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fupériorité doit paroître un phénomene en littérature: mais la Lufiade, peut être, doit beaucoup de fes beautés à la traduction faite par cet auteur élégant. «

En admettant ces éloges de Camoens, nous devons au moins avouer qu'il y a lieu de le faire concourir avec Virgile mais nous ne voyons pas ce que nous pourrons oppofer à la Pharfale de Lucain, & à la froide narration de Silius : les modernes ne femblent pas nous fournir des objets propres à être mis en comparaifon avec ces ouvrages. Peut-être que le Léonidas de Glover n'eft pas inférieur au premier; & certainement la Henriade de Voltaire surpasse le second. Le génie & la maniere correcte du Taffe, les extravagances fublimes de l'Ariofte, les defcriptions variées, mais toujours riches, que préfentent les Enchantemens du Nord, écrits par M. Hole, dans un ftyle fi châtié & fi poétique, qu'on les croiroit prefque de Virgile, doivent certainement contre-balancer le feul ouvrage de fuperf tition populaire dont l'antiquité peut fe vanter: nous parlons des métamorphofes d'Ovide, que M, Polwhèle femble avoir laiffé dans un de fes étranges oublis, de même que les Argonautiques d'Apollonius, qui néanmoins n'auroient pas manqué d'ajouter confidérablement au contre-poids des anciens, dans la balance du mérite.

Si nous paffons au drame, les Grecs ne nous fourniront que trois excellens auteurs en tragédie: Efchyle, Sophocle & Euripide. Pour les Romains, ils n'ont pas fourni un feul tragique qui mérite d'être cité. Au triumvirat des Grecs, le

docteur Warton oppose Shakespear, Corneille & Racine. Mais Shakespear, ajoute-t-il, eft trop excentrique pour pouvoir le juger par aucune regle dramatique; ceci toutefois ne fait rien à la chose. La feule queftion ici eft de favoir lequel de ces trois écrivains poffédoit le plus de génie la décifion, comme je crois, ne pourra manquer d'être en faveur de notre compatriote, puifque dans les grands traits de nature & de caractere, il furpaffe décidément fon compétiteur Eschyle. Dans ces points, (dit Warton) il ne le cede nullement aux Grecs. « Et ces points ne constituent-ils pas la principale excellence du drame? La vérité eft qu'Elchyle empruntoit beaucoup de fes prédéceffeurs, quoiqu'en plufieurs occafions il pense noblement par lui-même: Shakespear n'empruntoit rien que de fon archetype, la nature. Il faut encore ajouter, qu'autant Shakespear pouffe fa hardieffe à l'extrémité, autant Eschyle eft incompréhensible dans fon obfcurité.

Sophocle & Corneille different, tant dans leur maniere, qu'il fera toujours impoffible d'en faire une bonne comparaison, felon les regles d'une jufte critique. En avouant que le premier eft plus régulier dans fes intrignes, on ne difconviendra pas que les caracteres du fecond font beaucoup plus variés. Je doute même fi la piece la plus défectueufe de Corneille, toute ampoulée qu'elle pût être, & dégradée même par la déclamation fentimentale, ne réuffiroit pas mieux à fatisfaire tout lecteur impartial, que ne feroit l'Edipus tyrannus même. Le tendre Racine

porte quelque reflemblance avec Euripide, & l'égale même en pathos; mais il le furpaffe en courtoisie & en douceur. Il y a certainement un grand agrément dens la diction d'Euripide, & c'eft en quoi confifte fon grand mérite.

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Cette critique de M. Polwhele eft bien froide, & nous fentons combien elle doit engourdir nos lecteurs. Les beautés fieres & presque furnaturelles d'Eschyle font certainement égalées par notre Shakespear, foit que nous considérions l'énergie de les expreffions, ou la nobleffe mâle de fes pensées, & le feu poétique de certains paffages. En réfléchiffant encore fur les avantages d'un plus parfait arrangement des scenes, des pieces plus artiftement difpofées, du théatre perfectionné, d'un drame qui comporte des scenes plus variées, les compofitions de Shakespear paroîtront, dans tous ces points, beaucoup fupérieures à celles d'Efchyle. Dans le Terrible, Shakefpear eft le feul des auteurs tragiques Anglois qui puiffe tenir tête à Efchyle, qui fembie même feul pofféder le grand fecret d'infpirer la terreur par des paules bien ménagées, & qui, en fufpendant l'action, la fait preffentir pár la réflexion. Les auteurs Allemands poffedent ce mê. me art, & quelques-unes de leurs tragédies ferviroient, s'il étoit néceffaire, à foutenir puif famment la caufe des modernes contre le héros du genre terrible, parmi les anciens. - Aux pieces de Sophocle, pourquoi n'oppoferions-nous pas la All for love de Dryden; la Mourning Bride de Congreve, & les nombreufes tragédies de Voltaire. Oppofés à Euripide, on verra Rowe,

Otway & Racine, chacun triompher dans fon particulier. Les poéties lyriques des auteurs tragiques Grecs ont été heureusement imitées par Mafon mais nous n'avons que Gray & Dryden

à opposer à Pindare.

Dans ce genre de littérature, nous avons fait choix de différens auteurs, doués d'un génie égal, & poffédant des pouvoirs pareils d'efprit. Nous confeffons que d'un côté il n'eft pas jufte de raffembler de toutes les parties de l'Europe, des antagonistes, pour les oppofer aux poëtes du feul Archipel grec, on, pour parler plus exactement, à ceux qu'a fournis la foule Attique. Cette allégation feroit, à la vérité, très-forte, fi les auteurs cités étoient les feuls qu'on pût faire entrer en lice; mais la France, l'Allemagne & l'Angleterre pourroient en fournir un grand nombre d'autres qui fauroient, avec avantage, difputer la palme aux héros de la littérature grecque.

La comédie ne nous donne aucune occafion de comparer les Grecs avec les modernes. Nous ne poffédons que celles de Ménandre dans des traductions, & plus fouvent noyées dans les imitations de Térence. A en juger néanmoins par lés fragmens qui nous en reffent, il, eft aifé de voir que les Grecs, en négligeant de varier fuffifamment les mœurs & les images de la vie humaine, ne manquoient pas de deffiner des reffemblances parfaites, & de tracer les repréfentations les plus vives & les plus vraies.

Dans la poéfie fatyrique, nos auteurs auroient dû fe rappeller que Pope & Boileau s'enflammerent tous les deux à la lecture des on

vrages de Juvenal & d'Horace. Les denx premiers profiterent habilement de l'affiftance des anciens pour les farpaffer. Les allufions heureufes de Pope lui donnent une grande fupériorité fur les compétiteurs, quoiqu'il lui manque cette plaifanterie aifée & cet air d'infouciance, qui diftinguent fi avantageufement Horace. Pope au contraire, en écrivant, paroît toujours aigri de quelque rancune invétérée.

Notre auteur n'a rien avancé sur la critique. Quel est celui parmi les modernes qui mérite d'être oppofé à Ariftote? Bacon & Locke en conjonction, de la part de l'Angleterre ; Buffon & Leibnitz de celle des étrangers. L'auteur d'Hermes (*) n'emprunte que des anciens, & Quintilien trouvera des rivaux dignes de fa gloire, dans le lord Kaimes & dans l'auteur de la philofophie de l'éloquence.

Les impreffions que laiffe la peinture font fortes, mais paffageres. Sur ce fujet comme fur celui de la mufique, il eft impoffible de fonder une comparaison.

En architecture, qui eft le dernier article de comparaison, propofé par M. Addison, je respecte la fupériorité des anciens. On n'a jamais égalé la magnificence du temple de Thésée, ou imité l'élégance de la lanterne de Démofthene. Et pendant que nous admirons le temple

(*) M. Harris, pere du lord Mamlsbury, ancien ambassadeur d'Angleterre en Hollande, mieux connu fous le nom du chevalier baronet James Harris.

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