Page images
PDF
EPUB

$3.

JUGEMENT DES CONSPIRATEURS, EXÉCUTION, PROCLAMA TION DE L'Empereur.

DANS le rapport adressé à Sa Majesté l'empereur de Russie par la haute cour de justice, instituée par le manifeste du 1er. (13) juin, cette cour a divisé les prévenus en douze cathégories et de la manière suivante :

Le colonel Pestel, le sous-lieutenant Ryleieff, le lieutenant-colonel Serge Mouravieff-Apostol, le souslieutenant Bestoujeff-Rumine, et le lieutenant Kabovsky, placés hors de toute catégorie, ont été

condamnés à être écartelés.

Le colonel prince Troubetzkoy, le lieutenant prince Obolensky, le lieutenant-colonel Mathieu Mouravieff-Apostol, le lieutenant Borissoff, le sous-lieutenant Borissoff, le sous-lieutenant Gorbatcheffsky, le major Spiridow, le capitaine en second prince Bariatinsky, l'assesseur de collége Kuchelbecker; le capitaine Yakoubovitsch, le lieutenant-colonel Poggio, le colonel Artamon Mouravieff, l'enseigne Vadkovsky, l'enseigne Betchanoff, le colonel Davydoff, l'employé Yonschneffksy, le capitaine en second Alexandre Bestoujeff, le sous-lieutenant Andreevitsch 2, le capitaine Nikita Mouravieff, l'assesseur de collége Poutschine, le général-major prince Serge Volkonsky, le capitaine Yakouschkine, le sous-lieutenant Pestoff, le lieutenant Zavalischine, le colonel Povalo-Schveffkovsky, le lieutenant Panoff 2, le lieutenant Southoff, le capitaine en second prince Stchepine-Rostovsky, l'enseigne de vaisseau Divoff, le conseiller-d'état actuel Nicolas Tourgueneff, en

tout 31 individus formant la 1re, cathégorie, ont été condamnés à avoir la tête tranchée.

Des 84 autres, 17 ont été condamnés à la mort politique et aux travaux forcés à perpétuité; deux aux travaux forcés perpétuité; 53 aux travaux forcés pendant un espace de temps plus ou moins long, puis exilés en Sibérie; 3 à la dégradation, à la privation de la noblesse et à la déportation en Sibérie; un à la dégradation, à la privation de la noblesse, et à servir en qualité de soldat, avec la faculté d'avancement, et 8 à la dégradation, et à servir en qualité de soldat, avec faculté d'avancement.

Sur le rapport de la haute cour, l'empereur a rendu, le 22 juillet, un oukase qui fait grâce de la vie à tous ceux qui ont été condamnés à avoir la tête tranchée, et modifie la peine des autres. Les cinq condamnés qui devaient être écartelés, à celle d'être pendus. L'empereur avait abandonné leur sort à la décision de la haute cour.

Le 25 juillet, à trois heures du matin, les troupes qui devaient assister à l'exécution des condamnés furent réunies sur les glacis de la citadelle de Pétersbourg. Il y avait un demi-bataillon de chaque régiment de cavalerie. Douze à quinze cents personnes étaient réunies sur ce vaste emplacement et ont été témoins de l'exécution de la sentence. Les cinq condamnés à mort, qui devaient, en vertu du jugement être écartelés ou plutôt coupés en quatre, et dont l'empereur avait, comme on a vu plus haut, commué la peine en celle de la corde, furent amenés les premiers devant l'échafaud, qui n'était pas encore construit, et restèrent pendant plus d'une heure spectateurs des préparatifs.

On amena ensuite les autres condamnés, au nom◄ bre de cent environ. Chacun d'eux fut conduit sous escorte devant le front du corps où il servait; ceux dont les régimens étaient à l'armée, ou qui n'étaient pas militaires, furent réunis devant l'échafaud. On

leur lut la sentence, et on les dégrada en les faisant mettre à genoux et en cassant leurs épées audessus de leurs têtes. On les revêtit ensuite d'une capote grise, et leurs uniformes, épées, épaulettes et décorations furent jetés dans un grand brasier allumé auprès de la potence. Cela fait, on les fit défiler devant l'échafaud, et ils furent reconduits à la forteresse. Après leur départ, les cinq individus dont la condamnation à mort avait été confirmée montèrent sur l'échafaud dans l'ordre suivant: Pestel, Ryleieff, Serge-Mouravieff, Bestucheff-Rumine et Kahovsky.

Au signal donné pour l'exécution, trois cordes cassèrent, on crut un moment que c'était un moyen employé pour faire grâce à un pareil nombre de condamnés, qui étaient le deuxième, le troisième et le cinquième de ceux que nous venons de citer; mais il n'en fut pas ainsi. Après un quart d'heure de cruelle angoisse, employé à de nouveaux préparatifs, deux des condamnés remontèrent avec beaucoup de fermeté; il fallut porter le troisième. Un instant après ils n'étaient plus.

L'empereur toujours animé d'un amour vraiment paternel pour ses sujets donna un un ordre du jour, en date du 10 août, lequel statue définitivement sur le sort de plusieurs officiers supérieurs et subalternes impliqués dans la conspiration, mais en faveur desquels plaidaient plusieurs circonstances. Par suite de cet ordre du jour, le colonel Ginka est congédié et exilé dans la ville de Petrosawodik, mais eu égards à ses services antérieurs et à son peu de fortune, il y sera employé comme conseiller de collége dans des fonctions civiles. Quant aux officiers de cavalerie de la garde, ils sont placés dans des régimens soit de cavalerie soit d'infanterie en garnison dans des villes éloignées. Plusieurs d'entr'eux doivent préalablement subir un emprisonnement d'un à six mois dans une forteresse. Ils con servent tous leur rang.

Proclamation de l'empereur.

La proclamation suivante a paru à Pétersbourg le 25 juillet.

Par la grâce de Dieu, nous Nicolas 1er., empereur et autocrate de toutes les Russies.

La haute cour instituée par notre manifeste du 1, (13) juin pour le jugement des criminels d'état, a rempli la tâche que nous lui avions commise. Ses arrêts fondés sur le texte des lois existantes, mais adoucis par nous autant que nous le permettait le devoir de la justice et la sûreté de l'empire, ont été publiés et mis à exécution.

Ainsi s'est terminé ce procès où nous n'avons cessé de voir la cause de la Russie toute entière; les criminels ont reçu le châtiment qu'ils avaient mérité; la patrie a été purgée de la contagion qui couvait dans son sein depuis trop long-temps.

En portant un dernier regard sur des événemens déplorables, nous trouvons qu'une obligation encore nous est imposée. Dans les lieux où sept mois auparavant l'explosion d'une soudaine révolte nous a tout d'un coup révélé l'affreux secret d'un mal qui comptait déjà 10 années, il faut qu'un dernier acte de commémoration, un sacrifice expiatoire consacre le souvenir du sang russe versé dans ces mêmes lieux pour la religion, le souverain, la patrie; il faut que de solennelles actions de grâces s'y élèvent vers le Seigneur. Nous avons reconnu sa main toute puissante lorsqu'on déchirait le voile qui couvrait cet horrible mystère, nous l'avons reconnue lorsqu'en permettant au crime de s'armer, elle assurait sa perte. Telle qu'un orage d'un moment, la révolte sembla n'avoir éclaté que pour anéantir la conspiration dont elle avait été le début.

Elle n'était pas dans le caractère, elle n'était pas dans les mœurs du peuple russe cette conspiration.

Tramée par une poignée de scélérats, elle n'eut pour auxiliaires que le petit nombre d'hommes qu'unissait à eux un contact de tous les instans, que des cœurs pervertis, que des passions fougueuses, et malgré dix années de malveillans efforts, d'efforts sans cesse renouvelés, elle ne réussit point à s'étendre. Le coeur de la Russie y fut et y sera toujours inaccessible. Le nom russe ne saurait être flétri par une trahison envers le trône et l'état. Loin de là, dans ces mêmes conjonctures, nous avons recueilli les touchans témoignages d'un dévoûment sans bornes. Nous avons vu les pères s'armer d'une inflexible rigueur envers leurs enfans criminels. Nous avons vu les plus proches parens venir et livrer à la justice les malheureux sur lesquels planaient des soupçons de complicité. Nous avons vu enfin toutes les classes de nos sujets animées d'un seul et même vou, ne demander que le jugement et le châtiment des coupables.

Mais quoique renfermé dans une sphère étroite, le travail des conspirateurs n'en avait pas été moins actif. La Plaie était profonde, elle était dangereuse par la même qu'elle était cachée. Quand on songeait que le principal dessein des conjurés, que leur premier but n'avait cessé d'être un attentat aux jours d'Alexandre-le-Béni, on se sentait pénétré tout à la fois d'indignation et de douleur. D'autres idées jetaient le même trouble dans les esprits, d'autres soins inspiraient une juste sollicitude. Il fallait, au milieu d'investigations devenues indispensables, respecter l'innocence, la défendre des soupçons gratuits, lui en épargner l'amertume. Mais cette mème Providence à qui il avait plu, dès notre avénement au trône, de nous environner de soucis et de peines, en nous imposant 'une tâche où s'unissaient pour nous tant de difficultés à tant de regrets, nous donne aussi le courage et la force de la remplir. Après cinq mois de travaux, la commission

« PreviousContinue »