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d'une famille, ou même ses caprices, que la consi cience d'un prêtre et que les lois de la religion? Elle exerce une grande justice aux portes du tombeau; elle dit à l'homme qui l'a désavouée : je ne te connais pas. Que ce mot alarme, humilie les parens de celui qui n'est plus, est-ce une raison pour que la justice éternelle se taise, ou pour que ses ministres prévariquent ? Oseriez-vous attendre de vos propres tribunaux une pareille condescendance? Oseriez-vous la leur demander? Encore vos juges, en prévariquant, peuvent sauver la vie du coupable; mais le prêtre, que peut-il sauver?

» Si vous étiez assez malheureux pour parvenir à contraindre l'église de ne mettre aucune différence entre ses enfans et ses ennemis; entre la faiblesse repentante et le crime impénitent; entre le fidèle et l'impie dont les lèvres, après avoir proféré un dernier blasphème, se sont fermées pour jamais, que penserait le peuple? Quelle conséquence tirerait-il de cette lâche indulgence? Que la vérité et les devoirs ne sont que de vains mots; que l'église ne croit pas elle-même ce qu'elle enseigne ; qu'il n'importe comment l'on vive et comment l'on meure, puisque la religion bénit également l'espérance du juste et le désespoir du méchant. Hommes de peu de prévoyance, où en seriez-vous, si ces maximes prévalaient? Gardez-vous d'affaiblir les doctrines qui vous protègent, et ne comptez pas tellement sur les prisons et les échafauds, que vous jugiez inutile de donner à la société d'autres appuis. »

§ 2.

RAPPORT DONNÉ PAR L'Ami de la Religion et du Roi, No. 554, 1er. DÉCEMBRE 1819, DES HONNEURS

FUNÈBRES RENDUS AU V.'. F.'. DE SAINT-MARTIN.

Il nous est parvenu une brochure qui a pour titre : Honneurs funèbres rendus dans la R. loge de la Parfaite Intelligence, à l'orient de Liége, le 28. jour du 22. mois de l'an de la V. L. 5818, à la mémoire du très-vénérable frère Saint-Martin, ancien vénérable de la loge; Liége, 5818, in-8°. de 31 pages. Cet écrit est curieux; mais auparavant il faut raconter ce qui y a donné occasion. LouisPierre-Martin de Saint-Martin, né à Paris, le 10 janvier 1753, mourut à Liége, le 13 janvier 1819. Il avait été reçu conseiller-clerc au Châtelet de Påris, en 1781, et publia des Réflexions en réponse à celles de l'abbé d'Espagnac, touchant Suger, et les Etablissemens de Saint-Louis, avec des notes; 1786, in-8°. M. de Saint-Martin était prêtre, et des personnes à Paris se rappellent avoir assisté à sa messe; il prêcha une année le panégyrique de saint Louis devant l'académie. Il adopta avec ardeur les principes de la révolution, et, abandonnant bientôt son état, il se maria, épousa une femme divorcée, et se divorça ensuite avec elle. Il fut successivement membre de la cour de cassation à Paris; juge au tribunal de révision établi à Trèves pour les quatre départemens de la rive gauche du Rhin; puis juge à la cour d'appel après la suppression de ce tribunal, et enfin conseiller à la cour supérieure de justice à Liége. Il fut aussi un des trois membres

d'une commission chargée de recueillir les monumens des arts à Rome et dans l'Italie, et le journal de Liége, dans l'article qu'il donna à sa gloire, assure qu'il honora le caractère français dans Rome humiliée. Nous ne savons jusqu'à quel point M. de Saint-Martin prit part à cette humiliation du saint siége. Il était franc-maçon, et avait mérité d'être vénérable de sa loge. Au bruit de sa maladie, M. le curé de Saint-Jean-Evangéliste à Liége se présenta chez lui; il y alla jusqu'à six fois, et n'obtint rien. M. de Saint-Martin mourut, après avoir marqué par son testament qu'il voulait que son corps fût enterré dans le jardin de la loge. On crut donc suivre ses intentions en ne lui accordant point les honneurs de la sépulture ecclésiastique, et en lui refusant des prières, qu'il avait rejetées jusqu'à la fin. La cour royale agit vainement auprès de M. Barrett, vicaire-général, qui, étant instruit de toutes les circonstances, défendit de recevoir le corps à l'église. Les libéraux de Liége ont été fort courroucés de ce refus. Ils trouvent tout simple qu'on se moque de l'église, et des prêtres et de leurs prières, et n'en croient pas moins que ces prières, leur sont dues. M. le grand-vicaire fut qualifié de fanatique dans un journal de Liége. On eut recours au gouvernement; mais le roi, s'étant fait rendre compte de l'affaire, approuva la conduite de M. Barrett. Les amis du défunt, rébutés de tous côtés, ont imaginé une cérémonie qui paraît calquée sur les momeries patriotiques de 1794. Ce service a eu lieu, le 28 février, dans une réunion extraordinaire de la loge, où avaient été convoqués les philadelphes des loges voisines, et c'est la description de cette assemblée qu'on nous a donnée dans la brochure intitulée Honneurs funèbres.

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Il est difficile de réunir autant de pathos, d'emphase, de fiel, de vide et de niaiseries, qu'il y en à dans cet écrit. La loge avait été transformée en

un temple où, au lieu d'un autel chrétien, on avait érigé un autel cubique; et ne pouvant avoir d'eau bénite, ces messieurs s'étaient procuré de l'eau de puits, qu'ils avaient décorée du nom d'eau lustrale, mot plus harmonieux au goût des oreilles païennes. Des urnes, des cyprès, des fleurs, des tapis, des parfums, étaient le seul ornement du temple; mais ce qu'il y a incomparablement de plus remarquable dans cette séance, ce sont les discours. Le vénérable frère, M. A., n'a pas manqué de s'élever contre le fanatisme, et a chanté des stances lamentables. Le frère orateur, M. D., a prononcé le panégyrique du défunt. Il a dit que M. de Saint-Martin avait été maçon dès l'aurore de sa vie. Voici quelques passages de cet éloge funèbre :

>> Saint-Martin, libre de préjugés, savait briser ces entraves de la raison... Ce n'est point par de superstitieuses expiations qu'il a fait précéder ses derniers instans... Il disait : L'ignorance et le fanatisme s'agitent en tout sens; mais en même temps il semblait être sûr des nôtres quand il ajoutait, en parlant de la maçonnerie: Ils ne pourront renverser cette colonne inébranlable. Fanatisme, superstition, maux cruels, tyrans de l'homme! Crois ou péris, fais ou brille, répétez-vous sans cesse. Crois, si tu le peux fais le bien, tu le dois, dit-on sans cesse dans nos temples; et vous voudriez que nos temples fussent à jamais fermés! Sont-ils donc des temples de Janus, ou des antres de cyclopes? En a-t-on vu sortir des Séides assassins? Ne plaignons-nous pas toutes les faiblesses? Ne cherchonsnous pas à dissiper toutes les erreurs? Vos noms sortiraient-ils de notre bouche sans votre affreuse intolérance?.... Nos regrets ne sont pas troublés par de vaines terreurs, et nos espérances ne reposent pas sur les idées d'une vulgaire crédulité. Nous n'avons pas l'insolente prétention d'effacer le mal par une magique parole; des purifications emblématiques nous avertissent que le feu créateur est l'unique purificateur dans la nature. C'est dégagée de son enveloppe matérielle, que notre intelligence va se joindre à l'intelligence suprême répandue dans tout l'univers, intelligence résidant partout, dans une plante comme dans un astre, toujours divisée et toujours entière, existant sous toutes les formes et n'en ayant aucune, tant de fois définie et toujours indéfinissable. »

Nous n'avons point voulu priver le lecteur des beautés de cette tirade, qui le mettra en état de juger de l'esprit des frères maçons de Liége. Quelle énergie! comme ils sont tendres et doux, ces philadelphes! quelle indulgence ils ont pour les croyan

?

ces de leur prochain! Ah! que leur piété est amère ! que leur modération est hautaine! que leur tolérance est implacable! Vénérables frères, prêcheznous, s'il est possible, d'un ton moins insultant; et si vous ne pouvez être chrétiens, soyez du moins polis. Vos temples, dites-vous, ne sont pas les temples de Janus ou les antres des cyclopes. Je le crois; mais pourquoi les fermez-vous avec tant de précaution, et vous entourez-vous de tant de mystère? Nos cérémonies sont publiques, nos églises sont ouvertes à tous, nous nous montrons au grand jour. Pourquoi vous cachez-vous? A-t-on vu, ditesvous, sortir de nos temples des Séides assassins? Question imprudente, vénérables frères. Ne sait-on pas que c'est de vos loges que sont sortis les premiers révolutionnaires? N'étaient-ils pas affiliés à vos réunions ceux qui ont sapé le trône chez nous, et qui ont porté les premiers coups au monarque Les Condorcet, les Rabaut Saint-Etienne, les Brissot, les Cérutti, et les autres prédicateurs de la révolte, n'étaient-ils pas des frères comme vous, des vénérables comme vous? N'avaient-ils pas, comme vous, à la bouche, les mots d'humanité, de philosophie, de bienfaisance? ne criaient-ils pas, comme vous, contre le fanatisme et la superstition? On a vu par la suite quel était leur but. En auriez-vous un semblable? Nous meneriez-vous aussi à l'athéisme et à l'anarchie? Pour l'athéisme, on est tenté de le croire, quand on voit cette profession de foi qui termine le morceau précédent. Qu'il est consolant d'apprendre que l'intelligence suprême réside dans une plante comme dans un astre, que nous irons là nous réunir à elle, et que si nous sommes malheureux ici-bas, nous aurons la ressource de nous trouver quelque jour dans un chou, ou de revivre dans un oignon! Combien ces idées sont hautes et magnifiques! combien l'espérance d'une telle immortalité est noble et digne d'une âme élevée! Hon

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