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établies, sont connues; tous les projets qu'avait enfantés leur aveuglement ou leur scélératesse, révé lés; tous les moyens dont ils devaient se servir pour les exécuter, découverts; et, ainsi que nous avons déjà eu occasion de l'annoncer, des distinctions importantes s'indiquent en quelque sorte d'elles-mêmes parmi les prévenus qu'examine la commission d'enquête.

Les uns étaient les fondateurs et les chefs de ces associations secrètes.

D'autres, liés de complicité avec eux, se trouvaient initiés à leurs épouvantables mystères.

D'autres encore devaient être les instrumens d'intentions qu'au fond ils ne connaissaient pas.

Il en est enfin qui, ainsi que les soldats égarés, ne croyaient pas s'armer contre l'ordre et le souverain légitime.

Ces différences ne pouvaient que prolonger le travail de la commission d'enquête. Quoique les principaux coupables soient déjà convaincus, le châtiment exemplaire que méritent des régicides, des fauteurs de troubles ou des hommes pris les armes à la main, a dû être différé, pour que la commission d'enquête pût les confronter avec leurs complices, pour qu'elle pût, par l'ensemble des interrogatoires et des preuves qui en résultent, déterminer les divers degrés de culpabilité, ne pas les agraver surtout, et arriver à des conclusions dont la justice soit incontestable.

§ 2.

RAPPORT FAIT A L'EMPEREUR DE RUSSIE PAR LA COMMISSION CHARGÉE D'INSTRUIRE L'AFFAIRE DES MOUVEMENS DU 14 (26) DÉCEMBRE 1825.

« SIRE,

<< La commission nommé par décret de V. M. I., en date du 17 (29) décembre de l'année passée vient de terminer les enquêtes confiées à ses soins, et vous soumet, sire, dans un rapport détaillé de ses travaux, toutes les notions qu'elle a réunies sur les sociétés secrètes découvertes en Russie, et prévenues de conspiration contre l'état, sur leur origine, leur marche, le développement successif de leurs plans, le degré de participation de leurs principaux membres à leurs projets et à leurs entreprises, ainsi que sur les actes individuels de chacun d'eux et sur ses intentions avérées.

>> Lorsque cette commission fut établie, et presqu'à l'instant de la répression des troubles du 14 (26) décembre, vous avez témoigué, sire, que ne voulant suivre que les mouvemens de votre cœur et l'exemple de vos glorieux ancêtres, vous aimeriez mieux pardonner à dix coupables que de faire pnir un seul innocent. C'est d'après ce principe. où tant de sagesse s'unit à tant de magnanimité, que la commission s'est constamment dirigée dans le cours de ses investigations, saus néanmoins perdre de vue l'obligation qui lui était imposée de travailler, par de scrupuleuses recherches, à purifier la Russie de germes pernicieux, à assurer la tranquillité et le bon ordre, à calmer les citoyens paisibles, dévoués au trône et aux lois. Pleine du désir d'atteindre

ce but, la commission a approfondi avec un grand soin et une égale impartialité, toutes les circonstances qui pouvaient conduire à la découverte des ramifications du complot. Mais dans l'examen des circonstances, et dans les cas divers qui se sont présentés, elle a, autant qu'il était en son pouvoir, distingué la faiblesse et un aveuglement momentané d'une malveillance persévérante; elle a presque toujours pris pour base de ses conclusions les aveux mêmes des prévenus ou des pièces écrites de leur main, regardant les dépositions de leurs complices et tous les autres témoignages, comme des moyens subsidiaires de conviction, ou comme de simples indications de la marche à suivre dans les enquêtes ultérieures et dans les interrogatoires.

» V. M. n'ignore pas qu'une révélation de nature à éveiller toute l'attention du gouvernement était parvenue à S. M. l'empereur Alexandre, au mois de juin de l'année dernière, de la part d'un nommé Sherwood, sous-officier au 3. régiment des lanciers du Boug. Elle portait que, dans quelques régimens de la re, et de la 2. armée, il se trouvait des individus qui tramaient le renversement de l'ordre établi dans l'état, et qu'ils appartenaient à une association secrète, laquelle augmentait graduellement le nombre de ses membres. En nommant l'un d'eux (Théodore Natkowsky), Sherwood sollicitait la permission de se rendre à Koursk, pour s'aboucher avec lui et quelques autres qu'il croyait ses complices, espérant y recueillir des notions plus exactes et plus circonstanciées. Il communiqua en effet au gouvernement, dans le courant du mois de septembre, les nouveaux renseignemens qu'il avait obtenus. D'autres informations, conformes à celles de Sherwood et plus détaillées, furent apportées à Taganrog par le lieutenant-général comte de Witt, instruit de l'existence et du but d'une association conspiratrice par un agent qui avait feint de s'y aflilier. Une

lettre reçue à Taganrog le 1er. (13) déc., confirma ces avis. Elle avait été adressée à feu l'empereur Alexandre par un capitaine Mayboroda, du régiment de Viatka, et semblait d'autant plus importante, que Mayboroda lui-même était membre de l'association ci-dessus mentionnée. Aussitot, le commandant de la 2o. armée et un aide-de-camp-général de V. M., envoyé à cet effet de Taganrog, adoptèrent quelques mesures de précaution. D'après les indications de Mayboroda, plusieurs individus, soupçon. nés de conspiration, furent arrêtés, quelques-uns de leurs papiers trouvés et saisis, et des interrogatoires préliminaires effectués. Cependant, leurs complices à Pétersbourg, soit dans la conviction que le gouvernement avait déjà connaissance de leurs projets, soit dans l'impatience de les exécuter, entreprirent de tromper une partie des régimens de la garde à l'occasion du serment qu'ils devaient prêter à V. M., et excitèrent le mouvement dout les habitans de la capitale furent témoins le 14 (6) déc. Dans la soirée du même jour, ils étaient presque tous au pouvoir du gouvernement, et leurs dépositions vinrent éclairer et compléter les informations précédemment reçues touchant l'existence d'un complot.

>> De cette époque dalent les travaux de la commission. Chaque jour voyait s'accroître la masse de faits qui démontraient l'obligation d'étendre les enquêtes. Cependant, toujours fidèle au principe arrêté par V. M., la commission n'usa du pouvoir dont elle était investie que dans les cas d'une évidente nécessité. Parmi les membres même des associations secrètes, elle se contenta de requérir uniquement l'arrestation ou la confrontation de ceux que des témoignages dignes de foi autorisaient à regarder comme complices des plus criminels desseins, et comme pouvant encore être dangereux, ou dont les dépositions étaient indispensables pour convaincre les principaux conspirateurs; et pour mettre au jour

tous les plans qu'ils avaient formés. Les individus, dont les noms se trouvent sur une liste séparée, ne connaissaient que d'une manière très-imparfaite le but des associations dont ils avaient fait partie, ou les avaient abandonnées par le sentiment même de la faute qu'ils avaient commise en y entrant. La commission a résolu de se borner à les signaler à V. M. Vous daignerez, sire, prononcer sur leur sort dans votre équité et dans votre clémence.

» D'autre part, tous les prévenus qui, d'après les motifs exposés plus haut, appelaient l'attention spéciale de la commission, ont été exactement et soigneusement interrogés (1); leurs réponses ont été comparées; elles ont été confirmées par des confrontations, et elles présentent un complet accord sur toutes les circonstances, ou du moins sur les circonstances principales, relatives au but du complot, à l'organisation de la société secrète qui le tramait et aux actes de ses directeurs (2).

» De l'ensemble de ces faits, il résulte que, dans l'année 1816, quelques jeunes gens, revenus de l'étranger après les campagnes de 183, 1814, et 1815, et connaissant la tendance politique de plusieurs sociétés secrètes qui existaient alors en Allemagne, conçurent l'idée d'établir en Russie des associations semblables. Les premiers qui se communiquèrent cette idée, furent Alexandre Mouravieff (aujourd'hui colonel en retraite) (3), qui d'abord se proposait de faire entrer cette société secrète dans le cadre de quelque loge maçonnique; le capitaine

(1) Le sicur Nicolas Tourgueneff n'a point été interrogé. Sommé de rentrer en Russie pour se présenter devant la commission, il a refusé de comparaître.

(2) Parmi les individus interrogés, tous ceux qui se sont trouvés ne pas appartenir aux associations conspiratrices, ou de les avoir entièrement abandonnées, ont été aussitôt remis en liberté.

(3) A côté des noms de tous les individus cités dans le présent rapport, est indiqué leur grade actuel au service.

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