Page images
PDF
EPUB

L'Homme préhistorique en Afrique

LE SQUELETTE DE BROKEN-HILL

La matière dont je traite n'a d'intérêt que pour les spécialistes, je suis un vieux hibou de ruines, un vieux rat de bibliothèque.

Marcelle TINAYRE, Perséphone.

Une découverte anthropologique d'un grand intérêt scientifique a été faite au cours de l'année 1921; il s'agit d'un squelette d'homme préhistorique mis à jour dans le nord de la Rhodesia (Afrique du Sud). Sa place dans la classification des restes de nos ancêtres a été, jusqu'à ce jour, l'objet de nombreux articles dans les revues scientifiques et dans la presse quotidienne en France et surtout en Angleterre. Je me bornerai à résumer ici ces études avec impartialité; je prie mes collègues qui ne sont pas versés dans ces questions de me pardonner.

Dans la Rhodesia septentrionale, une Compagnie minière exploite à ciel ouvert, pour l'extraction du zinc, une colline du nom de Broken-Hill (la montagne brisée), de 50 à 60 pieds de hauteur. L'enlèvement presque complet de ce monticule fit apparaître une grande anfractuosité souterraine, caverne en forme de couloir s'enfonçant graduellement à 90 pieds sur un parcours de 150 pieds. Cette excavation était remplie d'énormes tas d'ossements d'animaux plus ou moins

fossilisés appartenant à des espèces variées : éléphants, léopards, rhinocéros, hippopotames, etc..., des races actuelles, aussi des débris d'oiseaux et de très petits animaux, entièrement miñéralisés par les sels de plomb et de zinc.

C'est au fond de cette galerie, dite Grotte de Bonne Cave, à environ 150 mètres de l'entrée que, vers la fin de l'été de 1921, les ouvriers découvrirent, enfoui sous les monceaux d'ossements, un crâne humain très bien conservé privé de son maxillaire inférieur et quelques autres ossements parmi lesquels un tibia et les deux extrémités d'un fémur. Ces débris de squelette étaient encroùtés, recouverts d'une couche épaisse de carbonate de zinc et de plomb; ils n'étaient ni fossilisés ni minéralisés, mais avaient perdu leur matière organique. Dans le voisinage, un broyeur en grès sans caractère.

La morphologie de ce crâne est des plus curieuse, il ne ressemble à aucun crâne humain de l'Afrique actuelle et se rapproche du type moustérien (La Chapelle-aux-Saints, Gibraltar, Néanderthal) désigné sous le nom de Homo néanderthalensis. La face présente un vrai museau, avec son obliquité typique, un nez largement ouvert, des arcades sourcilières formidables; la forme générale de la partie inférieure du crâne est plus projetée en avant que dans le type classique et tout à fait simienne.

Chose curieuse, l'aplatissement de la voûte cranienne est moins marqué que chez les autres crânes de cette espèce, le sommet du crâne rappelle celui du Pithécanthrope de Java avec plus d'ampleur encore. Le trou occipital est également plus en avant et correspond à un port de tête presque vertical; la mâchoire large et puissante présente un aspect bien humain ; les dents sont carriées, phénomène pathologique observé pour la première fois sur des mâchoires vraiment fossiles; elles sont usées jusqu'aux racines, montrant combien

la nourriture de l'homme rhodésien a dû être dure et rude.

Cet ensemble donne une double impression de caractères paradoxaux et contradictoires; régressifs, ou au moins peu évolués, sur la face et, au contraire, nettement progressifs sur la voûte crânienne et aussi par suite de l'avancement du trou occipital.

Les os (tibia et fémur) diffèrent essentiellement de ceux de la Chapelle-aux-Saints; au lieu d'être incurvés, larges et trapus, ils sont droits, présentant ainsi des caractères humains évolués.

L'étude anthropologique de ce crâne ne peut, seule, servir à lui assigner un âge dans la série des hommes fossiles; la stratigraphie et l'archéologie ne peuvent nous éclairer dans ce cas particulier.

Par suite de quelles circonstances et à quelle époque les ossements d'animaux et le squelette humain sontils venus dans la caverne? Sont-ils contemporains du crâne? Y a-t-il eu action humaine, station d'anthropophages? Ancien puits de mine? Sorte d'oubliette où se précipitait la faune? Résultat de grandes inondations ayant provoqué des glissements? Les hypothèses formulées sont plus ou moins sérieuses, le mystère semble impénétrable.

Autant de diversités dans les interprétations de ce singulier squelette.

M. Smith Woodward fait du type de Broken-Hill une espèce nouvelle : Homo Rhodesiensis et le place entre l'Homo Néanderthalensis et le Sapiens. Le Rhodesiensis serait Néanderthalien par la face et Sapiens par le reste.

Au contraire, sir Arthur Keith place le crâne en arrière du Néanderthal, entre celui-ci et le Pithecanthrope de Java, plus près de ce dernier; tandis que le British Medical Journal le considère comme un spécimen du pur Néanderthal.

En France. Le docteur Capitan admet le crâne de la Rhodésie comme un anneau de la chaîne évolutive reliant nos ancêtres de Néanderthal à l'homme actuel; étant caractérisé par l'anomalie entre les caractères primitifs de la face et ceux, au contraire, évolués de la voûte cranienne et des membres, c'est un exemple de la façon dont a pu se faire le passage du type néanderthalien (moustérien), du type évolué de cro-magnon (aurignacien) et de Chancelade (magdalenien). Il serait même disposé à considérer le squelette de Bonne Cave comme le premier spécimen connu de cette race d'homme qui a taillé les déjà très nombreux outils chelléens et moustériens recueillis en Afrique.

[ocr errors]

D'après M. Boule, l'Homo Rhodesiensis nous révèle la persistance en Afrique d'un type humain devenu fossile en France depuis longtemps. Ce type plus évolué que son frère d'Europe aurait conservé dans son crâne et dans sa face les traits primitifs de bestialité et fini par acquérir l'attitude verticale; on peut supposer qu'il a dû survivre longtemps dans le continent noir comme le représentant d'une très vieille forme humaine, d'une forme surannée, au milieu des races noires actuelles dont plusieurs elles-mêmes très archaïques sont sur le point de s'éteindre. Le savant professeur du Muséum de Paris émet une hypothèse captivante :

[ocr errors]

« Les caractères physiques et pathologiques du crâne de Broken-Hill semblent indiquer que le propriétaire n'est pas mort depuis longtemps. Et peut-être trouverat-on un jour, dans quelque coin reculé de la mystérieuse Afrique, des exemplaires vivants des derniers représentants de l'Homo Néanderthalensis ou de sa variété Rhodesiensis. »

Dans un article de vulgarisation du Petit Journal, M. l'abbé Moreux traite à son tour la question. Pour lui, le crâne de la Rhodésie n'est pas fossile, il est plus récent que la faune fossile d'animaux modernes qui

« PreviousContinue »