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la renommée de l'enseignement, au pied de la montagne SainteGeneviève. Jean fut un de ces enfants perdus de la bazoche, un de ces petits scribes tonsurés, parlant haut et de tout, comme il y en avait tant à Paris, à l'ombre du Palais de justice, un de ces écoliers affamés comme Panurge, pipeurs 1, buveurs, batteurs de pavés, toujours machinant quelque chose contre le guet, au demeurant les meilleurs fils du monde, amis de Villon, railleurs et se gaussant des moines, mais ayant en eux cette étincelle de vie nerveuse et subtile qui a sauvé la France. Il apprit bien des choses en suivant les audiences de la grand'chambre et en écoutant les propos hardis qui effarouchaient les échos de la SainteChapelle. Il y puisa, pour le reste de ses jours, de la haine contre les privilégiés. Il y développa cet instinct qui portait les légistes de tous les degrés à abaisser toutes les résistances devant la loi et le roi.

La ligue du bien public (1465) venait de troubler l'administration si fortement organisée par les conseillers de Charles VII, et que le nouveau souverain s'efforçait de maintenir. La réaction féodale, qui se réveillait inévitablement au début de chaque règne, s'était armée. Le duc de Bourbon exigeait le Forez et le Lyonnais, et comptait parmi les principaux ligués. Louis XI s'était rendu en Auvergne, désireux de faire un acte de vigueur et pressé de revenir ensuite à Paris.

Doyat accourt dans les rangs de l'armée royale, pour chercher fortune. Brantôme 2 raconte qu'un jour Louis XI, ayant besoin à la guerre d'envoyer un ordre, il rencontra un scribe finet et bon compagnon. Lui voyant un écritoire pendu à la ceinture, le roi lui commanda aussitôt d'écrire sous sa dictée. En ouvrant l'étui de son encrier, pour en faire tomber sa plume, l'écolier en fit tomber aussi deux dés. Le roi lui demanda à quoi servait cette dragée. L'autre, sans s'étonner, répondit : « Sire, c'est un remedium contra pestem. » << Vas, dit Louis XI, tu es un gentil paillard, tu es à moy, » et il le prit à son service.

Nous sommes tenté de faire de Doyat le héros de cette aventure.

1 Rabelais, Pantagruel, liv. II, chap. XVI.

2 Brantôme, Vie des hommes illustres et capitaines français, t. I, digression sur Louis XI.

Le voilà dans les rangs de l'armée royale. On le met peu après à la tête de l'artillerie. Il assiste à la prise de Gannat, donne l'assaut à Paray-le-Ménial, combattant au premier rang, superbe en tenue de guerre, chapeau rouge et plume blanche, dit M. le procureur général en son réquisitoire, mais aussi il commet force paillardises. Nous renvoyons, pour les détails, à la plaidoirie du ministère public. Notre homme était un vrai routier; il avait enlevé sur la route la femme d'un médecin d'Allemagne, moult gracieuse, belle et parée. Deux fois il aurait été condamné à être pendu. La première fois il évite la hart, moyennant deux cents écus d'or; la seconde, il s'enfuit à Cusset les partisans du duc de Bourbon y dominaient.

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Nous ne savons où les rares et succincts biographes qui se sont occupés de Doyat, se sont renseignés pour affirmer qu'il devint officier du duc et qu'il le trahit pour servir la cause de Louis XI. Aucune pièce du procès n'indique ce fait. Doyat est à Cusset. Il attaque hardiment ceux qui complotaient contre l'autorité royale. Il accuse du crime de lèse-majesté tous les émissaires de Jean de Bourbon, notamment un nommé Bourderic. La populace est ameutée contre Doyat; on le poursuit pour crime de fausse accusation, et il est condamné, par la sénéchaussée du duché, à faire amende honorable sur un échafaud, en pleine place, un jour de marché. Il parut sous les huées de la multitude, demanda pardon et quitta la ville en 1466.

Il devait y revenir dix ans après, comme bailli et capitaine, au nom du roi.

Pendant ces dix ans il servit Louis XI comme valet de sa garde-robe. Il eut le temps de réfléchir et d'apprendre. Le roi, de son côté, reconnut en lui les traits d'un caractère commun à l'un et à l'autre, l'habileté sans scrupules, la souplesse humble, l'opiniâtreté patiente. C'était un de ces serviteurs comme Louis XI les aimait, un autre maître Olivier.

Louis XI avait un peu du tempérament italien. Dauphin2, il avait

1 Archives du Parlement, registre 49, coté aux archives x 8881. Ainsi : Sequitur registrum consultationum et deliberationum in causis criminalibus in Parlamento regio, Parasiis factorum. —Voir plaidoirie de Me Lemaistre pour le procureur général du roi, même manuscrit.

2 Voir Sismondi, t. XIV.

beaucoup lu, beaucoup médité. Dans la solitude de sa jeunesse, à Génappe, aux portes des Alpes, sur la route d'Italie, il avait fait causer longuement les marchands de Gênes, de Florence, de Venise, qui s'en allaient aux grandes foires des Flandres. Il avait, dans sa forte et sombre imagination, conçu un système de gouvernement, modelé, autant que faire se pouvait, sur celui des tyrans italiens. Il lui fallait des confidents, des sbires, des âmes damnées.

Le but qu'il voulait atteindre, nous le savons, était d'en finir avec la haute seigneurie, d'abattre les sires de fleur-de-lis. Ses moyens, il les puisa dans la pénétration, la sagesse, l'artifice. Le premier, dans notre monarchie, il étudia l'art de tirer parti des événements : c'est par là qu'il est révolutionnaire 1. Il consacra la victoire de la logique laïque; il sécularisa la politique et l'affranchit pour toujours de la théologie.

Ceux qu'il avait à combattre, on les connaît aussi. La première féodalité était morte; mais on avait reconstitué les fiefs par les apanages, et les mêmes dangers pour la couronne renaissaient. Tout le règne du successeur de Charles VII se consuma en efforts pour détruire les duchés de Bourgogne, de Bourbon et de Bretagne. Son bonheur couvrit la plupart de ses fautes. Il réussit parce qu'il sut attendro. En 1477, au moment où Doyat est nommé bailli et capitaine de Cusset, la fortune se montrait la complice du machiavélisme. Un dénoûment tragique venait de terminer l'épopée de la maison de Bourgogne. Charles le Téméraire avait été tué. « Dans l'abattement universel des forts et des violents, dit M. Michelet, l'homme de ruse était seul debout. >> L'heure était mauvaise pour le cousin Jean de Bourbon 2.

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C'était un très-grand fief que le sien de Bordeaux jusqu'en Savoie il était chez lui. Duc de Bourbonnais et d'Auvergne, comte de Forez, seigneur de Dombex et de Beaujolais, ses domaines, cependant, ne constituaient pas une race à part. Moins dangereux que les autres princes du sang, il n'avait pas d'enfants, mais seulement des frères : l'un archevêque de Lyon, évêque de Clermont, l'autre évêque de Liége, le dernier sire de Beaujeu. Louis XI avait tout fait pour se les attacher.

1 Voir Janet, Histoire des doctrines morales et politiques, t. I. • Voir Michelet, Histoire de France, t. VI.

Lorsque la fronde du quinzième siècle, la ligue du bien public eût été apaisée, Jean de Bourbon s'était fait réintégrer dans toutes les places et pensions dont il jouissait sous Charles VII. Il s'était fait, de plus, solder l'arriéré de la dot de Jeanne de France, sa femme. Il vivait tantôt à Moulins, tantôt à Chantelle, rarement à Paris. Depuis sa réconciliation il ne s'était plus ouvertement rangé parmi les ennemis du roi. Mais Louis XI avait des preuves certaines de sa correspondance secrète avec ses ennemis. Sa mère n'était-elle pas de la maison de Bourgogne ? Au lieu de l'en punir, il cherchait à le lier par des faveurs nouvelles. Il avait besoin de lui pour tenir tête au nord. A cette alliance, Louis XI avait sacrifié de vrais amis, les Liégeois; de Charles de Bourbon, archevêque de Lyon, légat d'Avignon, il avait fait un cardinal; et à Pierre de Beaujeu il avait donné sa fille. Il pouvait se croire sûr du duc Jean. Un incident du procès de Nemours ranima les faciles défiances du roi. Nemours, pendant la question (1476), avait accusé le comte de Dammartin et le duc de Bourbon d'avoir formé une conjuration: plus d'intimité depuis ce jour. Le duc n'était plus revenu du Bourbonnais. C'était le temps où Charles le Téméraire commençait la dernière de ses folles équipées (1476). A la cour, les affidés, Doyat en tête, accusaient hautement Jean de Bourbon de prévenir le duc de Bourgogne des intrigues nouées avec les Suisses. Une circonstance inattendue vint donner un corps à ces insinuations.

Jean de Troyes1 raconte que vers la fin de l'année 1477 arriva à Paris un cordelier, le frère Fradin, natif de Villefranche en Beaujolais et sujet du duc de Bourbon. Ses prédications firent grand bruit. Personne n'ignore aujourd'hui combien a été vive l'influence politique, au moyen âge, des moines mendiants, comme prédicateurs. Ils allaient partout, colportant les nouvelles. C'était la presse du temps. Le frère Fradin «blasma tous les États et prescha de la justice du gouvernement du roi, des princes et seigneurs du royaume, et que le roi étoit mal servi, et qu'il avoit autour de lui des serviteurs qui lui étoient traîtres, et que s'il ne les mettoit dehors, qu'ils le détruiroient et le royaume aussi. »>

Tout Paris fut remué par ces paroles. Le roi envoya Olivier

1 Voir Chroniques de Jean de Troyes; voir Compendium de Gaguin.

défendre au moine de prêcher. On s'ameuta. Hommes et femmes, armés de pierres, de couteaux, allaient veiller nuit et jour aux portes du couvent des Cordeliers, pour s'opposer à l'arrestation du frère Fradin. «Ils lui disoient qu'il n'eût pas peur et qu'ils mourroient avant que esclandre ne lui advint. » Le vingtsixième jour de mai le prévôt fut obligé de faire crier, à son de trompe par les rues de Paris, qu'il était interdit de plus faire. d'assemblées en l'église des Cordeliers, ni ailleurs, sous peine de confiscation de corps et de biens. Le 1er juin, le Parlement déclara le frère Fradin à toujours banni du royaume. «< Quand il partit, il y avoit grande quantité de populaire, criant et soupirant moult fort son département et en estoient tous mal contents. >>

Le roi crut sans peine que le duc de Bourbon avait envoyé le frère cordelier pour sonder l'opinion publique. Doyat et Olivier insinuaient que le duc fortifiait ses places, étendait ses juridictions privées, empêchait les appels devant les cours souveraines, et qu'il était maître absolu dans ses domaines. Pour mettre un terme à ces empiétements, pour surveiller ces menées, il n'était pas besoin d'une armée; Louis XI chercha seulement un homme qu'il put emplir de son unique volonté, et il choisit Doyat. La royauté étant hors de page, il suffisait, pour arrêter un grand vassal, du bras d'un justicier.

C'est dans ces circonstances que Doyat est nommé bailli et capitaine de Cusset, aux portes du Bourbonnais, non loin aussi du duché de Bourgogne. Nous allons maintenant le voir à l'œuvre.

§ 2.

Il commença par relever les fortifications de la ville. Il le fit aux dépens du duc, et mit à mort, si l'on en croit l'accusation, deux hommes qui voulaient s'y opposer. Implacable pour tous ceux qui étaient les ennemis de l'autorité royale, il aurait, dit-on, empêché qu'on rendît les derniers devoirs à un malheureux, parce qu'il était serviteur de Jean de Bourbon. Les murailles de Cusset relevées, il les pourvut d'artillerie et d'une garnison; une fois à l'abri d'un coup de main, il commença à instrumenter contre les juges et officiers du duché.

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