Page images
PDF
EPUB

et le 6 avril 1794, le comité révolutionnaire de Doué mandait au district de Saumur que cet ecclésiastique était émigré.

V. François Bellamy, né à Saumur en 1710, avait résigné sa cure de Forges le 18 mars 1784. En 1790, il prit sa retraite à la Providence de Doué, avec une de ses parentes.

M. Bellamy, n'ayant pas voulu faire le serment, fut l'objet particulier de la haine des patriotes. On en jugera par la lettre qu'il écrivit, le 3 juin 1791, au maire de Doué: « Hier soir, entre quatre et cinq heures, se présenta à la porte de la maison de la Providence une espèce de détachement, qu'on dit être de volontaires, qui demandaient à haute voix Mme la Supérieure, lors absente. La terreur empêcha quelques personnes du sexe qui étaient au dedans, d'ouvrir la porte. Ils avisèrent d'enfoncer celle de la chapelle, qui est murée vis-à-vis la rue, et s'y étant fait un large passage, mais incommode, ils allèrent à la porte ordinaire, l'ouvrirent et donnèrent à leurs camarades une libre entrée. Ce fut alors pour moi un spectacle aussi risible qu'il fut effrayant pour quelques bonnes âmes, de voir aussitôt la cour remplie d'une troupe en uniforme, au milieu de laquelle s'avançait une bête asine montée par un de ces Messieurs, et commandée par le sieur Duval, assisté d'une trentaine de jeunes têtes. La scène devint plus sérieuse lorsque n'ayant trouvé personne de remarque à qui s'adresser, on vint appliquer à ma fenêtre une échelle (car jusqu'alors je m'étais tenu assez tranquille, voyant qu'il n'était pas question de moi, et je me bornais à observer, pour la sûreté de la maison à laquelle je m'intéresse, les démarches de cette singulière ambassade et quelle en serait l'issue). On vint, dis-je, escalader ma croisée, et un de ces Messieurs se mettait en devoir d'exécuter les ordres qu'il recevait d'en bas, de détacher les carreaux de verre pour se faire un passage. Ils avaient

déjà escaladé la chambre de ma parente qui n'y était pas, et sans que je m'en fusse aperçu, visité ses papiers et livres, et ils en étaient à la mienne, lorsque, pour prévenir la fracture et l'irruption, j'ouvris promptement les vitraux, je me présentai et leur parlai, comme je crus devoir le faire. Si je rendais moi seul témoignage de ce que je dis alors et de ce qui me fut répondu, mon témoignage ne serait rien; je n'insiste que sur les faits, on ne manquera pas de témoins pour les constater. Vous jugerez de leur atrocité et de quelle conséquence il est de réprimer de pareilles licences, et si ma parente et moi nous avons lieu de nous plaindre. C'est de vous et de MM. les administrateurs et municipaux que nous tenons à loyer la maison, daignez nous en faire jouir avec sécurité. Elle est due à tout citoyen, même passif, tel que moi. Les droits de l'homme sont : la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression. On a violé à notre égard les trois premiers. L'assurance que nous avons, que vous n'y avez aucune part et que ces Messieurs n'ont agi qu'arbitrairement, tumultueusement et sans ordre, nous inspire la confiance de trouver en vous, qui êtes le protecteur des lois par votre autorité et l'ami par votre excellent caractère, un prompt défenseur contre l'oppression qui se fait déjà vivement sentir et dont l'impunité annoncerait les derniers excès. Plein de cette espérance, j'ai l'honneur d'être, etc. » (L. 365.)

Le 7 juin, des commissaires des gardes nationales de Doué, Angers et Saumur, au nombre de 30, pénètrent de force chez M. Bellamy, et remettent ensuite à la municipalité le procès-verbal suivant : « Ils se sont transportés chez le ci-devant curé Bellamy, sur la dénonciation publique de l'incivisme du sieur curé et notamment d'entretenir et attiser le feu de la rébellion parmi les timorés, assez faibles pour se soumettre à ces conseils pernicieux. S'étant présentés à la porte du curé et l'ayant interpellé de déclarer si sa biblio

thèque ne contenait aucun écrit incendiaire et contraire à l'esprit de la constitution, il ne nous a rien répondu et a fermé ses portes. Jaloux de soutenir la nouvelle loi si chère aux Français patriotes, nous avons frappé violemment à sa porte, laquelle ayant résisté à nos secousses réitérées, nous nous sommes trouvés forcés d'appliquer une échelle au bas de la croisée, à l'aide de laquelle nous nous sommes introduits chez lui pour vérifier les faits dont il était publiquement inculpé. Le curé s'est alors présenté et a été par nous fraternellement exhorté et interrogé s'il ne faisait point usage d'écrits incendiaires et contraires à la constitution. Il a répondu que non, qu'on pouvait visiter sa bibliothèque et qu'on n'y trouverait rien que d'accord avec les vrais principes de la Constitution. Ayant procédé à cette visite, nous avons trouvé que la fausse assertion du sieur Bellamy n'était que le masque de l'hypocrisie dont se servent tous les antipatriotes pour miner sourdement la constitution, car nous avons trouvé dans sa bibliothèque et ouverts sur sa table les écrits les plus incendiaires et les plus contraires à la constitution, tels que deux Brefs du Pape, des 10 mars et 13 avril 1791; un autre écrit, intitulé: Entretien d'un paroissien avec son curé; un autre écrit, intitulé: Examen de la constitution prétendue civile du clergé, lequel écrit a été par nous, été par nous, au milieu de l'indignation publique, brûlé au milieu de la place; un autre écrit, intitulé: Mon apologie. Nous lui avons demandé s'il professait les sentiments exprimés dans les écrits cidessus; il a répondu qu'il soupirait après la palme du martyre. D'après ces écrits et dires, nous avons requis la municipalité de recevoir notre plainte, tendant à faire exécuter les décrets de l'Assemblée Nationale et l'arrêté du département de Maine-et-Loire du 24 mai dernier. >>

Instruit que la plainte ci-dessus avait été envoyée par la municipalité au district de Saumur, M. Bellamy

écrivit, le 9 juin, à cette dernière administration: « Le 7 de ce mois, sur les trois heures du soir, de nombreux détachements de volontaires se présentèrent à la maison de la Providence. Ce n'était plus, comme la première fois, aux dames de cette maison, mais à moi qu'on en voulait. En effet, ces Messieurs étant entrés en foule, deux échelles furent aussitôt appliquées, l'une à la croisée de ma parente, l'autre à la mienne, et dans un instant toutes les chambres, les corridors, les cabinets sont pleins de gens armés d'épées. Je me présente, et l'un d'eux, que je crois être le chef quoique fort jeune, me dit d'un ton fort haut et menaçant qu'il fallait prêter le serment ou me voir être conduit dès demain matin, dit-il, au district d'Angers. A peine eus-je la facilité, au milieu des cris confus, de faire entendre que je n'étais pas fonctionnaire. On me traita d'incendiaire, d'homme connu dans toute la ville pour y prêcher la révolte, que nous étions des hypocrites, des scandaleux et que je déshonorais ma vieillesse. Je donnai le défi qu'on pût prouver ce qu'on avançait là. — Pendant ces propos, on dérangeait ma chambre, on pillait mon cabinet. Dans celle-là, on se faisait un jeu et une dérision d'un ornement de tête, on le bouchonnait, on en frappait la figure d'une pauvre servante. Dans l'autre, je vis qu'on prenait mes papiers. J'y cours, et n'ayant plus aperçu un acte sous seing privé que je venais de conclure, je m'en plaignis amèrement et insistai fortement pour qu'il me fût remis: on me le rendit. On voulait me trouver coupable. On ouvre ma bibliothèque, on saisit quelques brochures, qui se trouvent partout: Mon apologie, Exade l'instruction de l'Assemblée Nationale, La Lanterne magique, mais le grand grief! les Brefs du Pape, qu'on appela le « Bref de Peltier, curé de Doué. »

On avait fait plus, sans que je m'en fusse aperçu. Depuis deux ans, je me procure le Journal de l'Assemblée Nationale permanente (de l'imprimerie du dépar

tement, chez Mame). On m'arrache sur ma table les numéros qui composent les 4° et 5 tomes; on les emporte au nombre de 9. J'en ai recouvré 5 seulement, que les ravisseurs ont donnés à quelques-uns pour les amuser, et qui me les ont remis.

[ocr errors]

Mais

-

Voilà les griefs dont je pourrais me plaindre en mon nom seul, si seul, si je prévoyais quelqu'utilité. je vois qu'une défense, quoique juste, ne ferait qu'aigrir encore plus les plus les esprits. Ma perte est jurée. J'adore les desseins de Dieu et je m'y soumets. Je ne réclame votre protection juste et bienfaisante que pour ma chère parente, qui a tout sacrifié pour s'attacher à moi, ses facultés, sa patrie, ses plus proches. Pour moi, je ne demande rien, je ne suis plus rien, et quand je ne serais pas bientôt la victime de mes ennemis, le tombeau s'ouvre déjà sous ma décrépitude, et il ne me reste que la joie d'y descendre. J'ai si fort à cœur de conserver ou de recouvrer l'estime que vous m'avez déjà marquée, que je dois nécessairement me justifier de l'inculpation intentée d'être suspect de semer ici le trouble. J'ose vous assurer que ma conduite examinée sans prévention détruit entièrement cette suspicion. Dès le commencement et lorsque j'étais encore à Forges, j'ai toujours pensé et dit, je le pense et le dis encore, que tant que le schisme n'est que dans les opinions, il faut bien se donner de garde de l'introduire dans la conduite extérieure par une scission prématurée, qu'un zèle indiscret et précipité gâterait tout, qu'il fallait assister aux cérémonies, attendre en silence dans un esprit de paix et de charité le jugement de l'Eglise et de la chaire de saint Pierre, et non pas le prévenir. Le clergé de Doué peut me rendre témoignage que tels étaient mes sentiments, et en conformité je répondis à un d'entre eux qui me consultait. Je n'ai plus cette lettre en réponse, il peut la montrer; mais j'ai la sienne, et Dieu a permis que je l'aie conservée pour ma justification. Elle contient même d'honnêtes

« PreviousContinue »