au chiffre rigoureux de la réserve, et veut encore qu'on lui fasse une part dans cette réserve tout aussi bien que s'il était héritier. Mais, en affectant ainsi la quotité disponible à faire les frais des dons, sans préciput, retenus au moyen d'une renonciation, le droit de disposition du père de famille se trouvait entamé par tout avancement d'hoirie dont le titulaire usait de la faculté de répudier la succession, et pouvait quelquefois arriver à être complétement épuisé par suite des libéralités anticipées faites aux enfants.

Cet inconvénient avait-il été prévu par le législateur, nous n'oserions l'affirmer. Ce qui est certain, c'est qu'il a laissé au donataire en avancement d'hoirie l'option entre la résolution de sa donation, s'il préfère venir à la succession, ou le maintien de cette donation, à la charge d'abdiquer ses droits héréditaires pour n'être qu'un donataire, cas auquel il retient son don sur les biens disponibles. La conséquence logique de ce système, nettement accusé dans le texte de la loi, est que la quotité disponible, supportant la charge des avancements d'hoirie ainsi

1 Voir Revue historique, t. VIII, 60 livraison, p. 682.

retenus en dehors de la succession, se trouve diminuée d'autant, au détriment des libéralités postérieures faites par le donateur.

Nous ne nierons point que ce résultat ait quelque chose de fâcheux. Aussi a-t-il jeté le désarroi parmi les interprètes du Code, et parmi les magistrats chargés de l'appliquer. Les uns, au mépris, croyons-nous, de l'article 845, ont grevé la réserve du payement des avancements d'hoirie, nonobstant la renonciation, et ils en sont arrivés à autoriser contre la volonté du défunt le cumul de la réserve et de la quotité disponible.

Souvent la peur d'un mal nous conduit dans un pire.

Les autres, retenus par le texte de l'article 845, ont reculé devant un remède aussi violent, et ont imaginé divers expédients pour ménager les intérêts des donataires postérieurs ou des légataires. Rien de plus affligeant assurément que le tableau des opinions divergentes qui ont été émises pour résoudre ce problème, et qui de la doctrine ont passé quelques-unes dans la jurisprudence. On a souvent, et avec raison, vanté le bienfait de la codification dont jouit la France depuis le commencement de ce siècle. Cependant, sur une matière si importante, d'un intérêt si journalier, les principes consacrés par nos rédacteurs n'ont pu parvenir à se faire admettre, parce qu'on n'a pas voulu croire qu'un divorce eût été accompli avec les idées anciennes. Il est donc bien difficile d'accepter une réforme radicale, et le respect pour le droit romain et le droit coutumier qui s'était inspiré du droit romain, empêchera-t-il de prévaloir les règles qui sont écrites dans nos lois nouvelles !

Justement ému à l'aspect des dissidences qui ont éclaté au sujet d'une question si grave et si usuelle, M. Ragon s'est imposé la noble tâche de faire cesser le désordre. Il a consacré dix années à l'étude de cette matière ; et, à la suite de ses longues réflexions, il s'écrie, comme Archimède: "Eupqxa. Le véritable système du Code serait en faveur de la prétention du successible qui veut, tout en renonçant, prendre à la fois le disponible et sa part de réserve, bien qu'il ne soit donataire qu'en avancement d'hoirie. C'est donc la Cour de cassation qui aurait raison, malgré les vives critiques qu'ont soulevées ses décisions en ce sens. Seulement, si elle a rencontré juste en autorisant le cumul, c'est

sans avoir la conscience des fondements légitimes sur lesquels doit s'appuyer cette solution. Il lui faudra, pour être d'accord avec notre auteur, et posséder absolument la théorie exacte du droit moderne, réformer sa jurisprudence sur plus d'un point. La base de cette théorie, qui manque encore à la Cour suprême, gît tout entière dans la façon d'imputer les dons faits aux héritiers présomptifs. Que l'on sache bien faire cette imputation, on aura la clef de la doctrine orthodoxe, le moyen de résoudre toutes les difficultés. Voici la formule simple et féconde dont il ne faut jamais s'écarter. S'agit-il d'un don par préciput, imputez d'abord sur le disponible, puis sur la réserve. S'agit-il, au contraire, d'un don sans préciput, observez l'ordre inverse: imputez d'abord sur la part réservée, puis sur la quotité disponible.

Nous ne nous arrêterons pas sur la première partie de cette formule, si ce n'est pour dire que, au cas de renonciation, l'imputation d'un don sur une réserve à laquelle le donataire se rend étranger ne nous paraît pas possible. Toutefois, dans la pratique, cette difficulté se présentera rarement; le successible, qui a l'avantage d'un préciput, prendra ordinairement le parti d'accepter, puisqu'il est autorisé par la volonté du défunt à cumuler le disponible et sa part de réserve. Tout l'intérêt se concentre sur la deuxième partie de la formule. C'est celle que nous repoussons radicalement; c'est là qu'est, suivant nous, le vice de la théorie de M. Ragon, qui voit dans le simple avancement d'hoirie, nonobstant la renonciation, d'abord et avant tout, la donation de la part héréditaire réservée, sauf à compléter, si besoin est, jusqu'à l'épuisement de la quotité disponible.

Notre estimable confrère nous permettra de lui dire que, si ce mode d'imputation avait été dans l'intention du législateur, il se serait bien malheureusement exprimé dans l'article 845, où il énonce les droits du successible non préciputaire qui opte pour la répudiation. Celui-là, lisons-nous, peut cependant retenir le don entre-vifs jusqu'à concurrence de la portion disponible. Pas un mot de cette addition si importante qu'une part de la réserve sera préalablement retenue. Aussi ne nous étonnonsnous pas qu'après l'âge d'enfance par lequel a passé, suivant notre auteur, l'interprétation du Code civil, et qui dura jusqu'en 1818, la Cour suprême, alors que la question s'offrit 1 Voir t. I, p. 5.

pour la première fois devant elle, ait émis l'arrêt Laroque de Mons. L'article 845 fut entendu dans le sens naturel qu'il présente à tout esprit qui se contente d'appliquer la loi de son pays, quand elle est claire, sans se préoccuper de savoir si elle est conforme aux anciennes traditions. Mais on n'était encore, ajoute M. Ragon 1, qu'à l'âge de jeunesse. On avait le tort de croire que le Code devait se suffire à lui-même. Il fallut donc payer tribut à l'inexpérience et à l'erreur. Aujourd'hui que l'âge de virilité est arrivé, aujourd'hui que le droit romain et le droit coutumier ont été explorés avec soin, on doit, malgré la loi du 30 ventôse apparemment, faire prévaloir sur le Code les textes anciens, et dire que la réserve peut être retenue à titre de donataire, puisqu'il est constant que la légitime romaine et la légitime coutumière admettaient cette règle.

Répéterons-nous que l'influence attribuée à l'élément historique a conduit nos adversaires à méconnaître l'esprit de notre droit moderne ? Pour l'apprécier sainement, il importe de se dégager des idées romaines, suivies complaisamment par les jurisconsultes qui introduisirent dans les pays de coutume la légitime du droit écrit. A Rome, c'était la faculté de libre disposition qui était préférée, malgré l'existence de légitimaires auxquels on faisait une petite part (pars debita), dont ils pouvaient être payés par voie de donations entre-vifs ou de dispositions de dernière volonté à titre particulier. En France, aujourd'hui, quand il y a des héritiers à réserve, c'est la succession ab intestat qui est privilégiée. La loi confère aux réservataires la saisine de toute la succession, et oblige les légataires à s'adresser aux réservataires pour obtenir délivrance; elle établit en faveur des successeurs du sang une masse indisponible qu'elle leur attribue en qualité d'héritiers. M. Ragon l'a dit excellemment : « Dans le droit romain, c'est la quotité disponible qui payait la légitime; chez nous, c'est la légitime qui paye la quotité disponible. » Légitime ou succession ab intestat, c'est tout un. Il y a des biens réservés, suivant la juste expression adoptée par les auteurs du Code. Puisque ces biens sont indisponibles, ils ne sauraient être pris par celui qui ne peut invoquer que la disposition du défunt. La réserve, nous l'avons déjà

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