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Une opération de haute police à Angers

(Janvier-Février 1799)

Le plus efficace moyen de toute bonne police, c'est l'espionnage. En cet art, les hommes du Directoire n'avaient rien à apprendre. A cette époque, en effet, l'espionnage, la délation, la trahison étaient élevés à la hauteur d'un principe de gouvernement et les espions, délateurs et traîtres étaient innombrables.

Les chouans, les plus redoutables ennemis de la Révolution, qui se tenaient à peu près tranquilles depuis la pacification de Hoche en 1796, recommencèrent, au mois de janvier 1799, à aller, venir, s'agiter, se concerter. Ils demeuraient introuvables, encore que souvent leur audace se manifestât par des traits imprévus. Ils vivaient dans les bois, dans les cavernes, chez des paysans, toujours sur le qui-vive. Comme ils se dérobaient à toutes les recherches, on tâcha de trouver des individus qui consentiraient à se livrer à l'espionnage, à surprendre leur secret et à rendre compte au Gouvernement.

Des circonstances examinées et observées avec soin, le commissaire du Directoire Exécutif près l'administration centrale de Maine-et-Loire et le commandant du département tirèrent l'idée du stratagème auquel nous allons les voir recourir.

I. ARRESTATION DU « CHEVALIER DE SOTONNEAU »

A la fin du Directoire, il y avait trois journaux à Angers: Le Journal du Département de Maine-et-Loire, publié par

l'administration centrale du département, L'Ami de la Liberté, appartenant à l'imprimeur-libraire Jahyer, et les Affiches d'Angers, rédigées par l'imprimeur Mame.

Le 25 janvier 1799, ces trois journaux publiaient une lettre adressée, la veille, par le capitaine Belville, commandant la gendarmerie nationale du département, au citoyen Moreau, commissaire du Directoire près l'administration centrale de Maine-et-Loire (remplacé aujourd'hui par le préfet) :

<< Aussitôt la réception de votre lettre du 3 pluviose (22 janvier), j'ai donné l'ordre aux brigades de Segré, Pouancé, Candé et Bouillé-Ménard de se trouver le 7 pluviose (26 janvier), à sept heures du soir, dans un lieu que je leur indiquais. Je partis moi-même pour reconnaître la maison que vous m'aviez désignée. Tous les préparatifs étaient faits et mes dispositions prises, lorsque j'ai reçu, le 4 pluviose (23 janvier), votre lettre du même jour par une ordonnance. Elle ne me laissait pas le choix des moyens; la célérité que vous me recommandiez, l'annonce que vous me faisiez que l'individu avait changé de retraite et que j'eusse à l'arrêter sur-le-champ dans le nouveau lieu que vous m'indiquiez, et qu'il devait nécessairement quitter, me força de requérir du cantonnement le plus voisin, une dizaine d'hommes. Il était bien temps. Si j'avais retardé de quelques moments, nous ne le tenions pas. Car, à peine la maison était cernée que nous le vîmes sortir. Je m'élançai de suite pour le saisir, mais, sans se déconcerter et du plus grand sang-froid, il déchargea un fusil à deux coups dont il était armé. Ses balles atteignirent deux militaires qui étaient à mes côtés. Son fusil ne lui étant plus utile, il le lança au milieu de nous et se mit en devoir de faire usage de ses pistolets. Nous étant précipités sur lui, nous parvînmes à l'en désarmer. Je dois des éloges aux braves militaires qui m'accompagnaient. Les deux qui ont été blessés, ne le sont pas dangereusement. J'ai admiré leur modération. Je leur avais recommandé de le prendre vivant. Ils ont préféré supporter son

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feu sans riposter, plutôt que de violer l'ordre que je leur avais donné. Je n'ai jamais vu une aussi vigoureuse résistance. Ce n'est sûrement pas son coup d'essai. Il paraît, d'après les papiers que j'ai trouvés sur lui et que vous trouverez ci-joints, que c'est un ex-noble émigré, nouvelment débarqué, nommé Joseph-Charles de Sotonneau. Quoique presque tous les papiers dont il était porteur soient écrits dans un style mystérieux, il est cependant facile de reconnaître, par un brevet délivré au nom de Louis XVIII, qu'il avait été choisi pour organiser de nouvelles bandes dans le département de Maine-et-Loire. Sa bravoure, son incroyable audace le rendaient parfaitement propre à jouer, avec le plus grand succès, le rôle de chef de parti. Cette arrestation ne contribuera pas peu à prévenir de nouveaux troubles, qui n'auraient pas tardé à se manifester dans l'arrondissement de Segré. Je regrette de n'avoir pas pu arrêter son compagnon, qui paraît un guide connaissant parfaitement le pays. »

Cette lettre, quelque peu emphatique, avait pour but de donner de l'importance au personnage capturé. Chose étonnante, malgré la multiplicité des détails, elle n'indiquait pas le lieu où cette arrestation si mouvementée avait été opérée...

Le prisonnier fut interné à la Rossignolerie (1), et, le 31 janvier, les Affiches d'Angers parlaient encore de lui : « On assure que l'individu connu sous le nom de Sotonneau, arrêté il y a quelques jours à la suite de la mort du juge de paix de Grez-Neuville, est émigré du département de l'Ain. Au moment de son arrestation, il portait un chapeau rond, une carmagnole verte avec collet et parements noirs et boutons ronds. Cette ordonnance est sem

(1) Sous le Directoire, il y avait deux prisons à Angers pour les hommes la Maison de Justice, située place des Halles, qui servait aux condamnés de la Rossignolerie (aujourd'hui Lycée), qui était la maison d'arrêt et de correction civile et militaire. On estimait que cette dernière pouvait contenir 300 individus.

blable à celle que portaient les ex-chouans du côté de Candé. »

Un coup de théâtre ne devait pas tarder à se produire : le chevalier de Sotonneau, sur lequel on avait attiré l'attention publique d'une façon si extraordinaire, s'évada de la Rossignolerie le 7 février, après quinze jours au plus de détention!

II. EVASION DU PRISONNIER

En effet, le matin du 8 février, le citoyen Morainville, commissaire du Directoire Exécutif près l'administration municipale d'Angers, mandait à son chef hiérarchique, le citoyen Moreau, commissaire du Directoire près l'administration centrale de Maine-et-Loire : « Je ne doute pas que vous ne soyez instruit de l'événement fâcheux qui a eu lieu, hier soir, à la Rossignolerie. Quatre scélérats, dont un Sotonneau, se sont échappés. Une pareille évasion ne peut avoir eu lieu sans complices. Si le concierge n'y est pour rien, ce que je voudrais me persuader, sa femme qui, depuis longtemps, passe pour avoir des intelligences dans des maisons mal famées, peut-elle bien être regardée comme n'y ayant aucune part? Une garde composée de gens qui ne font leur service que par besoin et dont le civisme est peu connu, peut-elle être regardée comme un poste sur lequel on peut se reposer avec assurance ? » Nouvelle lettre, le lendemain: « Pendant la nuit dernière, les commissaires de police ont inutilement surveillé l'évasion de Sotonneau et de sa clique. Plusieurs pensent que ces individus, se sauvant par les derrières du Mail, auront traversé la route de Paris entre Eventard et Pellouailles, et auront ainsi gagné le port de Pont (Villevêque), où ayant passé la rivière, ils auraient traversé le pays de Tiercé, auraient passé à Cheffes, d'où ils n'auraient point eu de peine à aborder l'ancien district de Château-Gontier, où ils se seront trouvés comme en sûreté. » (L 228).

De son côté, le citoyen Moreau écrivait, le 8 février, à son collègue près l'administration centrale de la Sarthe : « Aujourd'hui, à une heure après minuit, on est venu me prévenir que les nommés Delaunay et Chapelle, que vous aviez fait transférer de vos prisons dans celle de la Rossignolerie à Angers (1), se sont évadés hier, entre huit heures et neuf heures du soir, avec un nommé La Gelinière, du département de la Mayenne, et un émigré nommé Sotonneau, que j'étais parvenu à faire prendre les premiers jours de pluviôse. C'est sans doute ce dernier qui a formé ce projet, dont l'exécution sera peut-être fatale à la tranquillité de nos contrées, et qu'il ne pouvait exécuter sans le concours de plusieurs personnes. Car les mesures les plus scrupuleuses étaient prises pour la sûreté des détenus, et, pour se sauver, ils ont été obligés de descendre par la croisée d'un troisième étage fort élevé, de franchir des toits et les murs de séparation de deux cours pour gagner une rue. La force armée et la gendarmerie ont été de suite mises sur pied avec les signalements de ces quatre individus, qui vont être transmis dans toutes les parties du département de Maine-et-Loire. Je m'empresse de Vous donner avis de cet événement malheureux, afin que vous preniez toutes les mesures que vous croirez convenables en pareille circonstance. » Le lendemain, Moreau faisait passer à son collègue du Mans les signalements des quatre prisonniers évadés, et ajoutait : « Je présume qu'ils ont pu gagner le département de la Sarthe en sortant de celui de Maine-et-Loire, par les cantons de Châteauneuf, Morannes ou Durtal. Comme ce fatal événement peut beaucoup influer sur la situation politique de nos contrées, je vous prie de me participer de tous les renseignements que vous pourrez obtenir à cet égard. Comptez, de mon côté, sur une exacte réciprocité. » (L 190.)

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(1) Chapelle, arrêté au Mans le 22 novembre 1797, et Delaunay, arrêté dans la même ville le 24 décembre suivant, avaient été transférés à la Rossignolerie, le 11 novembre 1798.

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