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Oui, nous comprenons que monseigneur Angelo est passé maître dans l'art d'enterrer les gens; et si jamais la tradition pouvait s'en perdre, il n'y aurait qu'à ouvrir les livres de M. Hugo. Malgré tout, il est impossible de prendre M. Victor Hugo pour un homme terrible, et le jour où il voudra faire un pas de plus dans la démagogie active, j'ai bien peur qu'il ne soit que le lieutenant de M. Lagrange. M. Lagrange, qui n'a pas fait Angelo, en sait pourtant plus long que lui. On a parodié pour l'auteur de Claude Gueux le mot de César on a dit qu'il aimait mieux être le premier sur la montagne que le second dans la plaine. C'est une calomnie. Mais que M. Hugo soit tranquille, il ne sera jamais le premier dans le parti qui l'applaudit, le courtise et l'exploite aujourd'hui. « Mirabeau, disait le comte Joseph » de Maistre (M. Victor Hugo nous pardonnera sans doute » le rapprochement), Mirabeau partageait avec un autre » héros de la Révolution le pouvoir d'agiter la multitude » sans avoir celui de la dominer, ce qui forme le véritable » cachet de la médiocrité dans les troubles politiques. Des » factieux moins brillants et plus habiles se servaient » de son influence à leur profit... » Cela veut-il dire que M. Victor Hugo est destiné à échouer dans cette nouvelle voie où sa destinée littéraire l'a si fatalement poussé? Je le crains. Mais échouer dans une pareille tâche, c'est après tout une moins triste fin, pour un homme tel que M. Hugo, que d'y réussir.

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Je ne sais plus dans quelle parade le célèbre auteur des Contradictions économiques, M. Proudhon, est représenté errant sur les ruines de Paris, au milieu des fondrières, dernier survivant du socialisme vainqueur et du vieux . monde bouleversé de fond en comble.

L'auteur de cette parade, d'une bouffonnerie si triste et peut-être si prophétique, semblait avoir eu, en attendant mieux, le pressentiment du livre que publie aujourd'hui M. Proudhon (1). Ce livre a une odeur de fin du monde. Il y règne un parfum de métaphores funèbres qui vous prennent à la gorge comme la fumée des flambeaux de deuil autour d'un catafalque. «Le gouvernement de Louis Bona» parte n'existe, dit M. Proudhon, que pour mettre le » scellé sur la chambre mortuaire. Laissez-le remplir sa >> fonction de croque-mort. Après la tâche horrible et sans

(1) Les Confessions d'un révolutionnaire.

» seconde de la royauté de Juillet, le devoir de la prési>>dence est de vous déposer dans votre charnier. » Grand merci, monsieur Proudhon !

M. Proudhon, avant d'enterrer la société, a longtemps cru qu'elle était malade (il ne se trompait pas), et qu'il pouvait la sauver : c'était une prétention comme une autre. Ne pouvant plus être son médecin, n'ayant pas réussi à être son banquier, M. Proudhon se fait le fossoyeur du vieux monde. Du fond de sa prison, d'où sa plume ironique et lamentable vient nous provoquer, il chante d'une voix lugubre le De profundis de la société défunte, non toutefois sans y mêler le Magnificat de sa propre gloire; car, sachezle, la société est morte, mais M. Proudhon est vivant, et c'est bien mieux que la vie, c'est l'éternité! Vivo ego in æternum!

Une confession publique était autrefois un acte d'humilité, de contrition et de repentir; aujourd'hui, c'est un péché de plus. Saint Augustin écrit l'histoire de sa conversion: M. Proudhon fait celle de son impénitence. Quand Jean-Jacques Rousseau écrit ses Confessions, il y met son orgueil, mais pour le châtier; il lâche le frein à sa nature incorrigible, mais pour l'humilier par une exposition posthume et publique. M. Proudhon n'a pas de ces calculs. S'il se confesse aux hommes, c'est pour se grandir. C'est toujours l'histoire de Diogène, l'orgueil sous le manteau. troué du philosophe, la personnalité vaniteuse sous le cilice du pénitent. M. Proudhon est de la race des Titans ; il vise au ciel (levabo ad cœlum!), mais par escalade. La voie des humbles et des simples d'esprit n'est pas la sienne. « Si le révélateur suprême se refuse à m'instruire, dit-il quelque part, je m'instruirai moi-même. » - «De ce moment, dit-il ailleurs, sans être athée, je cessai d'adorer

Dieu.

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jour à ce propos le Constitutionnel.

Il se passera fort que vous l'adoriez, me dit un Peut-être !... >> Tout l'esprit des Confessions de M. Proudhon est dans ce peutétre sans égal.

Les Confessions d'un révolutionnaire semblent avoir un double but : « J'étais, dit l'auteur, un des originaux de la » révolution démocratique et sociale; en faisant ma confes>>sion, je ferai celle de toute la démocratie... » Dans cette confession, toutefois, c'est M. Proudhon qui tiendra les verges, la démocratie tendra le dos. Nous sommes accoutumés, depuis quelque temps, à ces procédés de la pénitence publique de la part des faiseurs de Mémoires et de Confidences. Les révolutionnaires surtout n'y vont pas de main morte, dans ces opérations délicates qui consistent à soulager une conscience surabondamment chargée. J'en ai cité dans ce volume, s'il m'est permis de le rappeler, d'illustres exemples. Mais personne, jusqu'à M. Proudhon, n'avait mis plus d'entraînement et d'héroïsme à se mortifier... sur le dos de ses amis. C'est ce que j'essayerai de prouver dans la suite de cette étude.

Il y a de tout dans ce petit livre, et il y a surtout une malice de style et une verve d'ironie redoutables. M. Proudhon, voué par goût à la satire politique, est plus écrivain que philosophe, plus rhéteur qu'écrivain; mais sa rhétorique a un but. L'ironie, sous sa plume, n'est pas seulement une ressource de style; c'est tout un système. Il rit, mais pour une fin sérieuse, préméditée et profonde; il rit, non pour rire, mais pour détruire; lisez plutôt :

« Ce qui manque à notre régénération, ce n'est ni un >> Mirabeau, ni un Robespierre, ni un Bonaparte; c'est un » Voltaire. Nous ne savons rien apprécier avec le regard » d'une raison indépendante et moqueuse.... A force de

» nous prendre au sérieux nous devenons stupides. Tout » entiers à nos amours et à nos haines, nous ne rions des » autres pas plus que de nous. En perdant notre esprit, » nous avons perdu notre liberté. De même que la raison » n'a pas plutôt construit un système qu'elle travaille à » l'étendre et à le refaire, ainsi la liberté tend continuelle>>ment à convertir ses créations antérieures, à s'affranchir >> des organes qu'elle s'est donnés, et à s'en procurer de »> nouveaux dont elle se détachera comme des premiers, » et qu'elle prendra en pitié et en aversion jusqu'à ce qu'elle » les ait remplacés par d'autres. La liberté, comme la rai>> son, n'existe et ne se manifeste que par le dédain de ses » propres œuvres. C'est pourquoi l'ironie fut de tout temps... » l'instrument irrésistible du progrès. L'homme du peuple >> qui rit est mille fois plus près de la raison et de la li>> berté que l'anachorète qui prie ou le philosophe qui ar» gumente... »

Suit une invocation à l'Ironie: « Douce Ironie, viens, ma souveraine, etc., etc.. » Rions donc, puisque M. Proudhon nous y invite par de si bonnes raisons. Rions pour détruire, comme l'enfant qui casse son jouet ou qui étouffe son oiseau. Rions, puisque le rire est un si grand maître ! Le moment, il est vrai, est mal choisi. Le rire, à moins de lui donner un cours forcé, n'est plus guère de mise que parmi les réformateurs, quand ils se regardent entre eux, comme les augures de Rome. Partout ailleurs, la France ne rit guère. Essayons pourtant, non pas de rire, mais d'apprécier le rire de M. Proudhon, ce rire étrange et sinistre, qu'un incroyable désordre de l'esprit fait germer au milieu des ruines, s'épanouir dans la destruction, éclater parmi les larmes et les angoisses de l'humanité.

M. Proudhon ne se refuse aucune satisfaction de ce

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