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tion générale, dévouée à l'intérêt commun. Cette institution devait être toute brûlante de l'enthousiasme chrétien, de même que l'ennemi était enflammé par le fanatisme musulman. La chevalerie, qui réunissait toutes ces conditions, résolut ce problème avec toute la perfection possible.

Aujourd'hui le problème politique a changé il s'agit de trouver dans la société publique, gangrenée par les sociétés secrètes, une institution assez pleine de vie pour s'opposer aux progrès du mal, sans être exposée elle-même à la contagion. Cette institution doit être aussi religieuse et politique: elle doit être re-. ligieuse, d'abord, parce qu'il n'appartient qu'à la religion de fonder une institution durable; ensuite, parce qu'il s'agit de combattre l'irréligion, cause première du désordre actuel de la société; entin parce que toutes les institutions qui ne seraient pas solidement appuyées sur cette base, ne tarderaient pas de céder elles-mêmes à l'ascendant des sociétés secrètes, et d'être entraînées à leur suite. Elle doit être aussi politique cela ne veut pas dire qu'elle doive être un ordre civil ou militaire, mais seulement qu'elle doit être tellement constituée, qu'elle exerce une action puissante sur la société. D'après ces premières conditions de notre problème politique, voyons si l'institut des jésuites peut nous en fournir la so

lution.

Je ne m'attache pas à prouver que cet ordre est la plus forte institution religieuse que l'on ait jamais connue il n'y a sur ce point qu'une voix depuis Louis XIV jusqu'à Frédéric II, depuis Bossuet jusqu'à Voltaire; je l'envisage seulement sous le rapport politique. Tous les observateurs ont remarqué dans cette société un caractère unique qui la distingue, d'une manière touchante, de tous les autres ordres religieux. Ceux-ci formaient ou des savans vertueux, ou de pieux cénobites, d'autant plus estimables qu'ils se renfermaient dans le cercle de leurs

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règles particulières. L'institut des jésuites, par son effet forme des hommes destinés à exercer propre, une influence sociale. Ils peuvent bien sans doute dire d'eux-mêmes ce que Tertullien disait des premiers chrétiens: Nous ne naissons pas mais nous devenons jésuites. Non nascimur, sed fimus. Mais il est également vrai de dire que tout jésuite est né pour agir sur la société, dans un cercle plus ou moins étendu. Cette société a toujours eu un instinct merveilleux pour n'accueillir dans son sein que des hommes utiles. Dès que vous la voyez recevoir un sujet, quelque brut qu'il paraisse, soyez sûr qu'elle saura bien en tirer quelque chose. Elle le jette dans son moule; elle y pétrit; elle l'y broie; elle l'imprègue de son esprit ; et bientôt vous en voyez sortir un être nouveau, ha-' bile à diriger d'autres hommes. C'est précisément la raison de l'effroi que cet institut inspire aux sociétés secrètes, qui aspirent aussi à gouverner les esprits. Parlez de rétablir un autre ordre religieux, quelque respectable qu'il puisse être, les Bénédictins, par exemple, elles ne feront qu'en plaisanter: nommez les jésuites, elles entrent en convulsion. Aussi il est à remarquer qu'elles ont eu de temps en temps l'espoir de maîtriser plusieurs des autres ordres religieux. En France, les principes qui avaient pénétré, vers la fin du dernier siècle, dans plusieurs communautés, n'ont que trop prouvé que, si elles n'étaient affiliées aux sociétés secrètes, elles étaient au moins dignes de l'être. On a connu, par les papiers des illuminés d'Allemagne, publiés par l'ordre de l'électeur de Bavière, les projets de Weishaupt, leur chef, sur divers ordres religieux; et l'on sait qu'aujourd'hui même elles travaillent avec succès certains couvens de la Suisse. Les jésuites au contraire ont toujours été l'objet de leur horreur, jamais de leurs espérances; on dirait que l'ombre seule du manteau de saint Ignace leur est mortelle.

Elles ne sont rassurées que lorsqu'elles ont placé entr'elles et lui un vaste intervalle. De même que deux corps chargés d'électricité se repoussent, les jésuites et les sociétés seerètes, électrisés les uns et les autres, mais de principes bien différens, ne se rapprochent jamais que pour se repousser avec l'impétuosité de la foudre. Si nos publicistes connaissent une société plus puissante à opposer à la francmaçonnerie et à l'illuminisme, qu'ils l'indiquent; s'ils n'en connaissent pas, qu'ils essaient d'en créer une, en attendant qu'ils se servent de celle que la Providence leur a faite.

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En second lieu, la toute-puissance des sociétés secrètes vient de leur union. On ne peut les combattre avec succès qu'en leur opposant une société où le principe d'union soit plus fort que chez elles. Sous ce rapport, que peut-on comparer aux jésuites? Sous l'empire de leur admirable constitution toutes les pensées individuelles, toutes les vues particulières du génie le plus élevé, comme du plus obscur néophyte, viennent se. perdre dans l'esprit général de leur société, comme les fleuves et les ruisseaux se confondent dans l'Océan. Voilà pourquoi ils ont un avantage marqué sur les sociétés secrètes organisées sur les divers points du globe : quoique correspondant les unes avec les autres, elles, ne sont pas régies par une autorité unique, et ne forment qu'une espèce de république fédérative : les jésuites forment une monarchie; ils ne sont pas seulement unis, ils sont uns: unum sunt. Laissez marcher cette phalange, dont les rangs sont étroi-, tement serrés par une chaine divine contre les cohortes de l'anarchie; mais tant que vous ne leur. opposerez que des soldats dispersés, résignez-vous à des défaites.

En troisième lieu, les sociétés secrètes, quoique. organisées sous des formes diverses dans chaque nation, sont universelles il faut leur opposer une

société qui, par sa nature, tend à le devenir; c'est là encore un caractère propre de l'institut des jésuites. Ils comptaient à peine quelques années d'existence, et déjà ils étaient répandus dans le monde entier ils brillaient en Europe, ou civilisaient l'Amérique, et mouraient au Japon. Naguère on les croyait descendus pour jamais dans la tombe et voilà qu'on les retrouve partout les solitudes même du Nouveau-Monde les ont déjà reconnus. Il est impossible que cette société prodigieuse ne soit pas destinée à jouer un grand rôle dans la restauration de l'ordre social. Si des préjugés aveugles ne suspendaient pas ses progrès, on la verrait bientôt, universelle comme le désordre, ne pas laisser à ses complots une place sur laquelle elle n'eût l'œil ouvert pour les reconnaître, et les bras étendus pour les déjouer.

Les sociétés secrètes sentent si bien elles-mêmes

qu'elle est leur ennemi capital, que plusieurs fois elles ont fait courir le bruit qu'elles étaient dominées par les jésuites. Elles l'ont dit en Angleterre; elles l'ont dit en France, où Bonneville fit ùn ouvrage exprès pour le prouver; et l'on sait que lors du congrès maçonnique de Wihelmssadt, les illüminés d'Allemagne, qui désiraient attirer à eux les loges maçonniques, s'efforcèrent de persuader à leurs députés qu'elles étaient dirigées, sans le savoir, par des jésuites, et que, pour échapper aux disciples de Loyola, elles devaient se jeter dans les bras de Weishaupt.

Il est impossible que les gouvernemens, décidés à combattre la franc-maçonnerie et l'illuminisme, n'accueillent pas tôt ou tard le magnifique secours qu'ils ont sous la main. On a voulu leur faire peur des jésuites, par des raisons politiques; et bientôt peut-être, car le temps presse, ce sera par des raisons politiques qu'ils cesseront de les craindre pour les aimer.

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COMME nous avons amplement traité, dans la première partie de cet ouvrage, des sociétés sécrétés de l'antiquité et de celles du moyen âge, et que, sous ce rapport, nous croyons n'avoir rien laissé à désirer, nous nous dispenserons d'en parler encore dans cette troisième partie; mais comme les sociétés actuelles, qui exercent une si terrible influence, doivent être l'objet principal de nos investigations, et qu'il faut se hâter de les attaquer hautement, parce qu'elles se hâtent elles-mêmes d'accomplir leurs desseins, nous devons, dès notre début, fixer sur elles l'attention publique. Si notre tâche était de rendre compte des ouvrages écrits par leurs adeptes, sur l'origine et l'histoire des sociétés occultes, nous aurions l'occasion d'embrasser dans notre travail celles des siècles précédens mais elles sont pour nous plutôt un objet de curiosité qu'un sujet d'effroi ; et ce n'est point quand l'incendie est à nos portes qu'il faut perdre le temps à décrire les embrasemens éteins par nos ancêtres. Nous porterons premièrement nos regards sur les

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