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NAPOLÉON III ET VICTOR HUGO

Victor Hugo fut un grand poète. Napoléon III aussi. C'est d'ailleurs pour cela qu'ils ont fait, l'un et l'autre, tant de bêtises à côté de tant de belles choses. Pousser jusqu'au bout ce parallèle à la Plutarque, serait, sans mentir, fort intéressant ; mais il n'y faudrait rien de moins que l'imagination indomptable et la robuste suffisance de M. Jean de Pierrefeu. Mes ambitions ne visent pas si haut. Elles se bornent à résoudre avec vous, ce soir, un tout petit problème, que j'ose à peine dire historique. Il peut s'énoncer ainsi :

Pendant tout le règne de Louis-Philippe, pendant tout le cours éphémère et fulgurant de la République Deuxième, Hugo a fait tout ce qu'il a pu pour rendre d'un plus facile accès au prince Louis-Napoléon Bonaparte les marches du trône impérial, en célébrant, en exaltant par des strophes magnifiques et semeuses d'enthousiasme, par des discours grandiloquents et des pages enflammées, le bâtisseur de la Colonne, l'Aigle d'Egypte et de Moscou, le Captif de Sainte-Hélène, l'Oncle dont le souvenir, ainsi renouvelé et transfiguré sans cesse, devait valoir au neveu tant de voix lors des plébiscites. Après quoi, le neveu à peine élu et couronné et pendant les dix-huit années du règne, le même Hugo, par un renversement soudain de toutes les convictions, de tous les sentiments politiques, religieux, sociaux qu'il avait affichés, proclamés, claironnés en cent occasions et de cent façons diverses dans ses livres, dans les journaux, sur le théâtre et à la tribune, s'acharne avec la même fougue, dans la même prodigalité et la même magnificence de métaphores et d'antithèses,

à défaire tout ce qu'il a fait, à jeter bas celui qu'il a élevé, à saper le trône par la base, à hisser vers le pouvoir, en leur faisant une formidable réclame, les gens et les idées qui triompheront après. Peut-être n'a-t-il pas hâté la chute; mais, très probablement, il a contribué à rendre plus complet, plus définitif le lâchage immédiat et total dont elle fut accompagnée et qui la rendit irrémédiable.

Pourquoi cette étrange et subite volte-face? Comment l'a-t-il opérée ? Quelles furent la suite et la fin de cette étonnante péripétie ? C'est ce que nous allons voir.

I

Si l'on demande : « Pourquoi Victor Hugo a-t-il ainsi, tout d'un coup, tourné casaque ? » Répondez: « C'est à cause de Lamartine »><.

Si tu veux, faisons un rêve.....

Il en a fait un, le malheureux ! Et c'est d'éclipser tous ses contemporains, sans parler des grands hommes d'autrefois et de ceux de l'avenir. Il ne dédaigne pas de rivaliser avec des talents du second ordre le succès d'Eugène Suë, avec ses Mystères de Paris, lui fera tout aussitôt composer Les Misérables, et celui de Leconte de l'Isle nous vaudra La Légende des siècles; mais il en a surtout aux plus grands, Chateaubriand et Lamartine. Ils ont joué un rôle politique: il faut qu'il en joue un. Leur rôle a été considérable : il faut que le sien soit gigantesque.

La pairie, à laquelle il est élevé le 13 avril 1845, le met en appétit. I guigne, dès lors, un portefeuille. Ministre cela lui manque pour inscrire son nom dans l'histoire, comme dans la littérature, à côté, au-dessus du nom de Chateaubriand. Ministre et pair de France: voilà ce qu'il lui faut pour écraser à tout jamais ce pauvre songe-creux de Lamartine, simple député de

Mâcon, bel orateur, mais mal en cour, politicien sans avenir.

Aussi Victor Hugo est-il, à cette époque, plus royaliste que Louis-Philippe; et, le 24 février 1848, apprenant l'abdication subite du roi en faveur du comte de Paris sous la régence de la reine, aux acclamations de la Chambre, il se précipite dans la rue, court à la place de la Bastille, voisine de chez lui, escalade le socle de la colonne de Juillet et, proclamant au milieu d'une foule énorme le nouveau régime, s'efforce de le faire acclamer.

Olympio croyait ainsi escalader pour le moins l'Olympe et devenir l'homme nécessaire, Il n'avait saisi qu'une épave le torrent de l'émeute la lui arracha en un instant. Le soir de ce jour où il s'était flatté d'être tout, il n'était plus rien, « plus rien qu'académicien ». Avec le trône, la pairie s'était envolée. Pour comble, l'homme du jour, l'homme nécessaire, celui qui était qui était tout, c'était... Lamartine,

Lamartine, par sa prestigieuse éloquence, lançait et retenait à son gré la foule ameutée; lui faisait décréter un gouvernement provisoire et répudier le drapeau rouge; fondait, gouvernait, transfigurait la République, née de l'insurrection; domptait le socialisme furieux ; rassurait les populations paisibles et, pendant trois mois, dans tout l'éclat d'une popularité sans exemple, parlait à la France at à l'Europe enthousiasmées comme le maître de l'heure et le sauveur de l'ordre au moment d'un morte péril. Dix départements, deux millions trois cent mille suffrages, l'élisaient à l'Assemblée nationale; et l'Assemblée ellemême, quand il descendait de la tribune après avoir rendu compte de ses actes, se levait tout entière devant lui et l'acclamait dans une ovation frénétique qui semblait ne pouvoir finir,

deux

Pendant ce temps là, Hugo recueillait péniblement cinquante neuf mille suffrages dans la capitale, cent mille seulement de moins que Lamartine ! Il était blackboulé et ne passait, peu après, aux élections complé

mentaires, que le septième sur la liste du Constitutionnel, avec quatre-vingt-sept mille voix. Le huitième élu était Louis-Bonaparte, à trois mille voix de moins.

Touchant voisinage! Humble et fraternel commencement de deux carrières politiques étroitement associées! Car Hugo, n'attendant plus rien de Louis-Philippe, et voyant la République encombrée par Lamartine, est, pour lors, véhémentement bonapartiste. Son journal, L'Evénement qu'il vient de fonder, mitraille sans répit ni pitié les républicains de ses articles; et à mesure que monte sur l'horizon l'étoile napoléonienne, il entre dans des transports de plus en plus lyriques pour saluer et hâter encore son ascension.

Le neveu, pour lui, c'est l'Oncle qui revient de SainteHélène. « Celui que le peuple vient de nommer représentant », lit-on le 25 septembre, dans les colonnes de la feuille que Victor Hugo inspire et dans un style qui affiche cette inspiration, « c'est le vainqueur d'Iéna, c'est le héros d'Arcole, c'est l'homme de l'apothéose et du succès... Sa candidature date d'Austerlitz ». Et peu après : « Ce nom, Napoléon » quel que soit l'homme qui le porte, veut dire tant de choses !... Il veut dire : Souvenirs. Il veut dire aussi Espérances... Ce nom ne peut pas se rapetisser. La Providence se doit à elle-même d'en sauvegarder la gloire. Ce n'est pas seulement M. Louis Bonaparte qui est engagé à le conserver grand: c'est Dieu !... A notre avis, quand M. Bonaparte ne serait qu'un nom, la France ferait bien encore de se déclarer pour ce nom immense; mais nous prouverons sans peine que sous ce nom de Napoléon, il y a aujourd'hui un homme; que derrière l'Idole, il y a l'Idée. »

Ainsi parle presque chaque jour, dans les derniers mois de 1848, le journal l'Événement. Les visées d'Hugo sont claires l'ancien pair du royaume entend devenir ministre de l'Empire. Il a manqué son coup le 24 février, soit : c'est Lamartine qui a eu le portefeuille, et la popularité, et la gloire. Aux journées de juin, il n'y a rien eu à tenter :

c'est Cavaignac qui a pris le pouvoir, en sa qualité de général ministre de la guerre, sous le couvert de l'état de siège; soit encore. Mais Victor Hugo ne manquera pas sa revanche. L'heure du plébiscite approche il travaille pour que le plébiscite jette à bas Cavaignac et fasse de la République de Cavaignac et de Lamartine, la République de Napoléon et de Victor Hugo. Ces deux noms vont si bien ensemble !

Cette fois, le poète avait eu du nez. Comme disait Ernest Bersot : « L'Aigle de Boulogne s'abat sur l'Assemblée Nationale. M. Hugo monte sur l'Aigle et pousse droit au soleil levant. Bon voyage, ô génie ! »

-

Le voyage commença bien. Il fit, le jour de l'élection présidentielle, un temps d'Austerlitz, comme la candidature; et l'Événement, ou son génie, trouva pour le noter ce mot impayable: << Le soleil se souvient que Napoléon l'a illustré ». Louis Bonaparte élu, Cavaignac détrôné, l'auteur de Napoléon II entra dans toute la jubilation d'un ministrable qui voit venir à lui, d'un vol assuré, le portefeuille de ses rêves.

De fait, le Prince-Président ne demandait pas mieux que de récompenser par là ses bruyants mais réels services. Il lui destinait l'Instruction publique ; seulement, dès qu'il en parlait, c'était un tollé général tous les autres membres du Cabinet refusaient absolument et unanimement d'accepter un si encombrant collègue. Hugo le savait et, comptant que la volonté présidentielle l'emporterait à la fin, il demeurait provisoirement bonapartiste sans portefeuille et votait régulièrement avec la droite, à moins que, par exception, et pour complaire au Prince, il ne fallut voter avec la gauche.

Tel fut le cas lors des interpellations sur la Question romaine et dans la séance fameuse où le poète monta à la tribune pour faire, au bruit des applaudissements, l'apologie de la lettre à Edgar Ney, dans laquelle le président affichait la prétention de proposer, voire d'imposer à Pie IX, au nom de la République française, un pro

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