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d'abord un peu cher cette étude qui occupoit fon activité. Les Anglois confifquerent fon vaiffeau, qui portoit chez eux des marchandifes prohibées. Il le réclama en vain: il perdit fon procès, & ce fut l'origine de cette haine impla cable qu'il jura aux Anglois, qui dans la fuite payerent à leur tour, & au centuple, le vaiffeau qu'ils lui avoient confisqué.

A peine la guerre étoit-elle rallumée en 1755, que les armateurs fe difputoient à qui confieroit des bâtimens au brave Thurot. Celui qu'il commanda devint bientôt un des plus redoutables de la marine marchande. Il couloit has, faifoit échouer, brâloit, enlevoit tout ce qu'il rencontroit de navires ennemis. Ainfi, dit très-bien l'hiftorien de fa vie, un feul homme alors vengeois la France; car Mahon n'étoit pas encore pris.

Le bruit de fes exploits parvint jufqu'à la cour. Le roi voulut l'avoir à fon fervice, & lui fit expédier un brevet d'officier de la marine royale. Le maréchal de Belle-Ile faifit ce moment pour lui faire donner le commandement de la corvette la Friponne: il alla croifer dans la Manche, & avec plus de moyens, il fit des prifes plus confidérables, & devint l'entretien de la cour & de la ville.

C'eft alors qu'il forma le projet hardi de braler le port & les chantiers de Portsmouth: il le propofa au miniftere; mais, foit qu'on le trouvât peu praticable, foit que la cour de Londres, comme on l'a prétendu, eût des penfionnaires parmi les commis de bureau, qui, dans notre gouvernement, ont toujours dirigé toutes les As

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L'ESPRIT DES JOURNAUX, opérations, fous le nom du miniftre qui ne fai foit que prêter fon nom à leur travail, ce projet fut rejeté. Le protecteur de Thurot le dédommagea de ce dégoût, en lui faifant obtenir le commandement d'une flotille compofée de deux frégates & de deux corvettes Cet armement fut terriblement maltraité par les vents: Thurot fut réduit plus d'une fois aux dernieres extrémités; &, de l'aveu même des gens de fon équipage, hi feul les fauva toujours, à force de réfolution & d'activité, & fur-tout en mettant lui-même la main à des manœuvres auffi périlleuses que favantes, que lui feul étoit capable de concevoir & d'exécuter, & fouvent fous le feu des ennemis. C'eft-là qu'il donna plus d'une fois une grande leçon à tous ceux de fon métier, en faifant voir à quoi lui fervoient dans l'occafion ces connoiffances nautiques qu'il ne devoit qu'à une pratique affidue & laborieufe, & qui furent le falut des vaiffeaux qu'il commandoit. On le vit réparer en peu d'heures le délabrement de la frégate le Belle-Ifle, qui, ayant perdu tous fes agrès, paroiffoit fans reffource, & n'attendoit que le moment de périr. C'étoit dans ces crifes terribles que Thurot paroiffoit plus qu'un homme, & favoit faire de tous ceux qui lui obéiffoient autant de héros.

Parvenu enfin à réparer fa petite flotte, fi long-tems & fi cruellement maltraitée par les élémens & par des ennemis qu'il trouvoit toujours très-supérieurs en force, il fit des prodiges d'au dace' qui furent admirés des Anglois. Avec fes quatre bâtimens, il attaqua une flotte de 17 pin

ques armées en guerre, dont plufieurs portoient 18 & 20 canons ; il la perça par le centre, en prit deux, & difperfa le refte. La marine marchande, dont les vaiffeaux n'ofoient plus fe montrer dans les mers du Nord, adreffa de tous côtés des plaintes à l'amirauté angloife, qui, fatiguée & humiliée qu'un feul homme, avec fi peu de force, défolât le commerce d'Angleterre, donna ordre à plufieurs vaiffeaux de guerre d'aller à fa pourfuite. Mais Thurot, auffi habile qu'entreprenant, favoit toujours leur échapper, & leur donnant fans ceffe le change, faifoit fans ceffe de nouvelles prifes.

Thurot, toujours occupé de fon projet favori, celui d'une defcente en Angleterre, ne profita de la gloire qu'il avoit acquife que pour déterminer le miniftere à se prêter à fes deffeins. Il obtint le commandement d'une petite efcadre, composée de 5 frégates, & chargée de 1200 hommes de débarquement. L'armement fe fit à Dunkerque, & la descente devoit être protégée par la flotte de M. de Conflans, & s'exécuter fur les côtes d'Irlande. Il faut voir comment un hiftorien anglois, M. Smolett, parle du projet de cette expédition, & du célebre marin qui devoit la diriger; ce font-là des témoignages qu'il est flatteur d'obtenir : ils ne fauroient être fufpects.

> On équipa à Dunkerque une petite escadre > dont le commandement fut donné au capi> taine Thurot, l'un des plus hardis corfaires » qui eût paru depuis long-tems au fervice de » France. L'année précédente, ce brave aventurier avoit déja fignalé fon courage & fon ha

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» bileté dans les mers du Nord, où il comman > doit le vaiffeau corfaire le Belle-Ifle, avec lequel

il prit un grand nombre de bâtimens ennemis, » & foutint un combat très-vif contre deux fré

gates angloifes, qui furent forcées de l'aban> donner & de fe retirer en très-mauvais état. » Le nom de Thurot étoit alors la terreur de > toute la marine marchande, qui, en rendang » justice à sa valeur dans les combats, admiroiz > fon adreffe à éviter la pourfuite des corfaires • qu'on avoit envoyés fucceffivement pour l'at

taquer dans toutes les parties de l'océan ger> manique & de la mer du nord, jusqu'aux isles Orcades. On doit encore remarquer, à l'honneur de ce grand homme, que, quoiqu'il ne für originairement qu'un marinier, privé de ✰ tous les avantages de la naiffance & de l'édu→ cation, il fe diftingua toujours par fa géné rofité, fon humanité & fa compaffion envers > ceux qui tomboient entre fes mains; & ce fut

en partie cette bonne conduite qui l'éleva à » un rang honorable dans la patrie. La cour de > Versailles reconnut fon mérite; le monarque

françois lui donna une commiffion, & le >chargea de commander le petit armement qu'on » équipoit alors à Dunkerque....... .. Auffi-tôt » que le miniftere anglois eut avis que Thurot avoit fait voile de Dunkerque avec fa petite escadre, pour faire une defcente en Ecoffe ou en Irlande, on envoya des couriers > à tous les commandans des troupes de la GrandeBretagne feptentrionale. Its eurent ordre de tenir les forts fur toute la côte du royaume

dans le meilleur état de défenfe, & d'être › prêts à repouffer les François par-tout où ils pourroient fe préfenter. Conformément aux > inftructions qu on donna à ces comunandans, on éleva des fignaux de diftance en distance, > on indiqua des quartiers & des rendez-vous aux troupes réglées & à la milice, & l'on publia des ordres pour qu'aucun officier ne ⚫ pût s'écarter de fon corps fous quelque prétexte que ce fût. Le plus grand éloge que l'on puiffe faire de ce fameux corfaire, eft de rap» porter les alarmes que fon petit armement > répandit dans une fi grande étendue de pays ⚫ d'un puiffant empire, dont les flottes couvroient > l'océan, «

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Cette expédition, qui devoit mettre le comble à la gloire de Thurot, ne le conduifit qu'à une mort honorable. D'abord la flotte de M. de Conflans fut honteufement battue en fortant du port, & devint la proie des Anglois. De plus, le miniftere de la marine commit l'impardonnable faute de féparer les pouvoirs du chef d'escadre & ceux du commandant des troupes de débarquement, comme fi dans une expédition de cette nature tous les moyens quelconques ne devoient pas éire aux ordres de celui qui la conduit, ou com. me fi l'on pouvoir commander une flotte fans commander en même tems les foldats. Cette abfurde inconféquence perdit tout. M. de Folbert, brave homme d'ailleurs, & qui fe montra bien dans l'occafion, haïffoit mortellement Thuros: là méfintelligence fe mit entre eux, & M. de Fol. bert pouffa la violence & l'abus de fon autorité

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