Page images
PDF
EPUB

voulu prévoir, et que la législative pressa imprudemment, vint précipiter les événemens. Alors, la légalité devint impuissante; et l'assemblée dont nous allons raconter les travaux, ne put elle-même se défendre d'agir révolutionnairement.

[ocr errors]

La première période révolutionnaire dans laquelle entra l'assemblée législative, ne fut terminée que le 20 avril 1792, le jour de la déclaration de guerre au roi de Bohême et de Hongrie. Pendant cet intervalle, la guerre est la grande question discutée sous toutes les formes par les journaux, par les clubs, par l'assemblée, par le ministère. La feuille d'Hébert se prononça avant toutes les autres. Dans sa cent soixante-quatrième lettre b........ patriotique, le Père Duchêne disait à l'assemblée constituante : «La fermeté vous avaient dicté des lois, la justice et la raison les avaient sollicitées; la fermeté les eût fait respecter, et, f.......! vous eussiez fait cesser toutes ces affligeantes et dangereuses convulsions, plus destructives que les coups que vous eussiez portés. Pourquoi la lanterne a-t-elle travaillé? c'est parce que la guillotine s'est reposée. Eh bien ! double million d'éclairs! f.......! puisque vous n'avez pas su dans le temps ramener ceux que vous avez négligé de combattre à mort, prenez donc enfin une résolution grande, terrible, imposante; armez, s'il le faut, la moitié des Français! S'ils périssent, f.......! l'autre les vengera. Oui, triple million de sacs à mitraille! tombons sur le casaquin de nos ennemis comme cent milliards de tonnerres lancés par la colère des cieux! que la foudre en éclats les extermine, etc., etc. Hébert parlait ainsi en août 1791. Nous aurons à rechercher pourquoi les esprits se divisèrent si profondément et si opiniâtrément là-dessus; pourquoi des haines, chaque jour plus implacables, naquirent de ces débats, et restèrent flagrantes jusqu'après le 9 thermidor. Le fait général que nous avons dit s'être accompli par la déclaration de guerre, comprend tous les actes, soit parlementaires, soit extra-parlementaires opérés durant les sept premiers mois de la session. Nous dres

serons plus bas le sommaire des questions impliquées dans cette continuité. Ce plan, imposé à notre travail, sera précédé de l'histoire des élections.

ÉLECTIONS.

Afin que nos lecteurs puissent se faire une idée juste des scènes biographiques que nous allons placer sous leurs yeux, afin surtout qu'ils connaissent bien exactement la valeur des pamphlets que nous aurons à analyser, quelques réflexions sont indispensables.

་་་་

Les six dernières années antérieures à la révolution sont particulièrement honteuses pour les gens de lettres. Il est difficile de comprendre à quel degré d'infamie descendirent les hommes qui faisaient alors métier d'écrire, si l'on ne parcourt les productions sorties de leur plume. Le défaut absolu de toute conviction honnête entraîna sur la même pente et fit aboutir au même confluent toutes les sources de la littérature; il n'y eut de différence entre ceux par qui l'immoralité débordait sur la France, que celle de leurs positions respectives.

[ocr errors]
[ocr errors]

La coterie fondée par Voltaire exploitait en souveraine l'industrie littéraire; il fallait appartenir de près ou de loin à cette coterie pour que le trafic des mots fût d'un rapport assuré. La philosophie, les mathématiques, les drames, les romans, les journaux, toutes les branches de l'esprit humain étaient accaparées par les monopoleurs encyclopédistes. Ceux qui connaissent les produits sortis de cet atelier ne nous démentiront pas lorsque nous affirmerons qu'ils furent entrepris uniquement en vue du renom comme moyen, et du lucre comme but. Aussi, dans l'ordre philosophique, ces écrivains ne furent rigoureux que lorsqu'ils traitèrent des sciences exactes: leur géométrie est la seule certitude qu'ils aient proposée, et l'on remarquera que les vérités de ce genre ne comportent pas de sanction. Quant la morale qu'ils ont prêchée, si elle n'est pas la négation positive du bien et du mal, elle est au moins un scepticisme devant lequel personne n'est obligé à rien.

Toutes les fois que ces traitans littéraires furent attaqués dans leurs œuvres, ils défendirent avec fureur, non pas leur système, mais leur habileté personnelle, mais ce qu'il y avait de plus sûr pour eux au fond de leurs idées : la vanité et l'argent. Quiconque leur fit de la concurrence et s'éleva contre eux du point de vue moral, fut lacéré par cette meute, dépecé, traîné dans la boue, réduit à mourir fou ou à mourir de misère. Voltaire avait donné l'exemple de cette atroce personnalité : père de l'école du pamphlet, il composa de sang-froid le patron absolu du genre, cet insigne poème de la Pucelle, pour lequel nous ne doutons pas que la France ne maudisse un jour sa mémoire. Dans les luttes nombreuses où son amour-propre l'engagea, il se porta à des excès d'une telle grossièreté, que le style du Père Duchêne est moins ordurier et moins vil que le sien. Que n'a-t-il pas dit de Rousseau, de Fréron, de Desfontaines, de ses antagonistes les premiers venus?

Voltaire assista de son vivant aux résultats dont il était en grande partie l'origine ; il vit son école augmenter dans des proportions qui ne permirent plus d'accéder aux nombreuses sollicitations de patronage, et de part aux bénéfices. En dehors du monopole s'amassa une foule de jeunes gens, d'élèves sans asile et sans pain, qui tirèrent des leçons du maître le parti le plus avantageux que sut y découvrir leur industrie. Les uns travaillèrent pour satisfaire les infâmes besoins nés de la corruption des mœurs : ils se firent entrepreneurs de livres obscènes; les autres se mirent au service de toutes les haines et de toutes les vengeances individuelles : ils rédigèrent les satires, les mémoires, les factums que se renvoyaient sur leurs vices, sur leurs crimes, sur les scandales de leur vie privée, les personnages puissans par leur fortune ou par leurs titres, entre lesquels il y avait inimitié et discorde. Il est avéré que Beaumarchais eut des relations intimes avec les pamphlétaires de profession; il fut l'ami de Morande et de plusieurs autres libellistes connus. Les mémoires de Beaumarchais, qu'ils soient son ouvrage ou qu'ils ap, partiennent à quelque metteur en œuvre du genre de ceux dont

nous parlons, offrent ceci de remarquable: ils ont une parfaite analogie de style avec les écrits de la même espèce composés à cette époque. C'est la même verve, les mêmes sarcasmes, la même logique prétentieuse qui veut prouver jusqu'à l'évidence la scélératesse, la sottise, le ridicule d'un adversaire; la même entente des ressorts dramatiques, remuant les passions du lecteur pour des querelles privées.

Ces hommes firent l'histoire secrète de la cour de Louis XV, et plus tard celle de la cour de Louis XVI. Ils trouvèrent là une mine féconde de thèmes lucratifs, de compositions, qu'il serait facile de calculer pour un grand débit, parce qu'elles étaient susceptibles de l'obscénité recherchée par les uns, des diffamations recherchées par les autres enfin parce qu'elles s'adressaient à tous les ressentimens populaires, depuis long-temps excités par les mœurs du pouvoir.

Une autre de leurs ressources consistait à espionner les riches et les puissans, à surprendre quelque infâme secret, et à les menacer d'un libelle s'ils ne payaient une rançon. De là leur vint le nom de sommateurs. Une bande de ces sommateurs, parmi lesquels figurent Morande et le marquis de Pelleport, alla s'établir à Londres, vivant des contributions que leur envoyaient du continent ceux qu'ils effrayaient de quelque divulgation importante. Le ministre Vergennes mit plus d'une fois leur silence. à prix. L'espion Receveur fut envoyé en Angleterre pour acheter du marquis de Pelleport une vie de Marie-Antoinette, et pour gagner Morande à la police française par des offres considérables. Il ne réussit que dans cette dernière négociation. Pelleport lança bientôt après la brochure fameuse : Le diable dans un bénitier. Nous empruntons ces détails aux mémoires de Brissot, et c'est principalement pour expliquer les combats livrés à ce dernier, lors de sa candidature à la législative, que nous faisons cette introduction.

Brissot rencontra dans sa carrière d'homme de lettres, la société des pamphlétaires. Il avait frappé à la porte des encyclopédistes, et il n'avait pas été admis. Obligé de vivre de sa

jdume, il fut attiré en Angleterre pour une entreprise de journal, et là il vécut dans l'intimité des sommateurs, abhorrant, dit-il, la noirceur des uns, déplorant la faiblesse et la facilité des autres. Il se lia avec Pelleport, et lui rendit même des services. Avant d'exposer les suites que ces contacts eurent pour Brissot, nous dirons quelle opinion on est autorisé à se former de son caractère d'après ses écrits; nous donnerons en second lieu les pièces de quelques-uns de ses actes.

[ocr errors]

On voit Brissot débuter dans les lettres par un opuscule intitulé: Rome démasquée. C'était s'enrôler sous la bannière de celui qui avait dit: Écrasons l'infâmé! Pyrrhonien sur tout, excepté sur la revelation, à laquelle il ne croyait pas, il voulut se faire bénédictin pour satisfaire à sa vocation scientifique: dom Mulėt le dégoûta du cloître. Sa seconde publication fut une traduction libre d'un ouvrage anglais, qu'il édita sous le titre de: Lettres philosophiques sur la vie et les écrits de saint Paul. Virchaux, libraire à Hambourg, le même qui joue un rôle dans notre précédent volume pendant le mois de juillet, imprima ces lettres en 1782. Brissot dit que c'est le seul ouvrage contre la religion sorti de son portefeuille. Il ajoute que son portefeuille contenait beaucoup de plaisanteries irréligieuses, qu'il s'applaudit d'avoir détruites, entre autres, une parodie du Stabat, dont l'obscénité était piquante, Il fait l'aveu que ce caractère d'obscénité lui était étranger, et qu'il le prenait pour plaire à la société de ses esprits forts. Ses deux ouvrages suivans furent une Théorie des lois criminelles, et le plan d'un travail philosophique, iutitulé: Le Pyrrhonisme universel. Il songea à faire valoir ces deux titres auprès des encyclopédistes en chef. Il adressa son Essai de métaphysique à d'Alembert, qui lui répondit par des complimens', et il porta lui-même son Essai de législation à Voltaire. Il y mit tant de façons qu'il ne put arriver au patriarche, lequel cependant venait de recevoir la Dubarry au moment où Brissot se présenta. Il obtint néanmoins de Voltaire une lettre flatteuse.

A l'occasion de la guerre déclarée par la France à l'Angleterre pour soutenir l'indépendance des États-Unis, Brissot fit le Testa

« PreviousContinue »