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» taigne, s'arreste à veoir l'ennemy à sa mercy : mais la » pusillanimité, pour dire qu'elle est aussi de la feste, » n'ayant pu se mesler à ce premier roole, prend pour sa » part le second, du massacre et du sang. Les meurtres » des victoires s'exercent ordinairement par le peuple et >> par les officiers du bagage; et ce qui faict veoir tant de >> cruautés inouïes aux guerres populaires, c'est que cette » canaille de vulgaire s'aguerrit et se gendarme à s'ensan» glanter jusques aux coudes, et deschiquetter un corps à » ses pieds, n'ayant ressentiment d'aultre vaillance, comme >> les chiens couards, qui deschirent en la maison et mor» dent les peaux des bestes sauvages, qu'ils n'ont osé at» taquer aux champs... (1) »

Camille Desmoulins était un de ces hommes que le déclassement de leur destinée livre infailliblement au désordre et pousse quelquefois jusqu'au crime. C'était une âme particulièrement faible, un caractère d'une mollesse singulière avec un cerveau ardent, une imagination emportée avec une tournure d'esprit ingénieuse et raffinée, un goût d'érudition et de citation puéril, le souci de la phrase et du trait; plus pédant que méchant, plus académique que démocrate; révolutionnaire par entraînement de rhétorique plus que d'opinion, plus tapageur que passionné, avec une veine de bon sens français pourtant, une industrie de style et une science du relief et du fini qui eût assuré, dans tous les temps, aux productions de sa plume l'attention des érudits, l'engouement des amateurs et le suffrage des meilleurs salons. Camille Desmoulins est le seul écrivain démagogue (avec M. Proudhon peut-être) qui procède d'une certaine tradition de l'esprit français, et se rattache par

(1) Montaigne, Essais, liv. II, chap. XXVII.

quelque côté à cette famille de satiriques qui, de la Ménipée, aboutit à Paul-Louis Couriér, en touchant peutêtre et par instants à Bussy-Rabutin et à Saint-Evremond. Il est bien, comme dit M. Thiers, « l'écrivain le plus re» marquable de la révolution, un des plus spirituels » (mais non des plus naïfs) de notre langue. Il a toute la verve et toute l'audace des meilleurs pamphlets. Il a tout le trait des plus classiques railleries. Il lui manque la décence, l'honnêteté et l'autorité. Le Vieux Cordelier lui-même, ce cri tardif et suprême de son épouvante et de sa pitié, le Vieux Cordelier n'a que la valeur de l'esprit qui l'a inspiré. L'autorité de l'homme y manque ; mais j'y reviendrai.

Tel était Camille Desmoulins. La nature l'avait jeté dans un de ces moules d'où ne sont jamais sortis les hommes prédestinés à la fondation ou au gouvernement des empires. C'était un artiste, un lettré, rien de plus, et c'était beaucoup s'il eût voulu s'y tenir; un de ces artistes qui brûlent Rome pour jouir d'un spectacle, un de ces lettrés capables de poursuivre jusque sous les ruines d'un trône et jusque dans le sang d'un roi, comme il l'a prouvé, le triomphe d'une période, le succès d'un mot. On sait que Camille Desmoulins, dans le procès de Louis XVI, s'était fait inscrire au nombre des orateurs qui devaient parler contre l'appel au peuple; voici les conclusions qu'il avait préparées et qui résumaient son discours :

<< La Convention nationale déclare que Louis a mérité la mort;

» Elle décrète qu'à cet effet il sera dressé un échafaud sur la place du Carrousel, où Louis sera conduit ayant un écriteau avec ces mots devant : Parjure et traître envers la nation! et derrière : Roi! afin de montrer à tous les peuples

que l'asservissement des nations ne saurait prescrire contre elles le crime de la royauté par un laps de temps, même de quinze ans ;

» Décrète, en outre, que le caveau des rois à Saint-Denis sera désormais la sépulture des brigands, des assassins et des traîtres, etc., etc. >>

Dites, ne sentez-vous pas dans l'arrangement pénible de cette période meurtrière l'effort du bel esprit singeant le bourreau ? L'impuissance politique du lettré se trahit dans sa fureur.

Ce serait ici le lieu peut-être de dire un mot de la vie de Camille Desmoulins, si elle n'était si connue. Il était né à Guise en 1760. Il avait donc trente ans quand la révolution commença. Autrefois brillant élève du collège Louis le Grand, il était alors un avocat obscur au parlement de Paris. C'est qu'il était né avec une vocation de lettré. Il voulut y substituer une destinée politique, et il consacra à cette prétention une plume qui y résistait et un esprit qui n'en fut jamais sincèrement complice. Son esprit valait mieux que sa prétention. Un échec électoral qu'il essuya à Laon lui fit prendre en mépris ses compatriotes, et il ne parla jamais de Guise, sa ville natale, qu'avee des termes de rancune et de dédain. « La vésicule des gens de Guise va bien se gonfler contre moi, » écrivait-il au moment où les vainqueurs du 10 août escomptaient déjà par la curée des places leur funeste victoire. Il logeait à la chancellerie, et il conseillait Danton. C'est le seul emploi public qu'il ait exercé; il ne fit qu'y passer et fut nommé député à la Convention nationale par la protection de Marat. Mais pendant les trois ans qui avaient précédé, il avait subi, en s'acharnant à la poursuite de cette importance politique où visait son ambition, toutes sortes de fortunes: copiste

de Mirabeau et son séide (1) pour commencer, accusé (injustement, je crois) de vénalité et de corruption par argent, mêlé à toutes les tentatives de désordre, non pas en enthousiaste qui s'y laisse emporter, mais (on le voit de reste dans la curieuse correspondance recueillie par M. Matton, de Vervins) en ambitieux qui les exploite; faisant la théorie de l'émeute avant qu'elle éclate, et son apologie quand elle est passée; tour à tour pamphlétaire et journaliste, poursuivi pour ses calomnies ou exalté pour son impudence, mais tenant grand compte, dans la plus vive explosion de sa plume, de ce qu'elle rapporte à son ménage, car il vit du fiel qui en dégoutte. Un mariage, qui pouvait passer pour riche dans une telle détresse des affaires publiques et privées, semble l'arracher un moment à cette vie convulsive et famélique, et c'est alors qu'il écrit à son père cette lettre où l'esprit de calcul se mêle, comme dans la fameuse scène de madame Argan, et d'une façon si comique, au sentiment:

.....

Jamais je n'ai vu de spectacle aussi ravissant (que Lucile, sa future), et je n'aurais pas imaginé que la nature et la sensibilité pussent réunir à ce point ces deux contrastes. Son père m'a dit qu'il ne différait plus de nous marier que parce qu'il voulait me donner auparavant les 100,000 fr. qu'il a promis à sa fille, et que je pouvais venir avec lui chez le notaire quand je voudrais. Je lui ai rẻpondu : Vous êtes un capitaliste, vous avez remué de l'espèce pendant toute votre vie, je ne me mêle point du contrat, et tant d'argent m'embarrasserait; vous aimez trop votre fille

(1) Voir la déposition du sieur Pelletier, négociant à Paris, rue Neuve des Petits-Champs, dans la procédure criminelle instruite au Châtelet sur la dénonciation des fuits arrivés à Versailles dans la journée du 6 octobre 1789. (Réimpression du Moniteur, t. II, p. 523.)

pour que je stipule pour elle... Il me donne en outre la moitié de sa vaisselle d'argent, qui monte à 10,000 fr.... Envoyez-moi poste pour poste votre consentement et celui de ma mère; faites diligence à Laon pour les dispenses, et qu'il n'y ait qu'une seule publication de bans à Guise comme à Paris. Nous pourrons bien nous marier dans huit jours... >>

Mais ce mariage l'enrichit sans l'assouvir, le range sans le calmer; et nous le retrouvons bientôt rendu à ses habitudes un jour, mêlé, sans s'y compromettre, à l'émeute du Champ-de-Mars; un autre jour, le 8 septembre 1791, pétitionnant, en séance publique de l'Assemblée nationale, contre le directoire du département, qui l'a rayé de la liste électorale; une autre'fois, déclamant aux Jacobins en style d'énergumène contre le veto royal; plus tard, rentré au barreau, il donne, en défendant un escroc, fileur de cartes, dans un procès privé, la mesure de la moralité et de la décence qu'il est capable d'apporter dans la discussion des affaires publiques. Mais ici encore ce n'est rien de raconter, il faut citer. Après une courte discussion de droit, Camille ajoutait :

« ....

Si, lorsque nos ancêtres n'étaient pas corrompus; si, lorsque Tacite les proposait aux Romains comme des modèles de vertus, c'est une vérité historique et incontestable que, dans les forêts de la Gaule et de la Germanie, nos pères jouaient, au Trente-et-un et même au Biribi, leur liberté individuelle; si ces hommes qui avaient la servitude en horreur mettaient pourtant dans un cornet le bonnet de la liberté et se faisaient esclaves, tant ils étaient, disent les historiens, observateurs religieux de leur parole et gens d'honneur, est-il si étrange que cette passion pour les jeux de hasard se soit perpétuée de nos jours et se soit renou

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