Page images
PDF
EPUB

débats, ce qui pourrait entraîner de nouvelles incertitudes. Appelés à répondre à des questions précises où ils peuvent seulement introduire les distinctions qui leur sembleraient nécessaires; pleins de confiance dans l'impartialité du juge qui a dirigé et résumé les débats, les jurés discutent rarement entre eux, et il leur suffit habituellement de se grouper un instant autour de leur président, pour rendre leur verdict.

D'autres règles facilitent encore la solution, et l'obtention de l'unanimité voulue par la loi. Le verdict du jury peut être spécial ou général. Le verdict spécial laisse au juge qui préside la Cour, le soin de décider les questions de droit. Ainsi, lorsque l'application de la loi paraît douteuse, les jurés peuvent se borner à statuer sur les faits du procès, en chargeant le juge de prononcer un arrêt en faveur du demandeur ou du défendeur, suivant que les règles de droit appliquées aux faits précisés et reconnus constants par le verdict, donnent raison à l'un ou à l'autre. Ce mode est presque toujours employé, lorsqu'il y a quelque doute sur la solution légale du procès.

Si, au contraire, les jurés sont d'accord sur tous les points, soit que la cause se réduise à une question de fait, soit qu'ils adoptent complétement l'opinion indiquée par le résumé du juge sur les questions de droit à résoudre, ils rendent un verdict général, par lequel ils adjugent à l'une des parties les conclusions de sa demande, et fixent, s'il y a lieu, les indemnités ou dommagesintérêts qui peuvent être dûs. Mais il est rare que la cause ne présente pas quelque appréciation de droit, fort délicate pour des hommes étrangers à la pratique des affaires et qui les empêche de statuer par verdict général,

Le simple exposé que nous venons de faire des fonctions du jury en matière civile suffit pour faire comprendre le rôle qui lui est attribué dans le jugement des affaires de cette nature. Les praticiens français, habitués aux procédures de notre pays, et qui savent par expérience qu'il existe peu de causes civiles qui ne soulèvent de délicates questions de droit, se demandent souvent comment il est possible d'appeler le jury à statuer sur ces affaires. On ne peut, en effet, le comprendre qu'en étudiant avec soin les distinctions faites dans les procédures de l'Angleterre entre les questions de droit et celles qui ne touchent que le fait, et en se rappelant qu'en réalité le jury anglais ne décide

que ces dernières, puisque, dans la plupart des cas, il rend un verdict spécial sur les faits, s'en rapportant à la Cour pour décider les questions de droit. Dans le cas d'un verdict général, I adopte aveuglément l'opinion du juge sur les questions à résoudre, et s'il rendait une décision contraire, ce verdict pourrait être attaqué, par ce seul fait, par writ of error, devant la Cour originairement saisie. Ce n'est donc pas réellement le jury qui décide les procès civils, mais le juge, qui seul et sans assesseur, tranche de graves questions qui intéressent la fortune des citoyens. Dès lors, la prétendue garantie résultant de l'examen par les jurés est réellement illusoire, et leur intervention dans les procès civils n'a d'autre résultat que d'augmenter les frais et d'entraîner des lenteurs regrettables. A ce point de vue, nous avons le droit de dire que, quelque régulier que soit le fonctionnement du jury civil en Angleterre, le principe de son intervention n'est point préférable à l'organisation judiciaire des autres nations européennes. Sans doute, le jury statuera en toute sûreté de conscience lorsque l'affaire se réduira à une question de fait, ou à la fixation d'une indemnité pécuniaire. C'est ainsi qu'en France, on a pu introduire cette institution pour la fixation des indemnités dans les cas d'expropriation pour cause d'utilité publique. Mais, dans la majeure partie des affaires soumises journellement à l'appréciation des tribunaux, où les faits euxmêmes ne peuvent être appréciés le plus souvent que d'après les dispositions légales, des tribunaux composés de magistrats nourris dans l'étude et la pratique des affaires, sont seuls à même de statuer, en se conformant aux règles de la loi et de la justice.

Quoi qu'il en soit, la division du pouvoir judiciaire entre la magistrature et le jury est la base de l'organisation des tribunaux de l'Angleterre. Les Anglais regardent le jury comme représentant l'élément indépendant du pays dans la distribution de la justice, comme un contrôle nécessaire pour couvrir la responsabilité même des magistrats. L'ancienneté de cette institution en a rendu le fonctionnement régulier et lui a donné une force qu'il serait difficile, sinon impossible, d'adapter aux mœurs et aux habitudes des autres nations. Il ne faut donc pas nier complétement les avantages que peut retirer l'Angleterre de son organisation judiciaire, mais sans en envier les résultats et sans la croire préférable à la marche régulière de nos tribunaux.

L'introduction du jury civil, proposée en France en 1790, fut repoussée avec raison 1, et elle présenterait, à notre avis, dest dangers et des difficultés insurmontables. Laissons à chaque pays ses mœurs et ses usages, et constatons seulement que la justice civile, rendue en France d'une manière plus rapide et moins coûteuse, présente, par la réunion de plusieurs juges, des garanties qui manquent aux Cours de l'Angleterre, et que nos tribunaux d'arrondissement répondent mieux aux besoins de notre pays et de notre époque. La nouvelle organisation des Cours de comté en Angleterre semble un hommage rendu à ce principe, que la justice doit être prompte et à la portée de tous les justiciables. Elle a eu pour résultat l'abandon presque absolu, dans la pratique, de l'intervention du jury dans les affaires les moins importantes. Ne peut-on pas voir dans ce fait une sorte d'aveu des difficultés que fait naître cette intervention dans les affaires civiles, et de la confiance accordée aux véritables magistrats? Il faut donc considérer le jury civil en Angleterre plutôt comme une institution respectable par son ancienneté et ses traditions dans ce pays que comme nécessaire à la bonne administration de la justice.

Nous avons présenté rapidement l'exposé de l'organisation judiciaire des tribunaux civils de l'Angleterre; il nous reste à étudier la nature des principales actions civiles et les règles relatives à l'exercice de ces actions, devant les tribunaux de ce pays. AMB. BUCHÈRE,

Docteur en droit, substitut à Charleville.

1 Décret, 30 avril 1790. Voir la discussion, Moniteur, séances des 6, 7, 8, 22 et 23 avril 1790.

(La suite prochainement.)

I. Traité des faillites et banqueroutes, par M. J. BÉDARRIDE, avocat à la Cour impériale d'Aix, ancien bâtonnier; quatrième édition, 3 vol. in-8°. Paris, Durand, éditeur. Prix: 24 francs.

II. Des bourses de commerce, agents de change et courtiers, par LE MÊME; 1 vol. in-8°. Paris, Durand, éditeur. Prix : 9 francs.

Le droit commercial français présente peu de matières qui aient attiré l'attention des jurisconsultes aussi puissamment que la loi du 28 mai 1838; il offre peu de textes dont les dispositions aient été l'objet de travaux plus nombreux et plus approfondis. Le sujet, il est vrai, se prête d'une manière toute particulière à des études sérieuses, car à quelque point de vue qu'on le traite, soit qu'on le considère dans ses rapports généraux avec les autres parties de notre droit, soit qu'on l'examine dans ses détails, on est frappé des difficultés ardues qui surgissent à chaque pas intérêts d'ordre public, intérêts des créanciers, intérêts du failli, tous sont respectables, tous demandent satisfaction et justice. Aussi, pour écrire avec succès sur cette matière, est-il indispensable de posséder, à côté d'une connaissance spéciale de la loi, une expérience consommée des affaires ; ce n'est pas tout, en effet, que de donner une explication satisfaisante des textes, il faut encore savoir en faire une application pratique. Ces qualités, M. Bédarride les réunit à un haut degré : jurisconsulte distingué, savant consciencieux, il a puisé, dans sa longue et laborieuse carrière, des enseignements féconds; il y a trouvé les éléments nécessaires pour publier sur la loi de 1838 un commentaire digne de sa réputation et digne des obstacles qu'il avait à surmonter.

Mais pourquoi insister sur ce point; le Traité des faillites et banqueroutes, de M. Bédarride, se recommande assez par luimême pour qu'il soit seulement à propos d'en signaler ici les mérites. Le succès avec lequel il a été accueilli, dès son apparition; le rang qu'il a conquis parmi les ouvrages les plus autorisés en cette matière, et l'estime dont il jouit chez les auteurs et devant nos tribunaux, parlent plus haut que les éloges que nous pourrions en faire; ils font comprendre mieux que toute

autre démonstration combien était senti le besoin d'un commentaire qui servît de guide aussi bien à ceux qui, par leur profession, sont appelés à connaître cette loi de plus près, qu'aux personnes dont les intérêts, à un titre ou à un autre, se trouvent engagés dans une faillite.

Le plan adopté par M. Bédarride est celui du Code de commerce lui-même; chaque article forme l'objet d'une étude spéciale; c'est dire assez qu'il nous est impossible de suivre l'auteur dans les explications qu'il donne, de nous arrêter avec lui aux opinions qu'il discute, aux décisions judiciaires qu'il cite, aux solutions qu'il propose.

Sans doute il est des questions vivement controversées lors de la promulgation de la loi, qui, de nos jours, ont perdu de leur importance; beaucoup de points, douteux à l'origine, sont résolus aujourd'hui d'une manière uniforme par la doctrine et la jurisprudence, le Traité de M. Bédarride n'en reste pas moins un ouvrage utile à consulter, tant à raison des principes de droit qui y sont exposés, et auxquels il faut toujours recourir, que grâce au soin minutieux qui a présidé à l'analyse et à l'examen des systèmes nouveaux qui ont été soutenus, et des arrêts qui ont été rendus sur maint problème demeuré jusqu'ici sans solution. définitive. C'est ainsi, pour en citer un exemple en passant, qu'un appendice intéressant a été consacré à la question de savoir si l'alimentation du failli est à la charge de la masse ou de l'Etat, et s'il doit y être pourvu, dans la première hypothèse, par une consignation préalable, au taux exigé par les prisonniers pour dettes, à défaut de laquelle le failli sera élargi.

Le Traité des bourses de commerce, agents de change et courtiers, dont nous devons nous occuper maintenant, vient prendre dignement sa place à côté des travaux que le zèle éclairé de M. Bédarride a déjà offert à ceux qui s'occupent de droit commercial. Ici encore l'auteur a choisi la forme du commentaire ; ici encore nous nous bornerons à donner aux lecteurs de la Revue une idée générale de l'ouvrage.

Démontrer l'utilité des bourses, exposer leur organisation, parler des opérations qui s'y traitent, examiner l'institution des agents de change et des courtiers, nous dire quelles sont leurs attributions, la nature de leurs priviléges, les prohibitions qui les frappent, étudier enfin les textes qui concernent les commis

« PreviousContinue »