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M. Bodinier partit avec le 29° régiment de mobiles, où il remplissait les fonctions de lieutenant au 1r bataillon. On le vit, à l'armée de la Loire, en ce rude hiver de 1870-71, se distinguer par sa vaillance aux combats de Cercoftes, d'Orléans et de Sologne, à côté d'un ami qui était l'émule de sa bravoure et qui devait être un jour son collègue au Parlement, M. le comte de Blois.

Envoyé à l'armée de l'Est, sous le commandement du général Bourbaki, il fit preuve d'un si beau courage qu'il mérita d'être élevé au grade de capitaine adjudant-major.

Avec un peu de vanité, et pas beaucoup d'intrigue, l'ancien capitaine, devenu sénateur, président du Conseil général, etc..., aurait sans doute pu arborer à sa boutonnière une brochette de décorations. Nous n'y avons jamais vu que le ruban des combattants de 1870, noir et vert, en signe de deuil et d'espérance ; car ces vieux soldats, trahis par le destin et écrasés par le nombre, mais ayant sauvé l'honneur, n'avaient jamais désespéré de la revanche. En 1877, M. Bodinier avait publié, en collaboration avec M. l'abbé Brisset, aumônier de l'ambulance régimentaire, un récit illustré par M. de Villebresme, de cette campagne du 29 régiment de mobiles. Il y rend, en s'oubliant lui-même, un hommage mérité au courage malheureux et termine ainsi sa petite introduction:

« Si nous n'avons pu relever la fortune du pays, la faute n'en est pas à nous. D'autres se lèveront un jour pour recommencer la lutte; ils ne montreront ni plus de dévouement, ni plus d'abnégation. Qu'ils soient du moins plus heureux. C'est notre plus ardent, notre plus persévérant désir. »

Le jour vint de cette revanche si ardemment souhaitée par la génération de M. Bodinier; mais à quel prix a-t-il fallu l'acheter!

Quarante-trois ans s'étaient écoulés depuis que l'an

cien capitaine de mobiles était rentré dans ses foyers, quand une nouvelle ruée des mêmes barbares se précipita sur la « douce, France », qu'ils croyaient, en quelques semaines, pouvoir tenir à leur merci. Et comme ces quarante-trois ans avaient été employés par une race de proie à renforcer ses moyens de destruction, comme toute la science allemande avait été mise au service de sa haine, la guerre de 1914-1919 dépassa en horreur tout ce que l'histoire a enregistré de plus épouvantable parmi les cataclysmes imputables aux hommes.

Ce fut un rude coup pour le cœur du vieux patriote. Ses deux gendres, et celui qui bientôt devait être le troisième, étaient engagés dans l'interminable et terrible mêlée. Le courage qu'ils y déployèrent constamment. fut d'ailleurs pour l'ancien officier de 70 un sujet de légitime fierté. Mais que d'angoisses pour le cœur si tendre du chef de famille ! Que dis-je ? est-ce qu'à certains jours sombres, le sort même de la Patrie en danger ne le tourmenta pas plus cruellement encore? Et cependant il fallait tenir, à l'arrière comme au front. Et l'on vit ce grand citoyen, presque septuagénaire, se prodiguer dans toutes les organisations, publiques ou privées, d'assistance aux victimes de la guerre blessés, réfugiés, tuberculeux...; prêtant son haut appui moral au crédit même de la France qui demandait au paysan parcimonieux de sacrifier jusqu'à son dernier louis d'or; en un mot, faisant partout figure de chef, et donnant à tous la grande leçon de l'exemple d'un dévouement de tous les instants aux intérêts sacrés de la Patrie :

Tum pietate gravem ac meritis, si forte virum quem conspexere, fidem prestant.

Mais il ne suffit pas d'avoir l'âme vaillante; il y a des secousses si profondes et si prolongées que l'orga

nisme humain, surtout à un certain âge, ne peut pas impunément les supporter.

Ah! ce fut un beau jour que celui où l'ancien vaincu de 1870 entra dans Strasbourg à la suite de nos troupes victorieuses, le 8 décembre 1918 ! Il écrivit alors à ses enfants des lettres enthousiastes, toutes vibrantes d'émotion patriotique; et déjà il se promettait de revenir bientôt en Alsace, pour y accomplir, à la tête du Conseil général de Maine-et-Loire, la promesse faite par un de ses prédécesseurs, M. le comte de Maillé, en rapportant à Obernai le cœur de Mr Freppel, conformément au désir suprême exprimé par l'illustre évêque mourant.

Cette grandiose manifestation angevine dut, pour diverses raisons, être ajournée jusqu'à l'été de l'année 1921; et, dès le printemps, le 20 mai, M. Bodinier était touché à mort. Son vieux cœur, comme il disait, avait été soumis à de trop rudes épreuves, d'autant plus rudes en effet qu'il était moins égoïste.

Ses amis, si nombreux, voulurent encore quelque temps se faire illusion; et la vaillance du malade dans sa lutte contre la souffrance, les y encourageait. Jusqu'à ses derniers jours, j'en fus le témoin édifié, - les intérêts de notre société furent sa préoccupation constante.

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Enfin, le 14 septembre 1922, Dieu rappela à Lui son fidèle serviteur, lui ayant épargné la décrépitude de la vieillesse, et donné cette consolation suprême de voir le grand triomphe de sa patrie vengée.

J'ai dit, avec toute la portée qu'un chrétien attache à cette formule: Dieu le rappela à Lui. Le portrait que j'ai esquissé de notre cher Président serait en effet bien incomplet si je ne faisais une discrète allusion à ses sentiments religieux. Il plaignait ceux que ne préoccupe pas le problème de la destinée humaine ; il était plein de sympathie pour ceux qui en sont tourmentés, sans avoir encore réussi à le résoudre. Pour

lui, ayant etudié et raisonne sa Foi, ayant constaté qu'elle lui donnait une lumineuse explication de toutes les grandes questions dignes de préoccuper un esprit élevé, il y conforma sa vie pratique, intégralement, n'étant pas homme à faire à moitié les choses sérieuses.

Sur ce terrain, moins que sur aucun autre, il n'entendait d'ailleurs faire la leçon à personne; et si, à raison de ses dignités nombreuses, il fut souvent appelé à monter jusque dans le haut du Temple, ce fut toujours avec l'humilité du publicain qu'il y pria. Une si belle matière mériterait d'être développée longuement. J'en ai dit assez pour tirer cette double conclusion, d'abord que Dieu aura reconnu pour un de ses fils de prédilection cet homme de paix : Beati pacifici quoniam filii Dei vocabuntur; et, d'autre part, que nous pouvons être fiers, nous, membres de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts d'Angers, d'avoir été, de la part d'un tel homme, l'objet d'une affection particulière.

Je ne puis croire qu'elle nous fasse défaut parce que notre vénérable ami est entré dans un monde supérieur; non, s'il est désormais invisible à nos yeux de chair, il n'est pas absent de nos réunions. Et, pour terminer par un vœu cet hommage si incomplet, rendu à sa mémoire, pourquoi, à l'exemple de la Société d'Horticulture, avec laquelle nous faisons maison commune, n'aurions-nous pas la consolation de pouvoir contempler, dans notre salle de travail, la reproduction photographique de cette physionomie, dont la gravité un peu austère était tempérée par un si bienveillant sourire? Ainsi aurions-nous l'illusion d'avoir toujours au milieu de nous celui qui, si longtemps et en vertu des meilleurs titres, y a tenu la première place.

E. JAC.

LES ANOMALIES DANS LA POLICE DES METIERS

A ANGERS

La Corporation des Ciriers d'Angers

La police des métiers était exercée à Angers, à l'époque de l'ordonnance de 1279 (1), qui est le premier règlement donné à des métiers angevins, par le bailli du comte d'Anjou.

A sa création, la Chambre des Comptes d'Anjou, en 1360, reçut cette police spéciale dans ses attributions et elle la conserva jusqu'à sa suppression en 1480, lorsque, par suite de la réunion définitive de l'Anjou à la Couronne de France, elle se trouva inutile (2).

Lorsque Louis XI concéda à la ville d'Angers le droit d'Hôtel de Ville, il donna au Maire et aux échevins, la juridiction des métiers, les fit « juges des manufactures », privilège qui fut plusieurs fois confirmé dans la suite par des lettres-patentes. Mais, si le Maire et les échevins se montraient très fiers de leur haute main sur les gens de métiers, ce fut pratiquement le Prévôt qui fut l'agent d'exécution, à la façon d'un juge de Tribunal de simple police, fonction qui lui échappa, en 1699, à la création et à l'installation d'un Lieutenant de police.

Cependant cette législation n'était pas uniforme. C'eut été beaucoup trop simple pour les historiens, et quelques

(1) Le texte de cette ordonnance se trouve dans les Ordonnances des Rois de France, II, p. 429.

(2) Beautemps-Beaupré, Coutumes et Institutions de l'Anjou et du Maine, I, p. 554.

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