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est celle de savoir s'il y a quelque distinction à faire entre les nobles et les roturiers; c'est la neuvième. Pour la comprendre, il faut savoir que l'ordonnance de 1629 (Code Michaud, du nom de Michel de Marillac, son auteur) avait, dans son article 125, défendu que les substitutions pussent avoir lieu « aux testaments des personnes rustiques qui, vraisemblablement, n'entendent ni la nature, ni l'effet des substitutions, ni des fidéicommis. >> Cette disposition de l'ordonnance, enveloppée dans la disgrâce de son auteur, demeura sans effet'. Seul, le Parlement de Toulouse, qui ne faisait pas de distinction entre les nobles et les roturiers lorsque la substitution était expresse et conçue en termes clairs, décidait autrement dans le cas d'une substitution fondée sur le concours de présomptions qui pouvaient faire induire au fidéicommis dans lequel la noblesse de la famille, la qualité des biens, et la coutume de faire des substitutions, devaient être prises en considération pour établir la présomption".

Le Parlement de Dijon, qui dans sa jurisprudence n'avait pas fait de distinction, pensait néanmoins que « s'il plaisait au roi d'étendre la durée des substitutions au delà des bornes que les ordonnances ont prescrites, il semble que cette extension ne devrait avoir lieu qu'en faveur de la noblesse 3. » Toute distinction est supprimée par l'ordonnance de 1747. (Art. 1er.)

C'était à d'Aguesseau qu'il appartenait de rétablir l'uniformité dans la jurisprudence. Il fit pour les substitutions, dans l'ordonnance de 1747, ce qu'il avait fait pour les donations et les teslaments dans celles de 1731 et de 1735.

Il enjoint aux Parlements des provinces qui faisaient partie du royaume lors de la publication des ordonnances d'Orléans et de Moulins, de s'y conformer, en bornant à deux degrés les substitutions faites depuis cette dernière ou qui seraient faites à l'avenir. Ceci était à l'adresse des Parlements de Toulouse et de Bordeaux ; il laisse toutefois aller jusqu'à quatre degrés les substitutions ouvertes sous l'empire de leur jurisprudence avant 1747. Il ne touche rien à la perpétuité des substitutions dans les pays réunis après les ordonnances, sauf à y pourvoir plus

1 Thevenot, no 81, question 9 et réponses.

2 lbid.

3 Ibid.

tard, et décide, en respectant toujours les droits acquis, que les degrés seront, dorénavant, comptés par tête1.

Les inconvénients des substitutions mis en lumière avec tant de bonne foi par le Parlement de Besançon ne pouvaient échapper à l'illustre chancelier. « L'abrogation entière de tous les fidéicommis, écrivait-il au premier président du Parlement d'Aix, serait peut-être, comme vous le pensez, la meilleure de toutes les lois; et il pourrait y avoir des moyens plus simples pour conserver dans les grandes maisons ce qui suffirait à en soutenir l'éclat. Mais j'ai peur que pour y parvenir, surtout dans les pays de droit écrit, il ne fallût commencer par réformer les têtes, et ce serait l'entreprise d'une tête qui aurait elle-même besoin de réforme. C'est en vérité un grand malheur qu'il faille que la vanité des hommes domine sur les lois elles-mêmes 2.

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Ces inconvénients sont très énergiquement signalés dans la question préliminaire, en tête de celles adressées aux Parlements; elle paraît être l'expression de l'opinion de Lebret, le premier président d'Aix. « L'on peut douter, y est-il dit, s'il ne serait pas plus avantageux au corps d'Etat d'abroger totalement les substitutions, ou du moins les fidéicommis, qui ne peuvent être avantageux qu'aux particuliers qu'ils concernent, et qui ne peuvent même leur profiter qu'au préjudice d'un grand nombre de citoyens. Ils servent à conserver les biens d'une famille, mais ce n'est qu'en faisant perdre aux créanciers de cette famille ce qu'ils lui ont prêté de bonne foi. Rien n'est plus injuste, et, comme il est fort indifférent à l'Etat que cette famille soit conservée dans ses biens, il semble qu'aucune raison générale ne doit faire entretenir les substitutions imaginées par des païens follement entêtés de la durée de leur nom, sans prendre garde qu'une banqueroute, qui se fait à chaque génération, la déshonore essentiellement... Il importe essentiellement à l'intérêt général de l'Etat que l'on ne se ruine pas en procès; il recevrait un grand avantage si la diminution des procès pouvait produire celle du nombre prodigieux de gens de justice qui détruisent les autres états 3.

1 Ordonnance de 1747, tit. I, art. 30-35.

2 Correspondance officielle du chancelier d'Aguesseau, lettre 360, du 24 juin 1730, t. IX, p. 506 de l'édition de 1776.

3 Questions et réponses, p. 1.

<< Mais ira-t-on changer tous les usages reçus, et reçus depuis tant de siècles, fondés même sur la loi de Moïse, qui conservait avec tant de soin les biens dans les familles? Ira-t-on heurter, pour ainsi dire, tous les préjugés dans les pays de droit écrit? L'objet de conserver les grandes maisons dans tout leur lustre est intéressant pour l'Etat; c'est une prévoyance digne d'un père de famille que d'empêcher le mauvais usage qu'un fils dissipateur pourrait faire des biens que le travail de ses aïeux lui a laissés 1. >>

On voit la faiblesse de ces raisons données par d'Aguesscau, qui se borna à maintenir le statu quo en rappelant à l'observation des anciennes ordonnances les Parlements de Toulouse et de Bordeaux, et trancha les plus graves questions, celles qui s'étaient élevées le plus souvent.

VILLEQUEZ,

Professeur à la Faculté de droit de Dijon.

1 Questions et réponses, p. 14 el 15, observat. de d'Aguesseau.

(La suite à une prochaine livraison.)

Les règles suivies en Angleterre pour l'exercice des actions. civiles et commerciales sont peu connues. L'absence de codification, le grand nombre de tribunaux, ayant chacun leurs attributions spéciales, les différences notables existant entre notre organisation judiciaire et celle de ce pays, ont fait penser qu'il pouvait y régner une certaine confusion dans le cours de la justice. L'existence simultanée de Cours de loi commune, de Cours d'équité, de Cours ecclésiastiques ayant compétence sur certaines affaires laïques, de Cours d'université, de tribunaux spéciaux et exceptionnels, rend difficile la fixation des règles de la compétence. Beaucoup de nos compatriotes préféreraient abandonner les droits qu'ils peuvent avoir à exercer devant les tribunaux anglais, plutôt que de s'exposer dans ce dédale, qui paraît inextricable, aux incidents, aux lenteurs et aux frais que peut entraîner la procédure devant ces tribunaux. Cependant nos relations avec l'Angleterre s'étendent chaque jour; les traités de commerce doivent les rendre de plus en plus fréquentes, et il devient utile de connaître d'une manière précise, les règles fondamentales de la justice civile et commerciale de ce pays. Nous essayerons de présenter ici un exposé aussi clair et aussi simple que possible, de la manière dont se rend la justice chez nos voisins d'outre-mer. Nous examinerons successivement l'organisation judiciaire des tribunaux civils, et les modes indiqués par la loi pour l'exercice des actions civiles et commerciales. Nous n'avons point la prétention de publier un travail complet, indiquant pour chaque action les règles à suivre et la manière de procéder. Il faudrait, pour arriver à ce but, voir fonctionner les différents tribunaux, étudier sur les lieux mêmes la marche des procédures, en suivre tous les incidents, en présenter le détail sous une forme aride et fatigante. Nous préférons nous borner à un aperçu général, suffisant pour faire connaître les bases principales de ces procédures, et pour jeter quelque lumière sur la marche à suivre devant les tribunaux de l'Angleterre.

SECTION I.

DE L'ORGANISATION JUDICIAIRE DES TRIBUNAUX CIVILS.

Pour bien se rendre compte de l'organisation judiciaire d'un pays, il faut connaître le système des lois qui le régissent. Les tribunaux, en effet, chargés de faire exécuter ces lois, d'en faire l'application aux droits de chaque citoyen, puisent le plus souvent leurs attributions dans les diverses sources de la législation. En France, où, depuis le commencement du dix-neuvième siècle, toute la législation a été remaniée, fusionnée dans une codification simple et unique, où les lois ont été déclarées applicables dans toute l'étendue de l'empire, sans distinction de personnes, sans privilége de corporations, l'organisation judiciaire a reçu la même base. Les tribunaux civils, ayant tous les mêmes attributions, les mêmes pouvoirs, fonctionnent dans chaque arrondissement, sans autre distinction que la compétence territoriale. Dans les pays où les lois anciennes sont restées en vigueur, sous le nom de droit coutumier, où diverses corporations ont conservé d'anciens priviléges, où des lois nouvelles ont satisfait à des besoins nouveaux, mais sans abroger les anciennes coutumes, des tribunaux spéciaux sont souvent nécessaires pour l'application de ces diverses législations. C'est ce qui existe en Angleterre. Il est donc nécessaire de faire connaître le système de législation qui régit ce pays.

CHAPITRE Ier. DES LOIS EN ANGLETERRE.

Un des caractères saillants de la nation anglaise est un profond respect pour ses anciennes institutions. Sans doute, les progrès de la civilisation ont apporté des modifications importantes à ses usages; mais le principe est respecté ; la loi commune est restée en vigueur, et devra recevoir son application dans toute sa rigueur, lorsque des statuts récents n'en ont pas tempéré les règles pour les approprier aux mœurs de notre temps. Les Anglais prétendent que toucher à l'édifice gothique de leurs institutions serait renverser les bases de la société. Par suite de ces mêmes principes, ils semblent chercher, avec une sorte d'amour

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