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l'immortalité, l'Olympe s'ouvre, & Ariane y eft reçue par les dieux.

Rien n'eft plus ridicule qu'une expofition faite par deux personnages qu'on ne doit plus revoir; mais ce qui ne l'eft pas moins, & qui chagrine le spectateur un peu éclairé, c'eft de voir une femme abandonnée par un ingrat, éprouver toutes les fureurs, toutes les angoiffes de l'amour trahi, défirer la mort, l'implorer & fe rendre, un inftant après, aux propofitions d'un nouvel amant une telle action eft immorale, même dans un fujet mythologique.

Mais l'auteur a couvert ces défauts graves par tout ce que les acceffoires de fon fujet lui pouvoient fournir de féduifant, par l'oppofition des effets, par la variété des grouppes, le deflin ingénieux des ballets, & par le charme des décorations & des machines. C'eft par le moins, fi l'on veut, qu'il a réuffi; mais ce moins fouvent devient le plus pour les grands enfans qui fréquentent l'opéra. Rien de plus parfait que l'exécution de cette pantomime la mufique en eft dramatique, & doit faire beaucoup d'honneur à M. Rochefort, fecond maître de mufique de ce théatre. Tous les premiers fujets de la danse y paroiffent avec avantage. Les machines font infiniment d'honneur aux talens de M. Bornier principalement celle qui effectue l'apothéose d'Ariane elle eft auffi neuve que brillante.

Nous revenons fur nos principes de rigueur, avant de terminer cet artiele. Qu'on y prenne garde. Les pantomimes, dans la Grece & dans Rome, firent déferter tous les autres théatres. Ce

fut l'époque de la perte entiere du génie. La danfe, ou plutôt, la gefticulation & la mufique occuperent les yeux & les oreilles; l'ame devenue oifive perdit pen-à-peu fon énergie, fa fenfibilité. La France, dans fon éclat précédent, tenoit la littérature de toute l'Europe en haleine. Si tout s'éteint ici, à peine restera-t-il, dans le monde entier, une ame affez fenfible, une plume affez diferte, pour arracher des larmes à la poftérité fur l'anéantiffement du don de penser, de fentir & d'exprimer. Confervons tout, mais ne confondons rien; & tâchons qu'on ne dife pas un jour que les deftructeurs des beaux-arts ont exifté dans un fiecle auffi éclairé que le nôtre.

(Journal des théatres; Affiches, annonces & avis divers. )

THEATRE DE LA NATION.

Ce théatre a vu fuir enfin le malheur qui fembloit s'attacher à lui; fes beaux jours & fa gloire vont renaître. Préville a reparu; fon talent, femblable à l'aftre du jour, qui, après un long orage, diffipe de l'éclat de fes feux les nuages qui obfcurciffoient l'horizon, a porté un jour pur & nouveau dans le temple de Thalie ; il a conjuré les tempêtes dont ce temple étoit encore environné, & les amateurs du théatre viennent y jouir, avec une ivreffe douce, des plaifirs que procure, le plus beau & le plus fatisfaifant de tous les arts. C'eft le famedi 26 novembre que notre Rofcius s'eft remontré fur la fcene, par le

rôle de Michau dans la partie de chaffe d'Henri IV. La foule des fpectateurs étoit immenfe. A fon afpect, des applaudiffemens dont on ne peut donner qu'une idée foible, tant ils étoient unanimes & multipliés, ont éclaté dans tous les coins de la falle & du haut en bas. Le fublime acteur s'eft ému; la modeftie & la reconnoiffance l'ont troublé ; fes jambes ont fléchi, fa voix s'eft altérée, fes yeux ont laiffé échapper des larmes. Le plus flatteur tribut d'eftime qu'eût jamais reçu M. Préville, on le lui a rendu en cet inftant; pendant les courts momens qu'a duré fon émotion, tous les yeux étoient fur lui, tous les cœurs palpitoient; le comédien & les spectateurs avoient difparu, l'homme étoit refté feul au milieu de fes amis, attentifs fur l'effet que fa fenfibilité pouvoit produire en lui. Il a parlé; c'étoit Préville, c'étoit encore lui tout entier, & les cris de joie ont retenti avec de nouveaux transports. Artiftes de tous les genres, confidérez ce que peuvent fur l'opinion publique les talens unis aux vertus civiles, & cherchez à mériter un jour un femblable triomphe.

M. Préville n'a rien perdu; c'eft le même efprit, la même ame la même mobilité de mafque, la même vérité dans les mouvemens; c'eft la même pureté de diction on retrouve toujours en lui ces nuances de dialogue, fugitives pour les acteurs fuperficiels, & par lesquelles le grand comédien prouve, à chaque instant, qu'il a faifi la nature fur le fait. Le public fembloit, à toute minute, étonné de ce qu'il voyoit & de ce qu'il entendoit; on auroit cru que ceux

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on en trouve une autre, prise dans la nature & dans les conventions de l'art, tout auffi ori. ginale, tout auffi favante, & qui joint à tout cela le mérite de la nouveauté. Après ces cours détails, les perfonnes qui n'ont encore qu'entendu parler des nouveaux fuccès de M. Préville, doivent plus s'en étonner. On fait quelle répu, tation il s'étoit faire dans le Bourru bienfaisant; il y a reparu le jeudi premier de ce mois, & il a montré dans ce rôle cent beautés nouvelles. La reine étoit au fpectacle; elle a été reçue comme elle devoit l'être par des François, & les applaudiffemens fe font partagés, tour-à-tour, entre la majefté royale, & l'indeftructible empire du talent. Il ne faut point paffer fous filence une heureuse préfence d'efprit de M. Dazincourt. Au troisieme acte du Bourru bienfaifant, Mar ton dit à Picard, en parlant des boutades de M. Géronte: C'est dommage qu'il ait ce vilain de faut-là. La replique ordinaire de Picard eft: Qu eft-ce qui n'en a pas? M. Dazincourt a répliqué: Des défauts ! qui? mon maître? il n'en a point, & je le crois auffi parfait qu'il foit poffible de l'eve Le public a pris bonnement la phrate comme fi elle eût été de Goldoni, auteur du Bourra, & il en a fait l'application à M. Préville par un applaudiffement qui a été repris cinq fois.

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Mardi dernier a, pour ainfi dire, étalé tout Préville aux yeux des connoiffeurs. Ce comédien a joué le Lubin de la Surprise de l'amour, &, dans le Mercure - galant, les rôles de Bonifast Chrétien, de M. de la Motte, de la Riffole, du procureur Sangsue, & de l'abbé de Beauginie,

Pour donner une idée foible de ce qu'il a été dans tous ces rôles, il nous faudroit des pages, & nous n'avons que des lignes. Nos lecteurs voudront bien fe contenter d'apprendre en peu de mots qu'il y a montré toutes les reffources que le génie donne, que la force de l'âge met en euvre, & que l'expérience a confommées. Il a été plus fini dans la Riffole qu'on ne l'y a jamais vu; l'autorité de fa voix dans le rôle de Sangfue a comblé de furprise & de joie; de furprife, parce qu'il a 70 ans, de joie, parce que fon talent lui ôte visiblement la moitié de fon âge; il a paru n'en avoir que le tiers dans l'abbé de Beaugénie.

Cette repréfentation laiffera de longs & doux fouvenirs dans l'ame & dans l'efprit des amateurs..... Parmi les applications nombreuses faites à M. Préville, pendant le cours de cette repréfentation, nous ne citerons que celle-ci, qui a absorbé toutes les autres ;

Des injures du tems mon nom n'a rien à craindre.

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Il feroit injufte de terminer cet article fans dire

que nous n'avons jamais vu mieux jouer la comédie au théatre de la nation, que depuis quelques femaines. Le public fage & éclairé a éloigné de ce théatre les cris, les cabales, les préventions; il encourage les acteurs, il les enhardit à développer leurs talens; les comédiens répondent aux encouragemens qu'ils reçoivent, l'art fe remontre, le plaifir marche à côté de lui, & tout est à fa place.

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