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Volney et l'Amérique

Notre compagnie ne saurait oublier les communications si érudites et d'une si belle tenue littéraire, que notre regretté collègue, M. Louis Hogu, consacra à Chateaubriand. Les Notes sur les sources de Chateaubriand, nous avaient offert la primeur de trouvailles, que le sympathique chercheur multipliait sans trêve par sa sagacité pénétrante et son travail méthodique.

Il y a un an, l'un de ses anciens élèves (1), dépositaire de ses papiers, avait la délicate pensée de faire lithographier une conférence donnée par M. Hogu, au Cercle du Luxembourg, le lundi 20 avril 1914. Elle est intitulée : Chateaubriand voyageur. C'est un morceau, digne en tous points, du goût délicat et de la critique judicieuse de son auteur. Les suggestions qui me sont venues, en lisant cette conférence, ainsi que plusieurs études récentes sur l'Amérique, ont ramené mon attention sur l'un de nos compatriotes, qui fut, lui aussi, un grand voyageur, ConstantinFrançois Chassebœuf, plus connu sous le nom de Volney. A mon âge, on peut lire encore, mais déjà on relit volontiers. Ce sera mon excuse en vous entretenant de nouveautés qui, depuis longtemps, sont dans le domaine public.

Volney et son œuvre tombent de plus en plus dans

1 M. l'abbé Duret. professeur à l'Institution St-Stanislas de Poitiers.

l'oubli (1). L'étude de M. Eugène Berger, publiée en 1852, semble avoir fixé dans la juste mesure ce qu'on peut louer ou reprendre dans les ouvrages de l'écrivain. << L'espèce de délit social dont l'auteur des Ruines et du Catéchisme de la loi naturelle s'est rendu coupable, y est apprécié avec sévérité, mais sans virulence », ce jugement est de Sainte-Beuve. Mais si« ces tristes livres ont fait leur temps », les descriptions «< précises et sévères» du voyageur, méritent toujours de retenir l'intérêt de qui les lit.

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On peut ajouter que son art un peu factice et sans inspiration vraie ne vaut que par le métier qu'il dénote. La méditation sur les restes de Palmyre, apparaît en quelque sorte, comme la Prière sur l'Acropole du XVIIe siècle finissant et le « Génie des tombeaux et des ruines » aurait pu servir de modèle dans les ateliers de sculpture et de peinture du temps, attachés à reproduire une plastique théâtrale d'inspiration prétendue gréco-romaine.

Bientôt allait survenir celui que ses amis appelaient le magicien, l'enchanteur. C'est pour avoir repris avec bonheur ce que des devanciers, et quelquefois des adversaires, avaient pressenti, cherché avec peine et en partie manqué, que Chateaubriand obtint son prompt succès. « En même temps qu'il ouvrait sa voie propre, il a été pour eux tous, par plus d'un côté, l'héritier habile et brillant. »>

La guerre de l'Indépendance attira sur l'Amérique l'attention de l'Europe et tout particulièrement des Français. Volney se trouva mis en rapports par le baron d'Holbach et Mme Helvétius avec Benjamin

* Mort le 25 avril 1920. personne n'a songé à célébrer son centenaire. D'ailleurs on peut rappeler qu'en 1825 David d'Angers offrit vainement à l'Institut, puis à la ville d'Angers, le buste en marbre qu'il avait sculpté Plus tard ce ne fut pas sans peine qu'une statue fut élevée à l'auteur des Ruines.

Franklin, « le patriarche de Passy » et plus tard avec Thomas Jefferson, quand il sera ambassadeur des Etats-Unis à Paris. Tout entier à ses études historiques, il ne songea pas à s'enrôler en faveur des Insurgents, mais il fit provision auprès de Franklin, d'une sagesse utilitaire, quelque peu terre à terre, qui lui sembla le fondement le plus assuré de la morale. Le Voyage en Egypte et en Syrie qu'il entreprit au début de 1783, lui permit d'écrire en 1787, un ouvrage qui devint classique et lui valut un renom considérable.

Engagé dans les luttes politiques, il en connut l'amertume. Durant l'année 1792, Volney tenta d'aller chercher en Corse « la paix agricole ». Il ne la trouva pas avec Paoli. Il regagna la France dans les premiers mois de 1793. Celui qui, deux ans auparavant, avait écrit les Ruines, ne voulait pas dépasser en politique la ligne d'opinion des Girondins. Il s'arrêta avec eux, mais n'étant plus engagé directement dans la lutte, il échappa à la mort commune. Il subit pourtant dix mois de détention et fut délivré peu après, le 9 thermidor.

Dans les leçons d'histoire qu'il professe alors dans les Ecoles Normales, on trouve quelques paroles de tolérance, qu'il lui arrivera encore d'oublier, et un morceau très vif contre Jean-Jacques Rousseau, qu'il avait d'ailleurs appris à goûter peu dans le cercle de d'Holbach. Repris par le goût des voyages et prévoyant aussi pour la France des secousses nouvelles, il s'embarqua au Havre, pour aller aux Etats-Unis d'Amérique, il nous a dit lui-même dans quelles dispositions :

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Lorsqu'en 1783, je partis de Marseille, c'était de plein gré, avec cette alacrité, cette confiance en autrui et en soi, qu'inspire la jeunesse ; je quittais gaiement un pays d'abondance et de paix, pour aller vivre dans un pays de barbarie et de misère, sans autre

motif que d'employer le temps d'une jeunesse inquiète et active à me procurer des connaissances d'un genre neuf, et à embellir, par elles, le reste de ma vie, d'une auréole de considération et d'estime.

« Dans l'an III, au contraire (en 1795), lorsque je m'embarquais au Havre, c'était avec le dégoût et l'indifférence que donnent le spectacle et l'expérience de l'injustice et de la persécution. Triste du passé, soucieux de l'avenir, j'allais avec défiance chez un peuple libre, voir si un ami sincère de cette liberté profanée, trouverait pour sa vieillesse un asile de paix dont l'Europe ne lui offrait plus d'espérance ».

Une lettre d'adieu écrite au Havre, « un pied déjà dans le vaisseau »>, peut fixer la date de son embarquement au 24 messidor an III (12 juillet 1795). Parti de Philadelphie le 19 prairial an VI (7 juin 1798), il aborda à Bordeaux le 19 messidor (7 juillet). Ce voyage de près de trois ans, lui fournit la matière d'un ouvrage publié en 1803, sous le titre de Tableau du Climat et du Sol des Etats-Unis d'Amérique. Il est incomplet. L'auteur n'a rempli qu'une partie de son plan primitif. La partie, qui nous semblerait peut-être la plus intéressante, et qui concerne les mœurs et les institutions, n'a pas été abordée directement. Nous pouvons pourtant nous en faire une idée par la Préface, les Notes, les Eclaircissements qui l'accompagnent, et aussi par plusieurs lettres éditées par Bodin.

Ce dernier donne deux raisons pour lesquelles Volney s'est dérobé aux sollicitations les plus pressantes de publier ses observations relatives à l'état moral et politique des Etats-Unis : « la première pour ne pas heurter une nation respectable, mais fière et vindicative, en la peignant telle qu'il l'avait vue; la seconde, pour ne pas irriter le chef violent et ombrageux du gouvernement français par des tableaux et des faits qui eussent trop visiblement fait la satire de ses principes. » Cela semble extrêmement vraisem

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