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Mais plus de Français ! « Jusqu'à quand souffrirons» nous, » écrivait à la Convention le citoyen Ducalle (complaisamment cité par M. Eugène Süe, p. 481), « jusqu'à » quand souffrirons-nous que nous portions encore l'in>> fâme nom de Français ! Tout ce que la démence a de fai» blesse, tout ce que la turpitude a de bassesse, ne sont pas >> comparables à notre manie de nous couvrir de ce nom !... >> Souffrirez-vous, citoyens, que nous ayons fait la révolu» tion pour faire honneur de notre courage à nos ennemis » de quatorze siècles! Non, sans doute; et vous recourrez » avec moi à l'autorité de la Convention nationale, afin » qu'elle nous rende le nom de Gaulois!... etc. »

Ici nous nous permettrons d'adresser à M. Eugène Süe une simple question. A quels signes distinguera-t-on les Francs des Gaulois, si ce n'est, je le suppose, à leurs cotes de contribution et à leurs titres de propriété? M. Eugène Süe nous donne, il est vrai, le signalement d'un Franc de bonne race : « Grand, osseux, décharné, long cou, crâne pelé, grand nez en bec d'oiseau de proie, yeux écartés, ronds et perçants. » Il nous signale aussi, comme le moyen infaillible de reconnaître un Gaulois, la finesse et l'élasticité de sa taille : « A des intervalles réglés, les jeunes Gaulois >> allaient se mesurer la taille à une ceinture déposée chez » le chef de la tribu. Ceux qui dépassaient la corpulence of>> ficielle étaient sévèrement réprimandés comme oisifs et >> intempérants, et punis d'une amende (1). » Mais malgré tout, je ne me sens qu'une foi médiocre dans l'infaillibilité de ces indices. J'ignore, par exemple, pour ne parler que de M. Eugène Süe, s'il satisfait exactement aux conditions exigées d'un vrai Gaulois, s'il n'aurait rien à craindre

(1) Histoire des Gaulois, d'Amédée Thierry.

de la formidable épreuve de la ceinture d'agilité, et s'il a conservé, dans la somptueuse Thébaïde où il pratique si commodément la fraternité socialiste, la finesse de sa taille et la légèreté de ses allures d'autrefois. Je l'ignore. Où donc trouver des Francs et des Gaulois? A quels signes les reconnaître? Oh! je vais le dire. Pour la démagogie, les Francs sont partout. Partout où il y a un propriétaire, un noble, un riche, un père de famille, un industriel, un agriculteur sérieux, un fils de ses œuvres, un homme laborieux, instruit, occupé, économe, avec ou sans nez en bec d'aigle, c'est un Franc. Partout au contraire où il y a un vaurien, voué à la paresse, au libertinage, gibier de prison, orateur de club, soldat de l'émeute, souteneur de propagande anarchique, pour la démagogie c'est un Gaulois. Quant à moi, dussé-je me tromper et donner ce noble nom à des gens qui en sont indignes, en France je ne veux chercher, je ne veux voir que des Français. Cette horrible distinction entre des classes de citoyens habitant le même sol, cette affreuse guerre renouvelée de l'an 57 avant Jésus-Christ entre les conquérants et les conquis, entre les esclaves et les maîtres, croyez qu'aujourd'hui on ne songe à la renouveler qu'au bénéfice des plus détestables passions. C'est le duel entre la propriété et le vol, entre la paresse et le travail, entre l'honnêteté et la dépravation. Il n'y a plus dans notre société, creusée jusqu'au tuf par soixante ans de révolutions réformatrices, il n'y a plus d'autre antagonisme possible entre les citoyens. Gaulois et Francs! c'est le cri de la démence, de la perversité ou de la sottise. Choisissez !

Et aussi bien, nous sommes une étrange époque! Autrefois, dans un temps régulier, chez un peuple doué de quelque bon sens, il n'y aurait pas eu assez de sifflets pour

les utopies rétrospectives qui sont le fond et la broderie des Mystères du Peuple. Aujourd'hui, cette revendication de la propriété sur des conquérants morts depuis deux mille ans, cette reprise d'une hostilité plus vieille que notre histoire, cette hideuse et sotte guerre faite aux yeux gris-clair, aux nez aquilins et aux abdomens proéminents, toutes ces folies d'un fantaisiste à bout de moyens sont à la veille, si nous n'y prenons garde, d'avoir une voix dans l'Assemblée nationale, un siége dans le Parlement.

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Mais les Français de Paris y mettront bon ordre. Espérons le, et puissions-nous en finir avec l'auteur de Plick et Plock, comme candidat, comme homme politique et même, à moins qu'il ne s'amende, comme romancier !

II

M. Victor Hugo.

(16 JUIN 1850.)

M. Victor Hugo est aujourd'hui le principal orateur, si ce n'est le chef du parti ultra-démocratique dans l'Assemblée nationale.

J'espère démontrer, dans la suite de cette étude, comment l'examen des causes qui ont amené cette situation politique pour M. Victor Hugo est une question d'art et de critique littéraire. Pour le moment, je tiens seulement à constater un fait par son talent et sa renommée, par l'élévation de son rang, comme académicien, comme pair de France sous le dernier règne, comme représentant du peuple, M. Victor Hugo est aujourd'hui le premier démagogue de France, peut-être d'Europe, j'entends celui qui est le plus en vue, celui dont la voix porte le plus loin, qui réunit avec la supériorité la moins contestable les deux qualités principales de l'éloquence démagogique, l'éclat et la sonorité. Quant à son importance dans le parti, M. Victor Hugo, j'en ai bien peur, est un de ces orateurs qui ne deviennent jamais ministres, un de ces généraux qui ne sont jamais rois. Mais n'anticipons pas.

Quand nous sommes amené, par la force des choses et le malheur des temps, à traiter, à propos d'un écrivain si célèbre, une si délicate question d'art et d'histoire contem

poraine, M. Victor Hugo ne doit s'en prendre qu'à lui-même de la liberté que nous nous permettons, car il nous a donné l'exemple. Il a attaqué, nous nous défendons. Contre nous, j'entends contre nos amis, contre nos idées, contre notre parti dont il était l'élu, il a emprunté toutes les armes que fournit l'esprit de faction. Contre lui, nous gardons les nôtres. A la guerre ouverte, nous opposons la critique loyale. M. Victor Hugo a passé dans les rangs ennemis avec accompagnement de fanfares. Nous restons sous notre drapeau qui fut le sien, caché dans son ombre, humble défenseur d'une sainte cause, celle de la sociabilité française, où l'admirable supériorité des chefs ne laisse que le mérite du dévouement aux simples soldats.

Il y a bien des routes qui mènent à la démagogie. Il y a bien des portes ouvertes sur la limite qui sépare le libéralisme intelligent et modéré du radicalisme aveugle et turbulent, l'esprit de progrès et l'esprit de démolition. La démagogie est comme le palais de ce roi des ombres que décrit Virgile:

Mille chemins ouverts y conduisent toujours.

On y entre par ambition, convoitise et perversité. On y entre par le royalisme, témoin Marat; par les coulisses, comme Collot d'Herbois; par le roman, comme M. Eugène Süe; par l'Evangile, comme M. Lamennais. On y entre par exagération, intempérance ou orgueil d'esprit, par faiblesse ou par sottise. On peut choisir.

Dira-t-on que M. Hugo s'est fait démagogue par ambition? Jusqu'à ces derniers temps l'auteur des Orientales était resté homme de lettres et poëte, pas autre chose. Personne ne s'était aperçu, même à la tribune de la Chambre des Pairs, qu'il y eût en lui l'étoffe ou même la prétention

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